Le retrait de la grève à certaines catégories d’agents de l’État a-t-il changé ou eu des impacts dans le quotidien des malades dans les centres de santé du Bénin? Les prestations envers les justiciables dans les tribunaux et autres juridictions se sont-elles améliorées? La 6ème mandature de la Cour constitutionnelle du Bénin prend-elle des décisions sous l’influence du pouvoir exécutif? Comment les travailleurs ont pu perdre aussi facilement le droit de grève, un outil stratégique de revendications qui a fait ses preuves au point de faire fléchir le régime révolutionnaire de Mathieu Kérékou ?
«J’ai perdu mon grand frère qui aurait dû être secouru au Cnhu de Cotonou, simplement pour fait de grève. C’était brutal. Je garde en moi des séquelles». Fortune Adjalala, jeune étudiante rencontrée à Agbangnizoun, une commune du Bénin située à 110 kilomètres de Cotonou raconte sa mésaventure. C’était en 2017 ! Les débrayages répétés dans le secteur de la santé ont eu de forts impacts communautaires sur la vie des citoyens. « Des mois après le décès de mon frère, j’en pleure encore jour et nuit. Je n’ai plus de goût à rien. Il est parti si facilement à cause de la grève », la tête baissée. Elle s’efforce de retenir les larmes qui s’amoncellent dans ses yeux, mais un filet inonde sa joue droite. Elle secoue la tête comme pour retrouver sa sérénité et nettoie le visage. « Ce deuil m’a complètement transformée. La décision de la Cour constitutionnelle ayant validé le retrait du droit de grève a mis fin à la déshumanisation », se réjouit-elle avant d’ajouter « Pour une fois, l’audace a payé au Bénin et je suis très satisfaite de la décision qui est rendue. » Pour elle, c’est le droit de la Cour constitutionnelle d’éviter que des manifestations fantaisistes et éviter que l’abus du droit de grève ne crée de graves préjudices à la nation.
Cette position de Fortune Adjalala n’agrée pas Adolphe Kpadonou, maître tailleur à Comè. Il est contre cette « régression » validée par la Cour Constitutionnelle. Assis devant la porte d’un cabaret, il vide sa bouteille d’alcool en causant avec le patron de l’établissement. Sans quelque forme d’interpellation, il va à l’assaut : « Cette loi déclarée conforme par la Cour constitutionnelle est scélérate. C’est dangereux pour notre pays. » Pour lui, la démarche de la Cour a l’air d’un complot contre le Bénin. Primau Nantekoua, la soixantaine environ, semble être du même avis que lui. Croisé sur le chemin du retour des champs avec l’air tout fatigué, retrouve l’énergie nécessaire de donner son avis. L’humour prend le pas : « Quel bonheur, pour nous autres malheureux, que la Presse soit venue chez nous paysans jusqu’à Cobli pour parler des décisions qui se prennent à Cotonou ! » Mais puisque le Bénin est un et indivisible, il mesure toute fois l’intérêt de la démarche et déclare sans ambages : « Je ne vous le cache pas, la suppression du droit de grève aux magistrats indique à quel point les contre-pouvoirs sont devenus l’ombre portée du pouvoir exécutif, sans possibilité de dialogue constructif et respectueux, parfois contradictoires entre institutions de la République. » Et pour finir, il pose la grave question suivante : « Nous sommes vraiment au Bénin ? »
Un œil dans le rétroviseur
