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Le professeur Albert HONLONKOU sur Zone Franche de Canal3 Bénin : « Il faut développer une industrie locale’’

Publié le lundi 23 septembre 2019  |  Fraternité
Professeur
© aCotonou.com par dr
Professeur Albert HONLONKOU,
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Avec des frontières nigérianes verrouillées, le Bénin est toujours à la recherche d’une porte de sortie de crise. Invité sur l’émission Zone Franche de Canal3, le Professeur Albert HONLONKOU a analysé les impacts de cette mesure unilatérale du Nigéria. Le Directeur scientifique du laboratoire d’économie des sciences socio écologiques et de la population de l’Université d’Abomey-Calavi a aussi énuméré quelques portes de sorties de crise, à court et à moyen termes.

Depuis plus d’un mois que les frontières nigérianes sont fermées, comment analysez-vous la situation ?
C’est une situation catastrophique pour le Bénin. Quand on prend le commerce extérieur du Bénin, le Nigéria représente plus de 50%, surtout quand on tient compte de l’informel. Bloquer les frontières pour les produits béninois, c’est assez alarmant. Si le Nigeria avait seulement bloqué les produits de réexportation, on comprendrait. Mais comme le blocage est total, notamment avec les produits locaux, ça pose un véritable problème.

Quels sont les produits qui sont touchés par cette fermeture des frontières ?
On peut parler des produits classiques, c’est-à-dire les produits de réexportation, à savoir les véhicules d’occasion, le riz, les produits congelés, etc…Mais comme la fermeture n’est pas discriminatoire et qu’il y a aussi des produits locaux tels que les légumes, les fruits, le maïs, l’arachide, ça pose un vrai problème.

D’aucuns parlent de fermeture des frontières, d’autres de verrouillage des frontières. Pourtant, des gens vont au Nigéria et reviennent. Quelle est la terminologie appropriée pour qualifier ce qui se passe en ce moment ?
Quand on ferme une porte, cela dépend de la nature de la fermeture de la porte. Cela peut être un grillage ou autre. Mais quand vous parlez de verrouillage, cela veut dire qu’on a mis un verrou quelque part et on n’ouvre jamais. Mais on ne connait pas la nature de la porte. Quand on parle de blocus, ça veut dire qu’il y a rupture de toute communication. Or ce n’est pas le cas actuellement. Alors, tenons-nous au mot fermeture.

Qu’est-ce qui peut expliquer la survenance de cette situation ? Y avait-il un précédent entre le Nigéria et ses pays voisins ?
Oui, le Nigéria a toujours fermé ses frontières. On a essayé de tout faire pour les faire rouvrir. Maintenant, ça dure un peu. La première cause avancée par le Nigéria, c’était la sécurité transfrontalière, le banditisme, le trafic d’armes. Mais on a compris rapidement qu’il ne s’agit pas de cela. Il s’agit d’un problème économique, parce que le Nigéria a un certain nombre de problèmes pour lesquels il a mis en place des mécanismes. Le Nigéria est confronté à ce qu’on appelle la ‘’malédiction de ses ressources naturelles’’. Quand vous avez le pétrole, vous avez tendance à oublier les autres secteurs. Et quand le pétrole baisse de prix, vous avez des problèmes. Le Nigéria, en voulant résoudre ce problème, avec la baisse des devises, a dit qu’il va développer et diversifier son agriculture. Et pour encourager les productions des produits locaux, il faut mettre fin à l’importation des produits qui coûtent moins cher que ceux locaux. Il appelle cela substitution à l’importation. Au lieu d’importer du riz, on produit le riz localement et c’est au profit des producteurs locaux. C’est cette politique que le Nigeria entend mener. Ce qui est sûr, le Nigeria n’est pas autosuffisant en riz. Mais, ce qu’ils veulent, c’est que, si les Nigérians ne veulent pas consomment le riz, ils peuvent consommer le manioc ou d’autres produits. Ils veulent que les Nigérians changent leurs habitudes alimentaires. Or pour le faire, il y a sûrement des problèmes, parce que, quand le prix du riz augmente, les consommateurs ne sont pas contents. C’est pourquoi ils introduisent de l’idéologie pour avoir un certain patriotisme local.

