Vérité au-delà des périnées, erreur en deçà, dit l’adage. Pourquoi chercher loin ce qui est à portée de main, diront d’autres. La grande interview de cette parution ouvre ses colonnes à un personnage très connu dans les arcanes et méandres de la chrétienneté catholique. Membre de la direction de la musique sacrée depuis 1984, le désormais Professeur de musicologie vocaliste décide de faire profiter sa riche expérience à la jeune génération désireuse de faire carrière en musique. Comme tout corps de métier, la musique est aussi un art qui s’enseigne dans une école, un centre ou un institut respectant les normes universelles de formation. C’est désormais l’autre champ de bataille de l’homme au parcours élogieux qui, d’ores et déjà, dirige la Confédération africaine du chant choral. Décryptage de l’Institut régional du chant choral du Bénin sis à Houéyiho, c’est à travers cette interview qu’a bien voulu nous accorder Maître Simon DEDJI. Vocaliste, il est professeur de musicologie et Fondateur de cet Institut.
Educ’Action : Quel est l’intérêt d’un maître de chœur aujourd’hui pour le secteur culturel béninois
Pr Simon DEDJI : Je vais prendre un peu du recul en disant qu’il y a quelques années quand on parle de maître de chœur, on pense tout de suite à l’Eglise. Mais aujourd’hui, la musique a franchi les pas d’Eglise quoique ce soit l’Eglise qui nous a initié ; l’Eglise que je remercie parce que c’est l’Eglise qui m’a forgé. Et donc quand on parle de maître de chœur normalement, on ne doit plus seulement penser à quelqu’un qui chante pour prier. C’est vrai, on chante, on prie mais le maître de chœur est devenu un vecteur de développement de l’être humain et développement de la société, naturellement. Voilà ce qu’on appelle aujourd’hui maître de chœur, un vrai homme de développement.
Comment pouvez-vous contribuer alors au développement ?
Aujourd’hui et depuis toujours, la musique a atteint tous les aspects de la vie. Vous voyez quand on parle de Avogadro, on parle de Pythagore, ils étaient des musiciens, des musiciens savants. Donc, normalement la musique intervient dans tous les domaines, ainsi de suite. Je connais aujourd’hui même dans notre pays le Bénin, un médecin qui est à Parakou et toutes les fois quand il reçoit un patient, avant de passer au diagnostic, il lui joue une musique, il vous fait écouter de la musique pendant des heures et même à la fin, parfois, il ne prescrit pas un seul comprimé. C’est plutôt des CD, des musiques que vous écoutiez. Donc la musique intervient pratiquement dans tous les domaines. Elle est bien un facteur de développement.
Comment appréciez-vous le niveau des acteurs de la musique béninoise ?
Je crois qu’il y a beaucoup d’artistes béninois qui font du bon travail. Je partirai même des artistes traditionnels parce que lorsqu’on parle de l’éducation, elle commençait par la tradition, par nos griots…Par exemple chez moi à Dassa, lorsqu’on veut parler des risques d’intégration, on amène forcément des artistes qui chantent. Ce ne sont pas des chants ordinaires mais ce sont des chants qui ont un objectif, qui ont un texte d’éducation ainsi de suite. Je prends un simple exemple : mon mémoire de recherche en musicologie, c’est bien le chant dans les rites traditionnels et d’intégration en milieu Idatcha, sens, impact et conséquences. A vrai dire quand on prend ces musiciens traditionnels, ils travaillent pour l’éducation, tout ce qui concerne l’être humain. Mais quand on prend les artistes modernes, il y en a beaucoup aussi qui font du bon travail. Je prends un chant simple de Sagbohan Danialou, « qui allons-nous remercié en Goun » ce qui signifie « Min wè mi na dokpè nan » qui me fascine, qui a raconté l’histoire, une bonne partie de l’histoire du Bénin. C’est ce que l’on appelle dans la musique contemporaine, histoire de la musique. Quand on prend Nël Oliver, c’est des gens qui ont fait du bon travail. Par contre, je ne veux pas citer des noms, il y en a qui, vraiment quand ils chantent ou quand ils se produisent, on est déçu. C’est dommage !
Au regard de ce diagnostic, avez-vous le sentiment d’être sollicité pour tout au moins des séances de recyclage pour relever leur niveau ?
