Des poissons contaminés. Des vies humaines exposées, développant différentes sortes de pathologies à la consommation des poissons pris dans le lac. L’encombrement des tas d’immondices le long du lac Nokoué constitue un danger non seulement pour l’environnement ; mais pour les espèces halieutiques et humaines. Enquête.
Assis torse nu dans son fauteuil dégarni de coussins devant sa case sur pilotis à Sainte-Cécile, un des quartiers de pêcheurs de Cotonou, M.Totin Aziadéko, pêcheur depuis plus d’une cinquantaine d’années, scrute cet après-midi le ciel en ce lundi du début du mois de septembre 2019, l’index entre les lèvres. Il secouait de temps à autre la tête. A la question de savoir ce qui l’intriguait si tant, le vieil homme répond sèchement : « La pêche sur le lac n’est plus rentable. Après plusieurs heures de pêche, je suis revenu avec seulement moins d’une dizaine de poissons carpes ». Son épouse Ablavi Mensah estime que les poissons du lac Nokoué ne comblent plus les besoins de la famille. « Je suis chaque fois obligée d’acheter les poissons congelés importés pour nourrir la famille », a-t-elle affirmé. M. Vincent Yétongnon, un pêcheur de Sainte-Cécile explique que les ordures constituent l’un des facteurs de l’appauvrissement en poissons du lac. Toute la bordure du lac Nokoué est aujourd’hui jonchée des ordures de toutes sortes. En cette période de crue, des pans entiers s’écroulent et flottent au-dessus de l’eau. Une pollution qui expose les poissons à la contamination. En effet, la plupart des déchets déversés dans le lac contiennent des produits chimiques, biomédicaux, des métaux lourds comme le zinc, le mercure, le plomb, l’étain, le cuivre, le fer, le nickel etc. qui détruisent la vie des poissons. « Ces matières solides constituent un poison pour toutes les espèces vivantes dans le lac Nokoué », a indiqué M. Cyrille Aholoukpè, chef service point focal suivi-évaluation à la direction des pêches du ministère de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. A Hindé, l’eau du lac est désormais de couleur ocre, polluée par des immondices. L’odeur que dégagent ces déchets est insoutenable. Les vendeurs et vendeuses de piments et d’ognons se sont installés de part et d’autre de l’eau pour faire écouler leurs marchandises. L’air suffocant empêche tout visiteur d’y résister longtemps. « Les responsables du marché ont formellement interdit de jeter des ordures dans le lac. Mais, nous retrouvons toujours ces déchets là », s’étonne dame Philomène Vivossi, vendeuse d’épices au marché Dantokpa. Il existe des endroits où les usagers du marché Dantokpa doivent obligatoirement déposer leurs ordures. Malheureusement, ces lieux sont délaissés par certains et les ordures se retrouvent dans le lac. « Lorsque les barques à ordures sont remplies, les marchands ne savent plus où déverser leurs déchets. Des inconnus vont nuitamment se livrer à cette sale besogne à l’insu de tout le monde », a fait savoir M. Assane Zoubérou, le secrétaire général de l’Association des réceptionnaires de piments et oignons de Malanville (Arpom) au marché Dantokpa. « Nous ne connaissons jamais ceux qui déversent les ordures dans le lac. Nous travaillons quotidiennement ici pour assainir le marché », s’est dédouané M. Goslin Ahamédé, contrôleur du Point de regroupement des déchets solides et ménagers de Hindé.
La contamination des poissons et de l’homme
Le comblement du lac Nokoué avec les ordures est un véritable danger aussi bien pour les poissons que pour les êtres humains. Tout d’abord, le lac se rétrécit dans le sens de la largeur à grande échelle à plusieurs endroits. « Ici à Hindé, les populations ont fermé le lac avec des ordures sur une distance de plus de vingt (20) mètres environ en cinq (05) ans », a avancé Mathieu Sonon, un vendeur de charbon à Hindé. L’espace est actuellement occupé par des marchands qui ne se soucient des conséquences d’un tel acte. Ensuite, les poissons se nourrissent contre leur gré des détritus des ordures qui sont en réalité des matières chimiques impropres à la consommation. « Il arrive parfois que nous trouvions des poissons et des crevettes morts à la surface de l’eau. Nous ne savons pas toujours ce qui leur arrive », a déploré M. Hector Djinou, pêcheur à Gbèdjromédé. Il est alors impossible de déterminer des produits halieutiques contaminés ou non qui proviennent du lac Nokoué. A cet effet, Cyrille Aholoukpè exhorte à la prudence. Les déchets solides et ménagers entrainent la baisse de la reproduction des poissons, la réduction du taux de fécondité, et l’augmentation du taux de mortalité des espèces halieutiques. Les poissons ne sont pas les seuls à être exposés aux effets de la pollution du lac. Les consommateurs de poissons et des autres produits issus de ce cours d’eau sont aussi concernés par cette contamination. « Nous recevons des patients qui développent des pathologies comme le cancer, des maladies cutanées, pulmonaires etc. Après les analyses, nous remarquons qu’ils ont consommé sans le savoir du plomb, du zinc, du mercure ou de l’étain», a déclaré un médecin qui a requis l’anonymat. Selon lui, la plupart de ses patients proviennent des quartiers de pêcheurs tels que Sainte-Cécile, Gbédjromédé, Hindé et Aïdjèdo.
Malgré les multiples séances de sensibilisation et de mobilisation organisées par la direction des pêches depuis 2017 à l’endroit des riverains du lac, les déchets solides et ménagers continuent d’être déversés dans le cours d’eau créant un déséquilibre de l’écosystème. « Les poissons ne retrouvent plus les conditions normales pour pondre beaucoup d’œufs afin de clore assez de poissons dans le lac », a précisé Cyrille Aholoukpè. D’une superficie de 339 hectares, le lac Nokoué est le plus grand cours d’eau des départements de l’Atlantique et du Littoral. Il fournissait il y a encore quelques années plus de 18 000 tonnes de ressources halieutiques à la population. Aujourd’hui, l’on en trouve que 10 000 tonnes environ de produits du lac par an, selon la direction des pêches. La présence des ordures dans le lac perturbent sérieusement l’activité de la pêche sur le lac. Les poissons ne sont plus à foison comme auparavant il y a encore une vingtaine d’années. Les poissons se nourrissent mal et sont plus maigres. « Grâce à la pêche sur le lac Nokoué, j’ai construit ma maison et tous mes quatre enfants sont devenus des cadres de l’Etat. Aujourd’hui, je ne peux plus gagner mille (1000) FCA par jour de la vente des poissons », regrette M. Léon Gbètoho, pêcheur à Hindé.
Jean-Discipline Adjomassokou
Avec le soutien de l’Ambassade des Usa près le Bénin.