Une image se projette tout de suite sur les Palais de justice : à l’intérieur, les salles d’audience sont closes et on ne voit pas de robe noire déambuler. Les guichets fermés le matin ouvrent l’après-midi sur réquisition, juste pour recevoir les demandes. C’était avant les décisions de la Cour constitutionnelle. Wilfried Hounwanou Tossou, rencontré au séminaire Notre Dame de Fatima à Parakou se rappelle : « Lorsque les magistrats vont en grève, les audiences sont suspendues dans tous les tribunaux du pays. Avant cette décision rendue par la Cour et qui nous soulage énormément, nos proches qui sont détenus ne peuvent plus être jugés dans un délai raisonnable. Et pourtant, il y en a qui sont innocents ». Le ton monte chez Afiavi Anaganousso pour qui « la situation était inadmissible ». Devant son étalage de produits vivriers installée au coin de la rue à quelque dizaine de minutes de marche de la station Sonacop à Lokossa, elle laisse entendre : « J’ai mon fils détenu à la maison d’arrêt de Natitingou pour vol de ciment sur un chantier. Je quitte ici pour me rendre là-bas et arrivée au tribunal, on ne voit aucun juge. J’ai vécu ce calvaire pendant des mois. Mais je ne pouvais pas l’abandonner. C’est un soulagement pour moi, cette décision rendue par la Cour. Mon enfant a été finalement jugé et dans quelques mois, il sortira de la prison. Si ce n’était pas la Cour constitutionnelle, peut-être qu’on n’aurait pas encore connu le verdict de son procès jusqu’à ce jour. »
Cette satisfaction se justifie certainement par la reprise du fonctionnement normal des juridictions depuis la décision de la Cour constitutionnelle au grand dam des syndicats qui ne peuvent plus recourir à la grève pour mettre la pression sur les pouvoirs publics. C’était leur arme stratégique pour exiger la satisfaction de leurs revendications légitimes face aux problèmes qui étaient les leurs. Adolphe Houssou, leader des syndicats de la santé est encore en colère jusqu’à ce jour. Il n’a pas encore digéré. « Au lieu de poser la question de savoir pourquoi les gens vont en grève, ils s’acharnent à arracher le droit de grève. C’est bon, le droit a été arraché mais le pays est en danger », lâche-t-il. Gloria Dèguè, directrice d’une agence événementielle à Ouidah alerte : « Quel type de pays voulons-nous construire en muselant sa fine fleur ? Les grèves sont assimilables à la soupape d’une cocotte-minute qui permet d’évacuer le condensé de chaleur. Avec la décision de la Cour constitutionnelle, nous avons désormais en face une situation de très grandes inquiétudes pour la paix au pays ». Pour elle, tous ceux qui ont contribué à ce résultat sont, selon elle, bien connus par le peuple béninois. « Il n’est pas exagéré de dire que cette inégalité fondamentale a été organisée et planifiée par les politiciens et les technocrates, puis « vendus » par les media qui ont chanté les louanges de la restriction du droit de grève au peuple », analyse-t-elle. Mais Auguste Agandan, chauffeur d’une société privée, n’approuve pas la fuite de responsabilité des syndicalistes. « Les gens veulent que nos parents meurent au profit de leurs revendications ? J’ai vu dans cet hôpital arrivé sur un fauteuil roulant, un malade, venu enlever le plâtre sur du pied et du bras. Tout triste sur le perron de l’hôpital, il n’y a eu personne pour le recevoir. Ce jour, j’étais perdu. La Cour constitutionnelle a fait un bon travail », dit-il. La décision de la cour a aussi mis le gouvernement face à ses responsabilités. Il a entrepris plusieurs démarches. Gildas Sowanou, agent de santé à Ouidah porte son regard critique et lance après analyses : « La Cour a mis indirectement le Gouvernement face à ses obligations morales. Beaucoup d’efforts sont menés dans notre secteur. Le dernier acte est la signature du décret 2019-124 du 17 avril 2019, portant fixation des taux des indemnités de garde, d’astreinte et d’heures supplémentaires dans les formations sanitaires publiques. Il faut saluer le travail des sept sages. Même si on continuait les grèves, est-ce qu’on aurait eu autant d’avantages ? ». Les hôpitaux ne sont plus vidés du personnel soignant, les malades ne restent plus seuls au point de finir par mourir à cause du manque de soins. La loi morale, impératif catégorique de Kant est désormais en valeur : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe d’une législation universelle. »