On a compris que la sécurité n’était qu’un prétexte pour fermer les frontières. Le vrai problème, c’est donc la production du riz local. Mais cela suffit-il pour fermer les frontières ?
Si le Nigéria ne veut pas du riz, qu’il interdise l’importation du riz et laisse les autres produits circuler. C’est difficile pour eux de le faire, parce que les gens peuvent vendre illicitement les autres produits. Il veut donc tout bloquer et obliger le Bénin à stopper l’importation de ce type de riz. Selon les statistiques mondiales, le Bénin est le 6ème importateur de riz. Ce ne sont pas des Béninois qui consomment ce riz. Ce taux avoisine un milliard de dollars, donc 500 milliards de Fcfa. Cela représente le quart de notre budget. On ne consomme pas le riz comme cela. C’est à cause de ce commerce vers le Nigéria, le Niger et autres pays. Et c’est le Nigeria qui prend la plus grosse partie. De ce fait, le Nigeria trouve que, si le Bénin bloque les importations, cela les arrangerait.

Et ces performances dans le classement que vous avez évoqué vont baisser.
Absolument ! Les services de l’Etat seront touchés. Les droits de douanes et autres taxes vont considérablement chuter.

Pour une telle performance, il n’y a pas que le Bénin. Il y a aussi le Niger qui reçoit une bonne quantité de riz. Pourquoi sanctionne-t-on le Bénin pour une faute qu’il n’est pas seul à commettre ?
Il y a les frontières béninoises qui sont assez poreuses. On a 800 km de frontières avec le Nigéria. Il y a aussi le Niger qui a interdit l’entrée du riz sur son territoire. A partir de ce moment, les commandes que le Bénin a en attente risque d’aller vers le Nigéria. Ainsi, ce dernier a davantage renforcé la fermeture.

Pourquoi le Bénin n’a rien fait de façon officielle jusque-là ?
Ils ont peut-être une diplomatie discrète. Il y a plusieurs types de positions. Certains disent que le Nigéria fait le grand. Donc, on ne fait rien et on les laisse faire. D’autres disent qu’on aille vers les institutions communautaires, la Cedeao, et on essaie de faire des coalitions au niveau de l’Uemoa pour mettre la pression sur le Nigeria. Il y en a aussi qui disent qu’on peut s’agenouiller depuis Cotonou pour aller demander pardon à Abuja. Mais moi, je pense que c’est la solution du milieu qui est bien. Parce qu’il faut invoquer les institutions communautaires. Ça nous amène globalement à un certain nombre de choses. Nous avons besoin de ces institutions, parce que le Bénin est un petit pays.

Je voudrais revenir sur les produits interdits d’importation par le Nigeria. Quels sont les autres produits que le Nigeria ne voudrait pas voir sur son territoire, puisqu’il a souvent dit qu’il peut accueillir nos produits locaux ?
C’est finalement tous les produits qui sont refusés, puisque le Nigeria a bloqué la frontière et rien ne passe. Le cas des véhicules d’occasion est typique. C’est pourquoi il n’évoque pas trop cela. Puisqu’il a autorisé l’importation des véhicules d’occasion, cela veut dire que le port de Cotonou et Lagos peuvent être en compétition. Et normalement, cela ne devrait pas être un problème, selon les accords de la Cedeao. Un Nigérian peut venir au Bénin et importer son véhicule et vice-versa. Donc, c’est un peu difficile pour eux. Et récemment, ils ont commencé par limiter l’âge des véhicules. Il y a aussi les produits locaux qui ne devraient pas normalement poser de problème. Mais, c’est un drame d’autant plus que nos agriculteurs sont directement touchés.

