A Cotonou, l’usage mixte du réseau public d’adduction d’eau et des puits demeure dans une ville où le choléra est fréquent et dont la nappe phréatique est exposée. Les raisons de cette situation après une descente dans les quartiers précaires de la capitale économique.
Sur les rives de la lagune de Cotonou, on se contente du peu et on s’adapte au mieux. A Abokicodji Lagune où précarité et modernité se côtoient, l’eau potable n’est pas à la portée de tous. Félicienne Atcha, la quarantaine, s’en désole. « Nous vivons dans ce quartier comme au village. Dans presque toutes les maisons, il n’y a pas de robinets. Certains n’ont pas de puits. On se contente d’aller payer de l’eau pour la boisson et de recourir au puits pour le reste ». La qualité de l’eau contenue dans les récipients de cette dame occupée à faire la lessive ce mercredi 7 août donne un aperçu de la source d’approvisionnement. « C’est l’eau de puits. On sait que l’eau n’est pas consommable. On fait la lessive et quelques fois la cuisine et la vaisselle avec. Parfois, quand il nous revient de se laver avec, ça donne des démangeaisons », ajoute-t-elle.
Un paradoxe
Difficile de le croire. Mais Cotonou a encore du chemin en matière d’eau et assainissement. Les résultats de l’étude de cartographie des risques d’atteinte à l’intégrité dans le secteur en disent long : « Les ménages non abonnés paient des prix de l’eau prohibitifs, soit 170 à 255% du tarif de la Soneb. Ces ménages très pauvres ou pauvres consacrent entre 9 et 16% de leurs revenus aux dépenses de consommation d’eau potable, pendant que ceux qui sont directement abonnés à la Soneb n’y affectent que 2 à 5%. Malgré le taux de desserte considérable, la tendance révèle une situation plus profonde.
Razack Dandjinou, Chef quartier d’Abokicodji Lagune, Président de la commission infrastructures du 4e arrondissement ne cache pas son amertume. « C’est une question de moyens. Il faut dépenser énormément pour avoir un raccordement. Pour nous pauvres pêcheurs, c’est beaucoup. Même s’il faut aller payer au robinet, beaucoup n’ont pas les moyens pour disposer l’eau potable pour tous les besoins », explique-t-il. Et pour ceux qui arrivent à disposer d’un compteur, les charges finissent par peser. « Ils ont du mal à supporter les charges d’utilisation, le payement des factures et finissent par abandonner. Mais si vous leur posez la question, ils vous diront que l’eau qui est à la maison est claire et utilisable », déplore le Professeur Léocadie Odoulami, spécialiste des questions de l’eau.
A force de creuser, nous avons fini par découvrir un autre problème latent et qui finit par impacter l’accès à l’eau potable : les lotissements sans fin. Les raccordements deviennent donc difficiles, voire impossibles. « Moi-même je ne suis pas abonné. C’est une question de moyens. Mais le grand problème ici, c’est que le quartier n’est pas totalement loti. Ceux qui ont des moyens prennent le compteur ailleurs et investissent pour le raccordement. C’est pourquoi ici, beaucoup n’ont pas accès à l’eau potable. On va payer chez ceux qui en ont », explique Marcellin Akpété, chef quartier d’Ahouansori Tohoueta dans le 6e arrondissement. Et donc à défaut de débourser plus pour avoir accès à l’eau potable pour tous les besoins essentiels, les puits deviennent des alternatives.
« Une eau imbuvable »
Pourtant, cette eau n’est pas recommandée, non seulement à cause du phénomène d’instruction saline dans les zones proches de la côte mais aussi en raison de la pollution de la nappe phréatique. Plusieurs études l’ont démontré et au Dr Flavien Dovonou, chercheur à l’Institut National de l’Eau de confirmer les problèmes de qualité physico-chimique. « Pendant longtemps, nous avons eu le temps d’enterrer les déchets dans les maisons, dans les rues. Nous avons pris l’habitude de ne pas rendre étanches nos fosses septiques, les WC. Dans certains de ces quartiers à Cotonou, des gens continuent de déféquer à l’air libre, ce qui va provoquer la contamination du sol et de la nappe par du nitrate et du nitrite. C’est à cause de tout ça que l’eau de Cotonou est imbuvable parce qu’elle est chargée en microbes et en micropolluants ».