Une année scolaire calme et fructueuse
Judicaël Tiomon et Espéra Assogbavi, deux conducteurs de taxi-moto se réjouissent d’une année scolaire calme qui augmente leurs chiffres d’affaires. Ils sont très contents que leurs contrats se déroulent bien. Recrutés par des parents d’élèves pour déposer leurs enfants à l’école, ils prennent du plaisir à chercher chaque matin deux jeunes hommes en partance de la haie vive et du Carrefour Toyota pour le Ceg Vèdoko, un établissement public situé dans la ville de Cotonou. « Depuis que la restriction du droit de grève aux enseignants est faite, nous faisons un bon chiffre d’affaires à la fin du mois. Nous arrivons avec notre contrat à payer notre loyer sans pression ». La dimension économique ne peut être priorisée dans un sujet aussi délicat. Gloria Dèguè, directrice d’une agence événementielle à Ouidah reconnaît toutefois qu’il y a de vrais problèmes liés à la grève quand les enseignants sont mécontents. Ancien directeur d’école à la retraite, Frédéric Agbékpanzo démontre que c’est la Cour constitutionnelle qui a vu juste. « Il n’y a pas d’éducation sans valeurs. Tous au travail. Il était vraiment opportun de siffler la fin de la récréation car de tout temps on faisait la grève sur la durée et non sur la qualité », juge-t-il. Est-ce la suite positive de cette décision qui a donné à l’année scolaire 2018-2019 son cours normal? En effet, les choses se sont passées autrement cette année dans la plupart des écoles. Que ce soit au Ceg 1 ou au Ceg 2 de Ouidah, les candidats à l’examen du baccalauréat ont eu la chance de bien se préparer. Et pour cause : « Bien qu’il y ait eu des élections cette année, nous avons fini le programme dans toutes nos matières de spécialité » confie Justine Fakamby, candidate au Bac Série D. Elle est fière de l’absence de grève qui permet de redorer le blason du système éducatif. Chez les parents d’élèves. C’est la délectation et l’espoir. Eléonore Inès Afanou, revendeuse au marché Kpassè, déborde de joie : « Mes deux enfants jumeaux sont tous deux admis au Bepc. Vraiment, cette année est spéciale. Les enseignants n’ont pas fait de grève durant toute l’année. On n’a pas fait des dépenses pour rien », explique-t-elle. On ne peut pas prêter le serment de sauver des vies, et au nom de la grève, être à travers son absence au travail, la cause des morts. On ne peut pas prêter serment pour une justice équitable, et laisser moisir les détenus qui attendent d’être auditionnés, parce qu’on est en grève. On ne peut pas prêter serment pour protéger les citoyens, et au nom de la grève, abandonner son travail, pour laisser la sécurité aux hors-la-loi. La grève ne saurait être un outil politique pour créer la pagaille dans un pays.
Hugues Hector Zogo (Collaboration extérieure)
cnhuLa balle se retrouve aujourd’hui dans notre camp
« Posons-nous la question de savoir comment nous avons utilisé notre droit à l’exercice de la grève pour aujourd’hui apparaître aux yeux des parlementaires et des gouvernants comme des personnes avec qui on ne peut pas discuter. Nous pouvons transformer aujourd’hui cette situation en un piédestal pour faire rebondir le mouvement syndical. Nous sommes victimes de nos faiblesses, de nos limites, de nos incohérences, de nos guerres de leadership ; il nous faut reconstituer notre capacité de nuisance et montrer à l’employeur que nous sommes capables d’agir pour le bien du peuple tout en tenant compte de nos intérêts. Au lieu de passer uniquement notre temps à condamner les gouvernants, nous devons nous regarder et voir ce que nous pouvons déjà corriger dans notre propre camp », selon, Anselme Amoussou, Secrétaire général de la Csa.