Au niveau des frontières, il y a un grand monde de producteurs et de commerçants qui constatent impuissants l’avarie de leurs produits.
Je vous donne l’exemple d’un paysan. L’ananas fait 18 mois de culture et d’entretien. Et il faut investir environ 3 millions de Fcfa. Et quand on le conserve pendant 2 semaines, ça se détériore. Quand un paysan va envoyer cet ananas au Nigéria, il se trouve bloqué. Et l’ananas pourrit. Il perd ainsi 3 millions de Fcfa. S’il fait plusieurs hectares, imaginez la perte. On décourage ceux qui veulent produire localement à cause des réexportations.

Cette guerre économique entre le Nigéria et les autres pays cache-t-elle autres choses ?
Toute politique est toujours locale. Nous n’avons pas chez nous le soutien que Buhari a au Nigeria. Et nous voyons le Gouvernement, alors qu’il y a 12 institutions qui peuvent intervenir, mais elles sont complètement affaiblies. Je parle du patronat qui peut entrer en négociation avec la chambre de commerce nigériane. Il ne faut pas oublier qu’il y a des lobbies locaux au Nigeria qui donnent des orientations. Au Bénin, c’est un peu compliqué aussi, parce que, en parlant de l’importation et de la réexportation du riz avec un chiffre d’affaires de 500 milliards de Fcfa, les opérateurs économiques ne peuvent pas disposer de cette somme. Ils partagent avec les politiques. C’est extrêmement compliqué. Si on bloque cela, il y aura beaucoup d’acteurs socio-politiques qui seront en difficultés.

On a vu des têtes couronnées qui se sont aussi impliquées.
Oui, mais elles n’ont pas le pouvoir de contrôler ce qui se passe. C’est pourquoi il faut que, au Bénin, on s’entende sur l’essentiel. Quand on est face à ces genres de crise, c’est à l’intérieur que les gens essaient de tout faire. On n’a pratiquement pas un patronat au Bénin, parce que tout est politisé. Il faut des structures plus ou moins neutres. Mais ce n’est jamais complètement neutre parce que des opérateurs économiques ont toujours financé des politiques. Mais il faut qu’on sente cette neutralité et que le politique ne soit pas obligé de se mettre à découvert. Par rapport à ce qui se passe maintenant, on a tous le regard tourné vers notre gouvernement alors qu’il y a d’autres institutions qui devraient jouer ce rôle.

On a lu cette semaine une réaction de Albert Féliho au nom des employeurs du Bénin. Ça veut dire que tout n’est pas perdu.
Ce n’est pas la parole simple. Il faut négocier avec le patronat nigérian, avec tous ceux que nous avons en vue comme Dangoté et ceux qui peuvent faire de pression sur le Gouvernement nigérian.

Est-ce que vous voulez dire aujourd’hui qu’il n’y a pas du tout de passerelles entre le monde des affaires nigérian et béninois ?
Récemment, j’ai entendu qu’il y a eu une réunion des chambres de commerce. Mais il faut dire que tout cela est opaque. Nous n’avons pas suffisamment d’informations sur cela. Je ne peux pas dire ce qui se passe à ce niveau.

Il se fait que tous les hommes d’affaires nigérians ne détestent pas le Bénin. On a vu Tony Elumelu parader par ici.
Il y a une partie des opérateurs qui ne sont pas de la catégorie de Dangoté qui veulent investir dans l’agro-alimentaire. Au Nigéria aussi, il y a une certaine opposition. C’est une question de rapport de forces.

Nous sommes quand même dans un espace communautaire. Qu’est ce qui peut amener seul le Gouvernement nigérian à prendre une telle décision dont les conséquences sont énormes sur les autres pays ?
C’est leur poids économique et géostratégique. Ils sont puissants. La résolution des problèmes entre les pays ne se passe pas comme celle à l’intérieur des pays où vous avez la police ou la justice pour cela. Donc soit vous négociez ou vous subissez les représailles ou encore vous vous entendez pour porter cela vers des instances internationales. A cause du poids stratégique du Nigéria, il y a beaucoup de petits pays qui ne peuvent pas réagir. J’imagine que la nature de la fermeture de la frontière avec le Bénin n’est pas la même avec le Tchad qui intervient au niveau de la lutte contre le terrorisme. Le Niger a déjà pris des décisions pour stopper l’importation pour autoriser les produits locaux à passer. Je ne sais pas ce qu’il en est du Cameroun. Je crois que le Bénin en soufre beaucoup plus.

