Le mode de gestion du parc national de la Pendjari ne fait pas l’unanimité au sein des populations riveraines. Le nouvel ordre mis en vigueur par l’organisation non gouvernementale sud-africaine African Parks Network, en charge de la gestion de ce parc depuis août 2017, fait grincer les dents. Confrontées à des conditions de vie difficiles, les populations résignées se sentent frustrées.
Nous sommes à Batia, dans la commune de Tanguiéta, dans le nord-ouest du Bénin. C’est le dernier village avant l’entrée du Complexe du parc national de la Pendjari. Ce parc est considéré comme l’un des derniers sanctuaires de la vie sauvage en Afrique de l’Ouest. Après la forte pluie qui s’est abattue sur l’ensemble de la commune la veille, l’heure est aux travaux champêtres ce matin du 20 août. Kouna Manou, un cultivateur, ronchonne. Sa terre est devenue ingrate : « C’est avec l’engrais chimique qu’on se débrouille sur nos petites portions pour essayer de récupérer un peu de vivres. A certains endroits si tu sèmes, rien ne sort….Nous sommes tous riverains mais les autres villages sont mieux par rapport à nous. Ici à Batia, nous sommes coincés par le parc et les bas-fonds» souffle-t-il. Bonnet écarlate sur la tête et houe en main sur la petite portion qui lui sert de champ, le quinquagénaire s’attaque aux mauvaises herbes qui gênent ses jeunes plants de maïs. « C’est difficile de vivre ici », glisse-t-il en arrachant d’un coup sec, une touffe d’herbes qu’il jette au loin. « Nous sommes des paysans. Notre activité principale c’est l’agriculture mais nous manquons de terres ; nous n’en n’avons pas».A Batia, comme dans l’ensemble des villages riverains du parc, les contraintes liées à l’exiguïté et l’insuffisance des terres cultivables sont renforcées par la restriction de l’accès aux ressources.
Depuis la mise en affermage du parc par le gouvernement béninois en août 2017, African Parks, le nouveau gestionnaire, a mis en place un dispositif pour contrôler l’exploitation des ressources. La chasse à la battue et plusieurs autres activités d’exploitation des ressources dans la zone cynégétique sont désormais interdites sans autorisation. Ce que les populations riveraines du parc perçoivent mal et dénoncent.
« L’accès aux ressources est contrôlé abusivement, de façon exagérée par African Parks » lâche, mécontent, Kinto Sila. Casquette vissée sur la tête, la soixantaine, encore robuste, cet ancien militaire vivant à Sangou, à six kilomètres du parc, est acerbe. « Nous vivions de ces ressources-là auparavant…..Les gens fabriquaient des fauteuils en bambou qu’ils partaient vendre sur les marchés pour vivre », se rappelle-t-il, amer et déçu. « Aujourd’hui, African Parks nous interdit d’aller à la mare Bori pour chercher du bambou. Si on vous voit avec du bambou, on vous arrête. Nous avons toutes les difficultés possibles avec eux. Ils sont très fermés. Il n’y a rien ici qui se fasse dont je sois satisfait. On ne peut qu’être mécontents et les observer»», s’enflamme Kinto Sila. « Ils nous ont interdit d’entrer dans le parc. Tu ne peux même pas aller chercher des plantes médicinales pour te faire des tisanes. C’est des problèmes. Voilà ce que nous vivons » se plaint, lui aussi, François K. Boto, trésorier de l’Association villageoise de gestion des réserves de faune (Avigref) de Tchanwassaga.
« J’étais braconnier. Je faisais le braconnage pour mes besoins. En 2009 j’ai intégré les groupe des chasseurs professionnels locaux (Cpl,ndlr). On travaillait avec le Cenagref (centre national de gestion des réserves de faunes, ndlr). Je gagnais 32.000 francs CFA par mois. On était plus de 200. Quand African Parks est arrivé en 2017, on a été écartés et sortis du parc. Depuis deux ans, je ne fais rien », témoigne Aboubakar Sambieni. «Beaucoup d’anciens Cpl braconnent ; d’autres s’occupent de travaux champêtres, mais avec quels moyens, surtout qu’on n’a pas de terres », ajoute-t-il.
L’interdiction de la chasse à la battue est particulièrement mal vécue. « La chasse à la battue est une activité culturelle et cultuelle à la fois. On ne peut pas nous l’enlever comme ça. Au moment où on dit à nos parents de ne plus mener cette activité, pour de l’argent, on permet aux touristes de le faire», fulmine, indigné, Michel S., un natif de Tanguiéta, par ailleurs ancien agent du Cenagref. « Ce ne sont pas des actions de nature à créer un climat de paix, estime-t-il. Il y a des choses très banales qui sont importantes pour la population riveraine parce que le parc est sa chose. C’est d’abord la terre de nos ancêtres». En février 2018, l’organisation d’une partie de chasse par les chasseurs traditionnels de Tanguiéta, en dépit des interdictions d’African Parks, a mal tourné. Elle s’est soldée par d’importants dégâts matériels et des arrestations. Malgré cela, les activités illégales continuent, comme le révèlent les rapports mensuels du parc.
