(L’autre grand parolier qui s’impose dans l’arène artistique)
Héritier d’un savoir-faire ancestrale et artistique, l’art de diffuser l’émotion et de déposer l’histoire vraie des peuples africains à travers la parole, Séidou Barassunon, alias ‘’Barasuno’’, embrasse son destin sur fond d’un travail exécuté dans une humilité constante qui précède certainement sa légende. Né d’un père griot de la cour royale et d’une mère Haoussa, gardienne des valeurs spirituelles et endogènes de l’ethnie Bariba, le jeune griot du haut de sa trentaine est un digne fils de N’dali. Découvrons-le.
Matin Libre: Votre enfance semble bercée dans une richesse culturelle hybride et séculaire. Quel a été votre parcours jusqu’à l’appel de la muse ?
Ma jeunesse a été une grâce que je dois à mes parents. Je ne cesserai jamais de les remercier pour ce qu’ils ont fait de moi. A travers l’éducation qu’ils m’ont accordée, j’ai bénéficié des valeurs et des principes inspirés par l’école occidentale, l’école coranique et la cour où la culture de mes parents notamment l’art griotique s’apprend.
De quoi retourne ces valeurs et principes ?
Ma rencontre avec l’école occidentale m’a ouvert la porte de la culture étrangère et du monde. J’ai fait un cursus scolaire et universitaire couronné par une licence en socio-anthropologie après un diplôme de technicien en agriculture tropicale. De cette éducation, j’ai appris à communiquer dans la langue et la pensée héritées de la France. Mieux, cela a suscité en moi l’esprit d’entreprendre et d’être productif. J’ai eu les outils avec lesquels la réalisation de mes projets dans le domaine de la culture me stresse moins. Quant à mon éducation dans l’école coranique, ma personnalité a été enracinée dans l’humanisme et l’humilité. C’est grâce à cette étape de ma vie que j’ai acquis la conscience qui me guide tous les jours à vivre dans la crainte de Dieu, dans l’esprit du partage, l’amour du prochain et la bonne lecture des pensées des membres de la société. En ce qui concerne l’éducation reçue dans la cour où la culture de mes parents notamment l’art griotique s’apprend, je me réjouis de partager avec vous, les valeurs et principes ayant formaté mon corps et mon esprit et qui sont riches, variés et structurants. Premièrement l’éducation avec ma mère a nourri ma personne de vertus qui m’octroient certains dons à savoir : la prédiction, la parole chargée de grâces, la connaissance des plantes… Il s’agit des vertus qui donnent à l’homme des capacités d’adaptation dans une société africaine dynamique et remplie de défis. J’ai eu cette chance avec une mère gardienne de la culture haoussa dans notre communauté qui est aussi celle de l’usage de la parole comme une force de purification, une recette de guérison de l’âme, de l’esprit et du corps. Nous sommes déjà au cœur des arts griotiques. Cet art, j’en suis un héritier, un produit, un fruit. Il m’a été transmis par rituel, donné par éducation, confié par amour et reconnaissance. Il a édifié mon être durant des années, faisant de moi, la résultante d’une connaissance et d’un savoir-faire séculaire. Je parle de la connaissance des différentes dynasties de l’aire culturelle Baatonu, des panégyriques des princes Wassangari, de la philosophie des messages et proverbes de cette communauté. Je parle du savoir-faire relatif au style oratoire et vestimentaire. Je parle également des qualités d’humilité, du respect des autres, du sens du partage, de la soumission à son maître, de la discrétion. Vous découvrez donc avec moi que le griot est un métier sculpté dans des règles, valeurs et principes. C’est par ceux-ci que celui-là peut s’identifier dans nos sociétés actuelles comme un artiste spécial. Car un griot est certes un artiste, mais il est par essence un communicateur traditionnel, un médiateur social né, le conseiller du roi, le dépositaire de l’histoire des familles, des dynasties et des peuples.
Pouvons-nous conclure que votre vie professionnelle, vos réalisations actuelles et celles à venir s’appuient sur ce pilier forgé par votre édifiante éducation ?
Vous avez la réponse à cette question. Quant à moi, je continue ma route dans la quête de la connaissance des arts griotiques et de la culture des peuples et communautés dont je suis une œuvre.