A plusieurs reprises, nous avons vu le Chef de l’Etat aller au Nigéria. C’est vrai que nous n’avons pas les conclusions des discussions qu’il y a eus. Est-ce que ces relations n’ont peut-être pas agi sur la prise de la décision du côté nigérian ?
Il y a une certaine diplomatie mais on n’a pas encore les résultats.



Le Bénin semble être celui qui souffre beaucoup plus de cette fermeture. Pourquoi n’observe-t-on pas une initiative commune, une synergie entre les différents pays concernés ?
C’est ça le drame. Effectivement, comme je l’ai dit, avec de petits pays comme le Bénin et le Niger, il n’y a que l’union qui puisse faire la force. Mais on a l’impression que les pays jouent seuls. Le Niger a déjà interdit l’importation du riz. Le Bénin ne l’a pas fait. Il y a déjà division à ce niveau. Le Tchad qui a d’autres accords avec le Nigéria peut ne pas intervenir dans cette lutte. Le Tchad a en plus d’autres possibilités puisqu’il peut utiliser la frontière camerounaise pour importer ce qu’il veut. Ils ont quand même des armes pour menacer le Nigéria.

Face à cette situation, quelles sont les marges de manœuvre d’un pays comme le Bénin pour faire fléchir le géant Nigéria ?
Il faut que les opérateurs économiques béninois puissent faire un lobby là-bas. Il faut que le Gouvernement béninois puisse prendre des décisions courageuses pour décider de la fin de la réexportation du riz vers le Nigéria. Il faut aussi voir ce qu’exige exactement le Nigéria. A partir de là, on négocie pour satisfaire à court et à moyen termes. On essaie de négocier sur cette base. si on ne connaît pas aussi les exigences, ce sera très compliqué.

Deux ministres du Gouvernement ont rencontré la semaine dernière les maraîchers de Grand-Popo. Un secteur qui subit de pleins fouets les conséquences de cette fermeture des frontières. Une enquête réalisée par canal 3 non encore diffusée, où nos reporters ont parcouru les frontières sud avec le Nigéria montre un constat amer. Même l’huile rouge du Bénin ne passe plus désormais. Comment peut-on évaluer l’impact de cette décision ?
On n’a pas fait une étude approfondie pour parler de l’impact. Il y a des chiffres qu’on apprend par ci par là, mais il faut voir quels sont les acteurs qui sont impliqués directement ou indirectement pour voir les effets. Quand vous prenez un produit comme le riz, quand c’est importé, ça passe par le port qui prend des recettes là-dessus. On peut déjà dire que le port est affecté ainsi que les societés qui y sont liées. Il y a les transporteurs qui sont affectés. Il y a les commerçants et tout ce qu’ils créent comme emplois. Maintenant, il y a ces commerçants qui empruntent et qui n’ont plus les moyens de rembourser. C’est une crise. Les banques et les Systèmes financiers décentralisés seront touchés. Au niveau local, si on ne vend pas au Nigéria, on sera obligé de diminuer le prix au Bénin. Il y a les producteurs locaux dont les maraîchers et les producteurs d’ananas qui sont affectés. C’est donc toute l’économie.

Est-ce que ça ne va pas au profit de la grande masse des consommateurs ?
Ce ne serait qu’à court terme. Il faut produire pour avoir de revenus pour acheter avec. Si les producteurs locaux sont détruits, on n’aura même plus de moyens pour acheter. Les consommateurs vont perdre à moyen terme. Le Gouvernement doit prendre les taureaux par les cornes comme on le dit en limitant les importations de riz pour éviter le trop plein sur le territoire. Dans le même temps, les producteurs ont besoin d’appui. Où est ce que l’Etat va trouver les moyens avec la baisse des recettes ?

Est-ce que avec la baisse des recettes, les prévisions de croissance économiques ne sont pas comprises ?
Absolument. Tout dernièrement, j’ai vu qu’on est à 7,2% au premier semestre. Le choc aura un impact sur notre économie.