Nécessité d’une rigueur… sans frustration
De janvier à juin 2019 par exemple, l’équipe chargée de l’application de la loi a arrêté une centaine de personnes au total. African Parks est intransigeante avec la loi. Sur la même période, plus d’une tonne et demi de viande de brousse et quatre tonnes de poisson ont été confisquées. Cette rigueur dans l’application de la loi dans une ambiance d’insuffisance des ressources et de difficultés de survie au quotidien ne plaît pas à Sadelher Manou, un paysan de Batia : « Notre centre de santé isolé est fermé depuis des mois. On n’a personne pour nous vendre ne serait-ce que des comprimés. On se soigne comme on peut quand on tombe malade. Les femmes accouchent à la maison et parfois sur la route parce que la maternité est loin, à douze kilomètres. Regardez l’état de la voie qui mène au parc et pourtant ce parc fait entrer beaucoup d’argent. L’Etat nous a oubliés complètement. Qu’il pense à nous les riverains »
A Porga, dans la commune de Matéri, la pêche est interdite depuis deux ans. Pour la communauté de pêcheurs d’origines béninoise, ghanéenne, Burkinabé etc., qui y vit, la situation est intenable. « Quand ils arrêtent les pirogues, ils les cassent et envoient les gens en prison. Même quand on va pêcher du côté du Burkina-Faso, puisqu’il n’y a pas de surveillance là-bas, ils nous pourchassent », se plaint Agbani Vidokpo, un pêcheur d’origine ghanéenne, installé à Porga depuis des décennies.
« Nos maris ne peuvent plus aller pêcher ; du coup nous ne pouvons plus fumer le poisson pour les aider. Les jeunes n’ont plus aucune activité. African Parks nous pourchasse jusque dans nos maisons. Ce n’est pas normal. Ils n’ont pas le droit de venir dans les maisons pour arrêter les gens», crie en colère, Daraza Mahamadou, une mère de famille.
«African Parks est conscient qu’on ne peut pas réussir la protection du parc sans les riverains. On n’interdit que ce qui est illégal et illicite. Nous n’avons aucun droit d’interdire ce qui est autorisé. On n’invente rien, on ne fait qu’appliquer la loi », se défend Jean-Yves Koumpogue, le directeur général adjoint du Complexe du parc national de la Pendjari, pour répondre aux récriminations de certains riverains : « Même au temps du Cenagref, pour accéder aux ressources du parc, il fallait faire une demande », ajoute-t-il. « Ce qu’il y a lieu de comprendre, c’est qu’aucune société ne peut rester statique pour évoluer. Et tout changement créé des frustrations. African Parks ne fait qu’appliquer les textes. On a trop fermé les yeux sur les textes. On ne peut pas continuer dans ce sens», fait observer pour sa part, Yantibossi Kiansi, ancien secrétaire exécutif de l’union des Avigref. Le tableau n’est pas sombre pour d’autres riverains. « Leur gestion est bonne. Ils sont en train de vaincre le braconnage car ils ont les moyens et des techniques efficaces. Il y avait des espèces qu’on croyait disparues qu’on voit maintenant. Même les scieurs qui venaient abattre les arbres ont disparu», apprécie Natchenti Banakpénou, un des conseillers de village à Batia. « Mais ils nous font attendre plusieurs jours avant de nous accorder l’autorisation de faire des sacrifices à nos fétiches qui sont dans le parc», regrette-t-il tout de même.
African Parks n’est pas près de faire machine arrière. Pour les responsables, le miracle n’est pas possible. Le directeur général adjoint invite le gouvernement et les collectivités locales à jouer leurs rôles face aux besoins des populations.
L’une des préoccupations en ce moment est la question de la transhumance à l’intérieur du parc. « Quand ils sont arrivés, les nouveaux gestionnaires sont passés à l’abattage des animaux sans passer par des concertations. Il y a eu des situations dramatiques avec des massacres d’animaux au niveau de la zone d’occupation contrôlée », relève Boni Yaourou, expert pour la paix à l’ONG Potal Men. Mais « La situation a changé ; actuellement, African Parks a adopté une nouvelle approche, celle d’entrer en concertation avec tous les acteurs riverains du parc »fait remarquer Boni Yaourou. Jean-Yves Koumpogue confirme : « Nous avons été très durs entre temps. Nous avons décidé de ne plus faire de l’abattage du bétail ». « Ce qui est important pour nous, c’est notre collaboration avec les transhumants. Nous sommes conscients que les terroristes ont des facilités à s’infiltrer dans ce groupe. Cela fait que nous avons mis en place un processus pour améliorer notre collaboration afin de leur expliquer que nous pouvons les aider à accompagner un certain nombre de projets, notamment la production du fourrage », ajoute-t-il. Un projet de coopération qui montre la nécessité d’une gestion participative et inclusive du parc et de ses ressources avec toutes les parties prenantes.