Je dirai oui et non. Non parce que beaucoup de gens ne savaient pas qu’au pays, il y avait des possibilités de recyclage, de formation. Quand on parle de formation, on pense toujours à l’extérieur, c’est la France, c’est les Etats-Unis. Pour la petite histoire, au Bénin, il y a un professeur qui cherchait un technicien vocaliste et qui est allé chercher dans deux autres pays, il n’a pas trouvé. Arrivé au Togo, il va à l’institut, il se renseigne sur son besoin. En l’orientant, le directeur se mit à rire et lui fit comprendre que le spécialiste vient de chez lui, vient du Bénin. Et tout de suite, il a pris mon numéro, et quand il est rentré, il me fait de vifs procès du refus de servir mon pays. C’est là où je lui ai répondu qu’il n’a pas cherché à savoir si dans son pays, il y a quelqu’un. Donc, on ne peut pas condamner les artistes qui ne cherchent pas à se faire former, soit parce qu’ils n’ont pas les moyens, soit par ignorance de ce que ça existe au Bénin. Le second problème, c’est que nous-mêmes, nous n’avons pas fait assez de lobbying autour de ce que nous sommes capables de faire ou de ce que nous savons faire. Donc, nous ne pouvons pas les condamner. Mais depuis un certain moment, quand ils ont su, actuellement je travaille avec un groupe d’artistes qui le désirent ardemment et parfois moi, je suis peiné lorsque je les vois s’incliner pratiquement…ce sont des artistes que nous voyons à la télévision, que nous respectons mais qui soient obligés de s’incliner pratiquement pour apprendre. Donc, on ne peut pas les condamner. Maintenant, grâce à vous, ils seront informés de l’existence sur place de possibilité de se former ou de se recycler que de penser à l’extérieur et au coût y afférent.
Vous avez récemment reçu des délégations étrangères faites d’un panel de plusieurs célébrités musicales. Quel est le motif de cette rencontre ?
Il y avait deux aspects. Il y avait la formation des jeunes du chœur africain. Il y avait un colloque international sur le chant choral et le développement durable. Francesco, Christian Parriot, Thierry Tchiebbo, le Président international à Chœur joie, étaient venus dans le cadre du colloque. Mais les autres tels que Pascal Kouagouan, Evelyne Damas, Ambroise Koizimbi sont venus dans le cadre de la formation des jeunes africains qui croient qu’à travers la musique, on peut changer l’Afrique.
Quelles sont les recommandations, les résolutions qui ont sanctionné ce colloque ?
Premièrement, nous avons créé la Confédération africaine du chant choral, c’est le premier grand objectif. Ensuite, nous avons dit qu’il faille que nous trouvions un creuset pour que tous les Africains se retrouvent comme les Européens, les Américains se retrouvent, à travers des projets comme Africa contact, un peu comme Europa contact, American contact comme sous d’autres cieux. Donc nous avons proposé que désormais, le Bénin et l’Afrique entière se retrouvent pour Africa contact. L’année passée, il y a eu des choralies. Je vous avoue que ça a rassemblé six mille cinq cents choristes en France dans un petit village. Economiquement, vous vous imaginez ce que cela peut représenter pour ce village ? Nous voulons aussi transformer l’Afrique avec ces grands rassemblements.
Pourquoi avoir choisi de créer un Institut régional de chant choral ?
Je commencerai par dire pourquoi avoir choisi de créer un Institut. Je veux qu’on arrête avec la musique de rue. Ensuite que nos valeurs soient reconnues. Devant les autres expatriés, on ne vaut rien parce qu’on a aucun parchemin. Arrêtons ! Commençons par montrer aux gens que nous sommes capables. La preuve, c’est qu’au niveau de l’Institut ici, j’ai pu détecter vingt cinq jeunes qui sont capables de passer directement en troisième année. Je les ai écoutés, je les ai auditionnés et ils ont le niveau, je dirai même un niveau supérieur à la licence mais puisque l’Institut s’arrête au niveau Licence, je me suis dit commençons par régler la question de diplôme avec les Béninois, deuxièmement que les Béninois aient un vrai creuset d’information et qu’ils se rassurent. Quand on a appris à jouer à la musique sur le tas, parfois on est dubitatif mais quand quelqu’un donne caution à ce que vous faîtes, ça propulse. C’est le premier aspect de l’Institut. Le deuxième aspect de l’Institut, si on n’a pas de formation, comment les jeunes peuvent penser à la musique de développement parce que là au niveau de l’Institut actuellement, nous avons huit (08) unités de valeurs mais il y a une unité qui est fondamentale pour moi, celle pédagogique et de recherche en musicologie. Ces deux unités de valeur m’intéressent. Voilà de façon globale, les raisons qui m’ont motivé à créer l’Institut et dès l’année prochaine, nous aurons les vingt cinq (25) premiers licenciés qui vont faire des recherches sur la musique béninoise. C’est fondamental. Et le troisième aspect, c’est trouver un creuset pour conserver notre musique africaine qui disparait. Voilà pourquoi au niveau de l’Institut, contrairement à l’Institut du Togo, nous avons une unité de valeur obligatoire, c’est la percussion. C’est obligatoire pour tous les étudiants. Si tu n’élimines pas cette unité de valeur, nous ne te passons pas parce que nous sommes d’abord africains avant d’être musiciens contemporains ainsi de suite. Et je voudrais bien que nos musiciens béninois, les licenciés savent jouer au Zinli, au Toba, au Gounbé de Dassa, au Tèkè pour ne citer que ceux-là. Voilà pourquoi j’insiste sur la percussion comme unité de valeur principale.
Quelles spécificités offre l’Institut en terme de formation ?