Le Bénin peut-il se passer du Nigeria et vice versa ?
On ne va pas dire qu’on va se passer. Nous sommes dans un monde globalisé et nous élargissons les accords. Il y a la zone de libre-échange continentale. Il y a donc une certaine interdépendance. L’essentiel est que les accords soient bien négociés et que de situations pareilles n’arrivent plus.

Vous parlez de l’interdépendance sur quel plan quand on sait que par caprices, le Nigéria peut fermer ses frontières ?
Le Président Buhari vient d’être élu. Il a encore l’appui de sa population. Ils se disent que notre CFA est arimé à l’Euro et qu’on importe facilement pour inonder leur marché. Il faut voir ce qui se passe en Afrique du Sud. Ils se disent que c’est parce qu’ils ne sont pas développés que leurs citoyens sont obligés d’aller ailleurs. Ils ne peuvent pas dire qu’ils n’ont pas besoin de nous. Nous aussi, on ne peut pas dire qu’on n’a pas besoin d’eux pour exporter certains produits. Il faut civiliser cette relation d’interdépendance.

Nous avons une économie fiscale basée sur l’import-export avec comme grand consommateur le Nigéria qui malheureusement a fermé ses frontières avec des conséquences. Comment le Bénin peut-il envisager un changement en mettant de côté l’import-export ? Que faut-il faire ?
Il faut catégoriser ça en deux parties. On ne peut pas continuer à réexporter les produits que le Nigéria a interdits. Il y a des produits que le Nigéria n’a pas interdits mais il est plus coûteux pour les importateurs nigérians de passer par le port de Lagos pour les importer. Et là, on ne peut pas refuser ça. A côté de ça, il faut développer une industrie locale qui n’a pas nécessairement vocation à exporter des produits manufacturés mais qui peut nourrir la consommation locale. Il faut travailler sur le plan aussi en développant une industrie locale, continuer à exporter certains produits comme le coton et essayer de limiter ce qui est illégal vis-à-vis du Nigéria. Maintenant, pour les politiques, c’est compliqué. Le secteur informel ou celui qui agit en marge de la recommandation nourrit une grande frange de la population.

Vous avez dit que le commerce avec le Nigéria représente 50% du commerce extérieur du Bénin. Comment rayer cela du jour au lendemain ?
On ne peut pas. Il y a une grande part qui est l’informel. Le port de Cotonou doit prendre des politiques officielles. Il y a des activités qui se déroulent au niveau des frontières qu’on ne peut pas limiter. Vous voyez quelqu’un qui produit des produits vivriers dans l’Atacora et qui préfère amener à Kara plutôt que d’amener à Cotonou. Ce sera plus avantageux pour lui de le faire que de supporter le coût de transport pour venir à Cotonou. À partir de ce moment, les échanges avec les pays frontaliers vont continuer mais il faut que ça soient des échanges légaux.

Qui est-ce qui doit prendre cette décision ?
L’Etat pouvait prendre une telle décision en disant qu’on a le mémorandum de Badagri et si nous voulons respecter cela, vous importez durant tel nombre d’années. Je ne voudrais plus que ce commerce continue. Investissez donc dans d’autres secteurs ou vous vous passez de ça. Le Bénin a donc manqué d’anticiper.

Qui est-ce qu’il faut donc condamner face à cette situation ?
On peut condamner nos politiques. On ne peut pas dire que c’est le gouvernement actuel puisque ce problème a commencé il y a longtemps. Il a manqué d’anticipation.
A un moment donné, on peut dire que ceux qui se sont intéressés au commerce de réimportation ont été ingénieux. Ils ont eu des accords avec le Nigéria et ils ont pu rentabiliser le commerce. Mais comme ils se sont enrichis, il faut anticiper. Je pense qu’il faut réfléchir sérieusement. Ce qui est sûr, le Nigéria ne veut plus tant qu’on ne prend pas des décisions rigoureuses. Si cela était le cas, on pouvait dire qu’on évacue les stocks qui sont sous la main puis on arrête.