Le hic, c’est aussi les conditions d’hygiène dans lesquelles se trouvent ces puits. A ciel ouvert, avec un fond gris et une margelle pour la plupart verdoyante, ils présentent un aspect répulsif. « Lorsque les puits sont ouverts, il y a des feuilles mortes qui y tombent. Vous allez voir des insectes, des reptiles. Cela va pourrir pour contaminer l’eau. C’est la pollution microbiologique. Il y en a qui laissent le saut par terre. Même si l’eau est claire, elle n’est pas forcément propre du point de vue microbien ».
« C’est une méconnaissance des règles »
Bonne nouvelle. À Agla, Xwlacodji, Avotrou, Ladji et dans de nombreuses agglomérations périurbaines comme Godomey, les ménages jurent ne plus consommer cette eau pour la boisson. Mais dans les témoignages, il y a un bémol. « C’est plutôt les gens du quartier qui viennent puiser. Spécialement moi, quand je l’utilise, je sais ce qui m’arrive. Je suis infectée et je gratte. Je refuse à ceux qui viennent puiser mais ils ne veulent pas comprendre. Ils disent qu’une fois au feu, les microbes vont disparaître. Mais, je n’ai pas confiance », témoigne Wassi Silifath, résidente à Adogléta à Akpakpa. Loin de là, celui que nous appellerons Jérémie, conducteur de taxi-moto à Aïdjèdo voit plus qu’il nous le dit. « Dans mon propre quartier, des gens donnent l’impression d’utiliser l’eau de pompe, mais au fait, ils utilisent celle des puits pour préparer à vendre. Avec ça, il n’y a pas de raison qu’on n’ait pas le choléra », fustige ce conducteur de taxi-moto. Sur ce point, Yadjidé Adissoda Gbèdo, coordonnatrice du Programme d’amélioration de l’accès à l’assainissement et aux pratiques d’hygiène en milieu rural (Paphyr) relativise. « C’est une méconnaissance des règles d’hygiène. Je ne dirai pas que c’est la pauvreté. Les mêmes personnes peuvent trouver des moyens pour recharger leurs portables. Les mêmes qui craignent de dépenser pour l’eau potable finissent par le faire beaucoup plus quand la maladie survient. Il y a un travail de fond à faire dans ces milieux », analyse-t-elle.
Corriger le tir !
Face au risque de maladies hydriques, des campagnes sont organisées pour désinfecter les puits. Après une matinée chargée sur le terrain, Hermine Kouton, responsable du service de l’hygiène et assainissement de l’hôpital de Misséssin à Akpakpa accepte de nous recevoir. « On ne peut plus parler de consommation d’eau de puits à Akpakpa. Les ménages qui disposent encore de puits l’utilisent pour des travaux domestiques comme la vaisselle et la lessive. Mais nous leur expliquons que les microbes peuvent toujours se déposer dans les assiettes. Pour ceux qui se lavent avec, c’est très facile que ça entre dans la bouche. Certains n’aiment pas qu’on désinfecte leur puits. Nous arrivons quand même à le leur faire comprendre. Mais, en période d’épidémie, ils n’ont pas le choix. C’est systématique », confie la spécialiste en Hygiène de base.
Le Bénin ambitionne d’atteindre une couverture de 100% pour l’approvisionnement en eau de base d’ici 2021. Tout en saluant les efforts à l’intérieur du pays, les acteurs attirent l’attention sur la situation déplorable dans des quartiers à Cotonou et environs. Le Chef quartier d’Abokicodji pense qu’il faut repenser les alternatives. « Il faut que l’Etat nous aide à avoir des points d’accès collectifs où les gens viennent payer. Nous en avons besoin. Pour le moment, dans le quartier, il y a trois maisons où les gens vont payer la bassine à 50 Fcfa. Que l’Etat nous trouve un projet qui puisse permettre à ce que les ménages aient véritablement accès à l’eau potable pour tous les besoins », martèle Dandjinou Razack.
Au regard de son expérience sur le terrain, la coordinatrice du Programme d’amélioration de l’accès à l’assainissement et aux pratiques d’hygiène en milieu rural (Paphyr) attire l’attention des gouvernants. « Il faut que ça soit aussi une politique gouvernementale. Quand on parle de l’accès à l’eau en 2021, nous priorisons beaucoup plus l’intérieur du pays que les zones périphériques. Au 21e siècle, on ne devrait plus être en train de parler de cholera dans notre pays. Il faut des mesures adaptées à ces zones », soutient Yadjidé Adissoda Gbèdo. Dans tous les cas, Cotonou devrait cesser d’être un gros village sur ce point. Le chef quartier d’Ahouansori Tohoueta croit qu’une fois les verrous de lotissement levés et l’assainissement de ces milieux une réalité, cette triste image sera du passée, « avant 2021 ».
Avec le soutien de l’ambassade des USA