Dans le but de planifier les naissances, certains Béninois ont recours à des méthodes dites traditionnelles. Il y en a qui sont tirées des plantes médicinales mais qui sont peu valorisées et surtout en voie de disparition avec la menace qui pèse sur la biodiversité.
Sa passion pour les feuilles est illimitée. Difficile de lui prendre quelques minutes quand elle est au service de ses clients au Carrefour Houédonou, à quelques kilomètres de Cotonou. En dépit du poids de l’âge, Marie Houndjohouetin ne se lasse pas d’écouter, de servir et d’orienter. « Il y a de la richesse dans la nature, dans les essences végétales. Ne pas en tirer profit, c’est de l’ignorance », confie-t-elle. Cette sexagénaire a presque toujours une solution à proposer parmi la montagne de feuilles et de racines à laquelle elle est adossée. Même quand il s’agit de la santé de reproduction et de la planification familiale. « Nos parents savaient se planifier sans se tracasser. Il leur suffisait de recourir à des plantes médicinales et le tour est joué. Ils conçoivent au moment voulu. Beaucoup ont compris aujourd’hui que même avec les savoirs endogènes, on peut planifier les naissances et viennent pour cela », assure Marie Houndjohouetin. Pour des raisons propres à elle, cette passionnée des plantes médicinales se refusent d’aller dans les détails. Mais à force de la titiller, elle dévoile des pistes : « Je vous donne un exemple. Il y a une espèce dont les graines sont souvent utilisées. Beaucoup connaissent cette astuce. Le nombre de graines que vous consommez équivaut au nombre d’années pour lesquelles vous voudriez attendre avant de concevoir à nouveau. Si vous souhaitez attendre pour trois ans, vous en consommez trois ».
Un engouement peu documenté
Au Bénin, selon l’Enquête Démographique et de Santé 2017-2018, 16% des femmes de 15-49 ans en union utilisent une méthode de Planification quelconque dont 12 % moderne et 3 % traditionnelle. Près de 29 % de femmes non en union et sexuellement actives utilisent une méthode quelconque dont 5 % traditionnelle. Et même si, parlant de méthodes traditionnelles, il est souvent fait référence à la méthode du calendrier et du retrait, les savoirs endogènes peu documentés ont une part importante notamment en milieu rural. « J’ai encadré un mémoire de sociologie qui a déniché 14 pratiques traditionnelles. On en était surpris avec la documentation possible par rapport aux plantes, images à l’appui. Ces méthodes leur permettent de sécuriser leur maternité, l’espacement de naissances, et leur santé », explique Dr Achille Sodégla, Sociologue et enseignant chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi (Uac).
Le recours aux savoirs endogènes de planification est une piste peu exploitée. Professeur Titulaire de Géographie Humaine et Economique à l’Uac, Léon Bani Bio Bigou regrette qu’on n’ait pas favorisé la cohabitation entre les médecines traditionnelle et moderne pour tirer profit de la richesse de la biodiversité qui elle aussi, se dégrade progressivement. « Les méthodes endogènes auraient eu l’avantage de mettre la population beaucoup plus à l’aise si on les avait développées. Nous l’aurions développée qu’aujourd’hui, on pourrait l’utiliser pour conseiller les ménages à planifier les naissances, avec certainement beaucoup plus de résultats ».
Casse-tête
Du temps, de la recherche et de la volonté politique. Il le faut pour en arriver à la prise en compte des méthodes traditionnelles tirées des plantes médicinales. Surtout, que certaines femmes qui en utilisent ne sont pas toujours satisfaites. Rencontrée à Bonou dans le département de l’Ouémé, dame Mèdénou nous raconte son expérience : « Je venais d’avoir mon quatrième enfant. Mon mari a décidé qu’on fasse une pause. Il a eu recours à un de ses cousins tradithérapeute. Mais malheureusement je suis tombé enceinte. Il a pensé que je l’ai fait exprès. J’ai dû recourir au centre de santé pour une méthode moderne. Mais les effets secondaires font que je ne sais plus quoi faire vraiment ».
A chaque méthode ses réalités, ses atouts et ses insuffisances. Et face aux contraintes socioéconomiques et culturelles, la piste traditionnelle pourrait devenir celle de la proximité pour amélioration de la proportion de femmes optant pour la planification familiale. « Il n’y a pas d’aversion particulière. Ce n’est pas une question culturelle forte. Ce qui fait qu’il y a probablement peu de méthodes contraceptives traditionnelles développées depuis l’antiquité pour qu’on puisse les reprendre et les perfectionner. Cela n’en demeure pas non plus moins que ce serait plus facile pour une personne ayant une culture traditionnelle d’accepter une méthode naturelle ou phyto thérapeutique. Ce serait plus proche de leurs intérêts. Des actions dans ce sens seront probablement plus couronnées de succès », pense Dr Comlan Vidéhouénou Agossou, Gynéco-obstétricien. Cependant, il ajoute des conditions : « Il faut encore structurer la médecine traditionnelle. Elle est vaste, elle est riche. Il faut un élan social et politique pour l’organiser », ajoute-t-il. La réalité est là. Les méthodes traditionnelles de planification familiale existent. Elles sont peu connues et couvertes de mythe. Il faut donc une meilleure organisation, des travaux de recherche pour confirmer les produits et les breveter. Un processus visiblement complexe et peut-être en retard sur les enjeux de la planification familiale au Bénin. Sauf qu’il faut bien commencer quelque part un jour, comme le martèle le Professeur Léon Bani Bio Bigou.