Au niveau de l’espace communautaire il y a des politiques en cours, des programmes de développement au niveau des banques régionales et pourquoi les instituions semblent si faibles devant le Nigéria ?
Peut-être que le Bénin n’a pas pris ces institutions au sérieux au départ parce que comme nous sommes ‘’un petit pays’’, il faut rester dans une coalition forte. Or pour rester dans une coalition forte, il faut aussi montrer que vous aussi vous respectez les décisions. A un moment donné, pour ne pas nous accuser, on a dit qu’on ne peut plus exporter nos produits par voie terrestre pour les exportations. Mais quand nous l’avons fait, est-ce qu’on a pensé à la Cedeao ? Il faut donc que nous-mêmes, nous respections un certain nombre de choses pour que lorsque nous faisons recours à la Cedeao, elle dise que nous sommes de bons élèves.

On ne pourra donc pas compter sur ces institutions pour ouvrir les frontières ?
On pourra compter sur elle. C’est peut-être la première fois que ces institutions ont des crises comme ça. Il faut continuer à les solliciter et surtout le secteur privé nigérian et satisfaire ce qu’on peut satisfaire à la hauteur si possible.

Quelles sont les sanctions auxquelles s’expose le Nigéria ?
Ah non, normalement il devrait y avoir des sanctions et des compensations mais ce n’est pas évident. On va continuer à compter sur les institutions, essayer de lire les textes et voir quelles sont les possibilités puis on continue de négocier fraternellement avec eux. On prend notre secteur privé qu’on inclut dans le jeu pour pouvoir négocier avec les nigérians.

Est-ce que ce n’est pas une opportunité pour notre secteur privé de se réorganiser ?
Vous avez parfaitement raison. C’est ça le drame du Bénin. Nous avons cette crise maintenant et il suffit que les frontières soient ouvertes de nouveau et puis on oublie et on commence à faire comme avant jusqu’à la prochaine crise. On doit tirer leçon de ça même si la frontière est ouverte il faut qu’on sache qu’on doit réfléchir pour le futur.

On parle de plus en plus d’incident sur les produits vivriers. Est-ce que notre agriculture peut connaître la panacée face à la situation ?
Oui, l’agriculture est seulement une force mais les opérateurs économiques voient que ce qu’ils en tirent comme bénéfices est nettement moins que ce qui est issu des autres exportations. Mais je crois qu’il faut surtout aller dans ce secteur et beaucoup travailler pour qu’on transforme et consomme nos produits. A partir de ce moment, on peut réexporter le surplus vers le Nigéria ou d’autres pays.

Est-ce que l’agrobusiness se développe de plus en plus dans notre pays et pourquoi voulons-nous forcement envoyer nos produits vers le Nigéria alors qu’au plan local, on n’est pas assez consommateur ?
Justement, c’est ce que je suis en train de dire. Il faudrait que nous consommions nos produits et que le surplus soit exporté vers le Nigéria. Maintenant nous ne pouvons pas dire que nous pouvons nous passer de l’exportation puisque ça élargit notre champ d’actions et nous permet d’avoir plus de revenus qu’on peut investir dans d’autres secteurs. On va donc toujours exporter. Toutefois, on peut limiter les importations par les quotas mais aussi la fiscalité. Par exemple si vous importer le riz au port cela va coûter tel prix. Dans ce cas, le riz va coûter plus cher au plan local et ça va relever le coût pour les producteurs locaux. On peut donc utiliser la fiscalité pour limiter les importations.

Le secteur privé prendra donc un coup ?
Non, puisque, en économie les prix traduisent les incitations. Si on rend l’agriculture plus rentable les gens vont se diriger vers elle. Généralement les gens disent que ce sont les agronomes qui vont se diriger vers l’agriculture. Mais non ! Ce sont les investisseurs qui vont utiliser les agronomes, ceux qui ont les moyens pour pouvoir acheter des tracteurs. Ce sont eux qui vont faire que nous allons développer l’agriculture. Si les gens voient donc qu’il faut exporter le riz thaïlandais vers le Nigéria ou pour la consommation locale est nettement moins rentable, ils vont nettement se diriger vers le riz local ou vers les produits locaux. Lorsque nous parlons de transformation structurelle, c’est ça. Chez nous on dit la transformation structurelle de l’économie, c’est de changer la structure des prix pour que les gens au lieu de voir l’importation plus rentable puissent se diriger vers la production.

