Il y a peu de temps encore, la planification familiale était, pour les populations en milieu rural, un mythe, une invention destinée à étouffer leur liberté sexuelle et reproductive. Aujourd’hui, comme un torrent qui déborde, les méthodes contraceptives ont envahi les milieux ruraux et, nolens volens, s’imposent à qui veut une vie meilleure.
Au Bénin, 55% de la population réside en dehors des villes. Selon les statistiques du Fonds des Nations Unies pour la population (Fnuap), 37,3% des adolescentes de 15 à 19 ans sont enceintes ou ont déjà un enfant avant 19 ans. Or, 17,7% de décès chez les adolescentes de 15 à 19 ans et 31,7% chez les jeunes filles de 20 à 24 ans sont dus à la mortalité maternelle. La prévalence contraceptive n’étant que de 4% chez les adolescentes de 15 à 19 ans et de 5,7% chez les jeunes filles de 20 à 24 ans. Pourtant, 11,9% des adolescentes entre 15 et 19 ans déclarent avoir eu leurs premiers rapports avant 15 ans et 49% des jeunes filles de 20 à 24 ans déclarent les avoir tenus avant 18 ans. Des chiffres qui traduisent la méconnaissance de la planification familiale en milieu rural et les risques qui s’ensuivent.
Zogbodomey, commune située dans la région Sud du Bénin à environ 110 km au Nord de Cotonou, est l’une des régions qui connaissent un fort taux de grossesses précoces et de mortalité néonatale ainsi qu’une faible utilisation des méthodes contraceptives (moins de 0,5% avant 2015). « La planification dans ces zones rurales est vraiment difficile. Les femmes ont peur de venir. Soit, elles craignent les effets secondaires ou, elles redoutent les hommes qui, eux-mêmes, ne veulent pas en entendre parler parce qu’ils ont l’impression qu’on veut les empêcher de procréer. De plus, les produits de la planification familiale étaient payants. Il était donc difficile de faire adhérer les populations à la planification familiale », raconte Estelle Adjinacou, sage-femme du centre de santé de Zogbodomey.
Mais, à l’en croire, les lignes ont bougé depuis peu grâce aux différents projets du ministère de la Santé, d’Institutions internationales et d’Organisations non gouvernementales qui appuient les femmes et les jeunes dans la planification familiale. « Dans la zone sanitaire Zogbodomey - Bohicon - Zakpota (Zoboza), les cas de mortalité maternelle et infantile ont diminué, les grossesses présentent moins de risques car elles sont de plus en plus planifiées. La tendance vers la planification familiale est en pleine ascension. Le taux de participation est passé de 2,7% en 2016 à 5% l’année dernière et s’est accru cette année», indique cette sage-femme enrôlée dans un projet financé par le Fnuap.
Pour y arriver, il a fallu favoriser l’adhésion des populations réticentes. « Nous avons changé la stratégie. Nous n’attendons plus les populations, c’est nous-mêmes qui prenons l’initiative. Nous profitons des consultations prénatales pour sortir les produits contraceptifs et en parler aux femmes. Donc, nous faisons d’une pierre deux coups. En plus, nous avons rendu ces produits gratuits pour que l’argent ne constitue plus un blocage », explique Estelle Adjinacou. Mais dans certaines zones, l’argent n’est pas le seul facteur de blocage.
A Sô-Avâ, commune lacustre qui compte environ 118 547 habitants, les populations doivent faire face à d’énormes difficultés d’accès aux services de santé et de planification. Selon les chiffres de l’Unfpa, la prévalence d’utilisation de la planification familiale en 2014 était de 0,84% avec 184 utilisatrices additionnelles pour toute l’année et pour cause, la faible connaissance des méthodes contraceptives qui induit une insuffisance des services de planification. Depuis quelques années, des relais communautaires bien outillés accompagnent les populations à travers des sensibilisations fréquentes et l’offre d’une large gamme de produits contraceptifs pour l’espacement des naissances et la réduction des grossesses précoces.
Pour s’adapter aux réalités de la commune et faire face aux difficultés d’accès aux soins, c’est une barque clinique mobile de planification familiale qui fait le tour des localités situées dans la cité lacustre et permet ainsi aux populations, quel que soit leur lieu de résidence, d’avoir accès aux offres. Pulcherie Achade, directrice adjointe de l’Ong Osv Jordan, une organisation qui travaille aux côtés des populations de Sô-Ava, précise: « Cette barque est un joyau. Parfois les femmes veulent adopter une méthode mais n’ont pas les moyens pour se déplacer. Constituée de deux cabines identiques climatisées qui servent de salle de counseling et de soins, elle permet de répondre aux besoins des sept arrondissements de la commune de Sô-Ava. Elle est accessible aussi bien aux femmes qu’aux hommes qui s’intéressent de plus en plus à la planification familiale à cause de la réduction des grossesses non désirées ».
Résignation ou instinct de survie
« Ce n’est pas si plaisant d’opter pour les méthodes contraceptives, surtout pour nous, hommes. Mais avec la situation économique, les maladies qui circulent aujourd’hui, je n’ai pas le choix. Parfois je suis dépité de devoir porter un préservatif, mais comment faire », commente, embarrassé, Bertrand Amèdannou, jeune leader de l’arrondissement de Sazué situé dans la commune de Grand-Popo. Pour les jeunes, la passion et parfois l’inconscience font oublier toute notion de planification. Mais très vite, la crainte de voir sa vie en ruine, suite à un plaisir, ramène à la raison. « J’ai horreur des pilules et injections, c’est pourquoi j’ai opté pour le préservatif. Et même si je n’aime pas vraiment ça, pour moi, c’est un réflexe, comme un instinct de survie, pas de relation sexuelle, sans préservatif. Mon mari a plusieurs fois tenté de m’en dissuader. Il déteste les méthodes contraceptives. Mais moi, je ne vais pas me créer une autre charge après un plaisir», confie Dame Ablavi Kiti, commerçante au petit marché de Sègbohouè.
Même si certains restent réticents, les méthodes contraceptives sont, de nos jours, mieux acceptées sinon tolérées en milieu rural. «Aujourd’hui, la demande est forte. Mais nous faisons de notre mieux pour éviter les ruptures et satisfaire les populations qui sollicitent de plus en plus les produits de planification familiale, en l’occurrence le Jadelle (implants sous forme de bâtonnets souples, scellés, blancs ou blanc-cassé d’environ 43 mm de long et 2,5 mm de diamètre, insérés sous la peau) que les femmes adoptent et le préservatif pour les hommes», fait savoir la comptable du centre de santé de Zogbodomey, Euphrasie Kounoudji. Et malgré toutes les initiatives prises pour vulgariser la planification familiale, les chiffres du Fnuap relèvent un besoin non satisfait en planification familiale pour 34,6% d’adolescentes de 15 à 19 ans et 33,7% de jeunes filles de 20 à 24 ans.