Elles sont nombreuses. Mais je ne voudrais pas toutes les dévoiler en entièreté. Mais premièrement, c’est permettre à nos étudiants de travailler sur notre musique, de prolonger le travail que l’un de nos compatriotes Julien Atchadé qui est Docteur en linguistique a fait à Parakou et il a pu répertorier les instruments joués au Bénin depuis un siècle. Deuxième spécificité, fournir à nos lycées et collèges des professeurs dignes de musique parce que nous avons des gens qui font un mois de formation et qui se disent professeurs dans les lycées et collèges, je me demande bien ceux qui enseigneront aux élèves. Ça tue même dans le cœur des enfants, l’envie de faire la musique. Je me réjoui souvent quand je dis que je suis d’abord professeur certifié de mathématiques avant de dire je suis professeur de musique. Donc il faut que dans le cœur de ces enfants, qu’on ait des gens capables de leur dire que la musique n’est pas une matière de ‘’banabana’’ comme le dirait notre ancien Président.
Parlez-nous de l’organisation pratique du cours ?
Je vais m’appuyer sur des professeurs locaux que je connais et qui ont fait des écoles de musique, je veux citer Abel Dossoumou qui fut chef département à l’EPAC, ex-CPU à l’université et qui a fait un conservatoire à Paris. Ensuite je vais me baser sur des professeurs de notre voisin du Togo où j’enseigne et où certains ont un DEA en musicologie à Strasbourg. Je vais donc fusionner toutes ces forces et compétences pour les mettre à la disposition du Bénin pour cultiver la musique et permettre dans une année ou dans deux ans d’avoir beaucoup plus de professeurs locaux. Nous avons deux catégories d’étudiants. Nous avons ceux qui ont déjà le Bac et ceux qui n’ont pas le Bac. Ceux qui ont le Bac feront trois (03) ans pour faire la licence, 1ère année, 2ème année et 3ème année. Ils viennent sans aucun bagage musical. Mais ceux qui ont déjà des pré-requis comme les artistes, nous allons les évaluer, et comme nous avons commencé déjà d’ailleurs, les mettre soit en 2ème année ou en 3ème année comme j’ai pu cibler vingt cinq personnes qui sont capables d’aller directement en 3ème année. Maintenant ceux qui n’ont pas le Bac, nous allons leur faire un ou deux ans de recyclage pour leur permettre de passer le CAP musical et le Bac musical avant d’aborder le cycle de la licence.
Avez-vous l’adhésion des autorités surtout du ministère en charge de l’enseignement supérieur parce que quand on parle de diplôme, on parle de reconnaissance ?
Par rapport à la reconnaissance des diplômes, aucun problème ne se pose parce qu’on a dit Institut régional. Et le diplôme existe et est déjà reconnu au Togo. Donc nos diplômes sont naturellement reconnus même si les autorités béninoises ne les reconnaissent pas ici. Mais nous sommes en train de faire un travail au niveau des autorités pour qu’on aille au-delà même de ce que nous sommes en train de dire parce que quand on parle normalement d’Institut, il y a des unités de valeur théoriques et pratiques. Les unités de valeur théoriques sont enseignées dans les universités. Mais nous n’avons pas une Faculté de musicologie au Bénin. Nous sommes en train de travailler dans ce sens là pour qu’on crée la Faculté de musicologie ici pour que nos étudiants puissent aller faire les deux unités théoriques à l’université et que les étudiants qui feront la faculté de musicologie là viennent faire les unités pratiques chez nous. Nous souhaitons qu’à l’issue de tout ça, qu’on permette comme on le fait déjà au Togo, que nos étudiants après les trois (03) ans puissent passer dans une école normale supérieure pour faire de la pédagogie, la psychopédagogie pour devenir professeur certifié dans les lycées et collèges. La musique est aussi valable que la mathématique, aussi valable que les Svt, et autre. Je ne veux pas critiquer, il y a des matières qui, pour moi, n’ont pas autant d’importance que la musique pourtant celles-là sont certifiées et enseignées dans les collèges et la musique qui est au-delà qui devait être le terreau même des matières est reléguée au dernier rang. Donc nous voulons faire cette lutte là et nous croyons en nos autorités et nous croyons qu’elles vont l’accepter après avoir vu le bien fondé et qu’elles finiront par donner toutes les autorisations qu’il faut. La rentrée est prévue pour démarrer dans deux semaines. Nous avons eu ) faire les dernières auditions samedi dernier. Il en reste quarante deux (42) à faire et après ça, nous démarrons les cours officiellement.
Un message à l’adresse des potentiels étudiants de l’Institut ?
Je souhaiterais bien que nos étudiants prennent au sérieux et je crois d’ailleurs qu’ils ont compris parce que c’est moi qui ai pratiquement obligé d’autres à aller s’inscrire dans nos facultés à l’université parce qu’ils ont dit qu’ils veulent uniquement se consacrer à la musique. Je souhaiterais qu’ils le prennent à bras le corps et qu’ils mettent toute leur vie pour qu’enfin nous changions la face de la musique béninoise.
Propos recueillis par : Serge-David ZOUEME & Romuald Domar LOGBO