Quelles sont en urgence les démarches que le Bénin doit faire pour montrer au Nigéria qu’il est en train de tenter de répondre à tes exigences ?
Oui, je suppose qu’ils l’ont déjà fait pour que le Nigéria ouvre ces frontières et on suit. Il faut donc voir ce que le Nigéria veut et à partir de ce moment, il faut respecter les dispositions. Je pense qu’il faut pouvoir négocier pour revenir à un accord que chacun signe et on suit selon un planning pour voir ce que chacun fait. Si les circonstances changent, il faut voir s’il faut changer et renégocier si non que nous ne serons pas à cette étape. Et parfois la continuité de l’Etat n’agit pas dans ces domaines et ça pose un énorme problème.

Quand le Général Mathieu Kérékou voulant que les Zémidjan se reconvertissent en agriculteurs a créé un projet manioc doté de beaucoup de moyens et pourtant ça n’a pas marché. Comment l’explique-t-on ?
Ça n’a pas marché parce qu’on n’a même pas trouvé de marché pour le manioc et ça a déstructuré le marché local. Le Gari a diminué de prix et les gens ne pouvaient même pas jouir de leur production. Pour ces genres de chose, il faut agir sur deux fronts : Lutter contre l’activité que vous voulez supprimer et créer des incitations pour l’autre activité. Et là, les gens vont aller là-bas. Parce que quand on parle de manioc, ce n’est pas seulement les zémidjan. Donc c’était une mauvaise politique.

Finalement, est-ce que ce n’est pas, au-delà du Nigéria, le temps qui est le vrai adversaire du Bénin ?
Il y a le temps pour le Nigéria aussi. C’est pour cela qu’ils ont introduit de l’idéologie dedans. Le Bénin a une monnaie forte, le Fcfa qui est arimé à l’Euro. Selon eux, c’est le Bénin qui vient les inonder par des produits importés. Il y a un ami de l’autre côté qui dit que ça donne de la force aux gouvernants nigérians car le président Buhari est fraîchement élu il y a 1 an et garde toujours une popularité.

Les nigérians qui vivent du côté du Bénin voient-il la chose de cette manière ?
Quand on exporte le riz vers le Nigéria, on n’amène forcément pas l’argent au Bénin. On achète les pièces détachées et un certain nombre de choses qu’on vient vendre encore à Dantokpa. Peut-être qu’à Dantokpa aussi il y a une certaine morosité. Notre économie est attaquée de plein fouet. Il y a des nigérians qui en souffrent aussi. C’est ça le problème. Quel est alors le poids de la diaspora nigériane au Bénin pour faire pression sur leur gouvernement ? Quand les gens disent que c’est illicite, alors que ce sont eux-mêmes qui ont utilisé les rangs de pétrole pour alimenter le secteur durant longtemps.

Il y a aussi la question sécuritaire qui est également annexée à cette fermeture des frontières. En faisant allusion au terrorisme, le Bénin demeure une exception à cette question. Cette réflexion a habité les autorités nigérianes au moment de prendre cette décision ?
Je pense qu’ils ont utilisé pour pouvoir agir sur d’autres secteurs, notamment les importations. Je crois que c’est un avantage que nous devons utiliser car on peut vendre la sécurité au Nigéria. Quand ils vont envoyer leurs enfants ici, ces derniers vont étudier en sécurité. Ce sont des choses qu’on peut leur vendre tout comme l’enseignement supérieur où ils sont nombreux à étudier au Bénin compte tenu de sa qualité. Il faut qu’on identifie nos atouts et avec la nouvelle politique agricole du Nigéria, il faut investir dans certains secteurs qui vont attirer les nigérians.