Une œuvre, que dis-je une légende en construction ! N’est-ce pas ?
(Souffle…)
Parlez-nous de l’artiste Barasuno œuvre d’une vie professionnelle et d’un porteur de projets
La vie professionnelle de l’artiste Barasuno est celle d’un griot engagé pour servir sa communauté, déterminé à mettre son art au service de son peuple. C’est une vie débutée en 2002 comme la tradition l’exige : une prestation dite « Yaa Bararu » par laquelle le griot investit une boucherie et aide son maître, à travers sa voix, sa parole et son tambour, à mobiliser les clients et vendre ses produits. Après cette expérience fructueuse, j’ai pris mon temps pour revenir sur la scène avec mon premier album lancé le 18 février 2015 à l’Institut Français de Parakou. Cet album composé de douze titres s’intitule « Tuuba » et qui signifie confession, est produit par le Bureau Conseil Yamaro don monsieur Gaston Yamaro est le directeur. Il aborde diverses thématiques réparties en trois sujets principaux à savoir la culture, la société et la crainte de Dieu. La diffusion des œuvres de cet album m’a ouvert la porte de plusieurs concerts live animés en solo ou avec le groupe Baatonu Beat Band dont je suis l’initiateur. Nous avons joué dans plusieurs villes du Bénin, Nikki, Cotonou, Parakou. J’ai aussi participé, en qualité d’artiste invité, à plusieurs festivals en Afrique (Mali, Guinée, Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Nigéria…) en Europe (Belgique, France…). Dans cette exploration artistique et griotique, j’ai eu en 2018, le premier prix jeunesse francophone 35 35 dans la catégorie Arts et Culture. Je poursuis mon chemin d’artiste avec le Festival des Arts Griotiques (FAG) dont je suis l’initiateur. Cette rencontre culturelle, je la réalise avec une équipe de jeunes dynamiques et compétents depuis 2017. L’édition 2020 est en cours de préparation après celle de 2019 ayant connu un succès avec plusieurs activités, concerts, renforcement de capacités des griots en herbe, conférence-débat… Je me préoccupe de la structuration des acteurs et du métier même du griot au Bénin et en Afrique. A ce titre, j’ai porté sur les fonts baptismaux, le Centre de sauvegarde du patrimoine griotique (Cespag) dénommé « Bara Kpaaru » ce qui désigne « Maison des Griots » qui a son siège à Parakou. Sur cette même lancée, je coordonne le réseau national des griots du Bénin et je représente en Afrique de l’Ouest, le point focal l’Ong américaine Wikitonges qui œuvre à la promotion et à la conservation des langues maternelles dans le monde. Je sors d’une tournée internationale au cours de laquelle j’ai donné un concert à l’Alliance Française de Lagos après avoir bénéficié de l’enregistrement, par la maison de production Volume Sonore, d’un album dans le cadre du projet Afrophonic. J’ai aussi mis mon art griotique au service des œuvres sociales cela a été un honneur pour moi d’avoir été associé par l’Unicef et le gouvernement béninois dans le la mise en œuvre du projet Tolérance Zéro au mariage des enfants. Les mois à venir, les initiatives qui me tiennent à cœur sont entre autres : le lancement de mon deuxième album de douze titres intitulé Waratonu et la participation au projet « Medecine Man Orchestra ».
Décortiquez-nous ce dernier projet ?
« Medecine Man Orchestra » est un projet culturel d’envergure internationale grâce auquel des griots de plusieurs pays d’Afrique se mettent ensemble pour, par le truchement d’une résidence de création de spectacles et de morceaux enregistrés dans une maison de production, mettre en place une clinique artistique. Cette clinique sillonnera plusieurs pays de l’Afrique, de l’Europe et des Etat-Unis. Le concept de clinique artistique traduit l’idée de la musicothérapie. C’est une nouvelle forme de manifestation de l’art griotique, utilisé pour donner aux spectateurs, l’émotion, la jouissance et la joie en surfant sur les vertus de la méditation, de la consolation et de la transe. C’est un projet innovant qui se donne comme mission, la guérison de l’homme, entité sociale, culturelle et émotive.