Beaucoup d’observateurs évoquent qu’il faut avoir un mission au Nigéria pour s’occuper de notre stratégie de voisinage. Est-ce que cette idée vous paraît pertinente ?
J’en avais discuté sur une émission. Compte tenu de l’importance du Nigéria pour le Bénin, on doit avoir, selon moi un ministère. En Côte d’Ivoire, on a un ministère du riz par exemple. Pour le Bénin, pourquoi ne pas avoir un ministère pour le Nigéria carrément ? Parce que tout est information. Il faut savoir comment les choses évoluent, notamment les prix, quelles sont les choses dont ils ont besoin et que nous pouvons leur offrir. Tout ça constitue des informations qu’on peut utiliser dans ce ministère et évaluer sur cette base. En faisant ça, certaines choses vont automatiquement changer. Certains ont parlé de ‘’Monsieur Nigéria’’ ou de ‘’Madame Nigéria’’ qui sera à la présidence. Mais là encore, je ne suis pas sûr que ça puisse marcher. Moi je pense que si on a un ministère qui fait ses preuves d’efficacité dans le temps, ce serait très important pour notre économie.

On a quand même une représentation diplomatique au Nigéria. Qu’en sera-t-il ?
Ça ne va pas marcher car l’ambassadeur va avoir des réflexions et les transmettre à son ministre des affaires étrangères. Ce dernier va transmettre ça au gouvernement et c’est le conseil des ministres qui va en décider. C’est plus compliqué car le circuit est déjà long.

En créant un portefeuille consacré au Nigéria, ne va-t-on pas éveiller leur méfiance ?
Il n’y aura pas de méfiance car ce sera une institution stratégique qui réfléchira sur des questions stratégiques dont on assure la durabilité et qui négocie avec le gouvernement nigérian ou un certain nombre d’acteurs. Il suffit qu’il y ait une crise en Côte-d’Ivoire pour que le ministre des affaires étrangères oublie ce qui se passe au Nigéria. Il faut des réflexions stratégiques dans le domaine et à des moments donnés il faut être concentré.

Il y a quand même une collaboration entre les douanes béninoises et nigérianes. Ça n’a pas joué un grand rôle ?
Je parle toujours de la structure de la décision. Les douaniers vont reporter ça à leur DG, le DG va réserver ça au ministre et ce dernier au gouvernement. Je crois qu’on peut créer un ministère et essayer de définir son cadre institutionnel pour qu’il n’y a-t-il pas de conflit. Parce que les ‘’messieurs ou les mesdames Nigéria’’ n’auront pas les moyens pour mener les réflexions stratégiques autour de cette question.

Créer un ministère ne serait-ce pas lourd ? Ne faut-il pas mettre une direction au niveau du ministère du commerce et de l’industrie qui s’occupe du commerce extérieur et intérieure avec le Nigéria ?
Comme je le dis toujours, c’est son poids altesse, jusqu’où il peut prendre des décisions sans problème. Je sais que quand l’actuel gouvernement est arrivé, le professeur John Igué a réalisé une étude sur comment il faut changer les relations avec le Nigéria. Ils ont mis des mécanismes en place mais personne ne l’a appliqué. Il n’a pas pu faire la politique de son travail pour que les gens puissent appliquer les résultats. Ce que je suis en train de dire c’est quoi ? Il faut une structure suffisamment forte, à laquelle on donne suffisamment de pouvoir pour que ça puisse marcher.

A quand peut-on espérer un retour à la normale ?
On ne peut pas lire dans la boule de cristal. Je suppose que dans l’ombre notre gouvernement travaille et que d’ici à là ils vont rouvrir les frontières et que les produits locaux vont passer normalement afin que nos producteurs ne soient pas asphyxiés.

Votre mot de la fin.
Il faut que le Bénin s’emploie à trouver une stratégie. Le Nigéria est un atout important avec ses malheurs aussi. Donc il faut que nous ayons des réflexions stratégiques et que nous ne soyons pas toujours surpris de ce qui nous arrive et que si demain la frontière est ouverte, que nous n’oublions pas ce que nous avons subi jusque-là et abandonné la réflexion pour attendre la prochaine fermeture.

La rédaction
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