Le président béninois Patrice Talon a lancé jeudi à Cotonou un "dialogue politique" destiné à sortir de la crise qui secoue le petit pays d’Afrique de l’Ouest depuis les législatives d’avril,
mais en l’absence des poids lourds de l’opposition.
"Notre rencontre de ce jour, loin d’être le signe d’un quelconque stress de notre démocratie, s’apparente à une exigence de check-up quand survient une quinte de toux d’une résonance inhabituelle", a déclaré le chef de l’Etat à l’ouverture de la rencontre.
Au total, neuf partis sont représentés par quelque 300 participants. Le président Talon a quitté le palais des Congrès de Cotonou peu après son discours et ne participera pas aux échanges qui doivent durer trois jours.
Les tensions actuelles découlent des élections législatives du 28 avril, auxquelles l’opposition n’a pas participé pour la première fois en 30 ans, dans ce pays réputé être un modèle de démocratie, de nombreux partis n’ayant pas rempli les conditions légales adoptées récemment par le parlement.
Les manifestations populaires qui avaient suivi, et leur violente
répression, ont fait une dizaine de morts par balle.
"Notre charte des partis politiques et notre code électoral nous ont causé du tort, parce que bon nombre d’entre nous, à la mise en oeuvre, ne s’y sont pas retrouvés", a reconnu le président. "Nous nous sommes déchirés au point de compromettre notre cohésion".
Le dialogue doit ainsi permettre de "réfléchir et échanger sur les
adaptations possibles à y apporter en vue d’une meilleure et réaliste
organisation (...) de la compétition politique" avant les élections locales prévues en mars 2020.
Mais faute de répondre aux même exigences légales qui les ont empêchés de participer aux législatives, plusieurs grands partis d’opposition n’ont pas été conviés.
C’est notamment le cas de l’Union Sociale Libérale (USL) de l’homme
d’affaires Sébastien Ajavon, aujourd’hui exilé en France, et de Restaurer l’espoir, de l’ancien ministre de la Défense Candide Azannaï.
- ’Résistance’ -
Parmi les partis qui prennent part à la rencontre on compte beaucoup de satellites de la majorité présidentielle.
Seule exception notable: la présence de Forces Cauris pour un Bénin
émergent (FCBE), le parti du principal adversaire politique de Talon et ex-chef d’Etat, Thomas Boni Yayi - qui avait quitté Cotonou fin juin après le siège de son domicile par les forces de l’ordre durant les violences post-électorales et n’est pas réapparu en public depuis.
Mais le parti est divisé entre les partisans d’une certaine normalisation, prêts à faire des compromis avec le pouvoir, et une aile dite "dure", fidèle à Boni Yayi, qui boycotte le dialogue.
En signe de protestation, l’opposition a organisé jeudi en parallèle un "contre-dialogue" dans la capitale économique, baptisé "les assises de la résistance", et présidé par l’ancien chef d’Etat Nicéphore Soglo.
"C’est un drame qui s’abat sur notre pays avec un président qui s’est
emparé de tous les secteurs vitaux de l’économie nationale, et qui, pour protéger ses intérêts personnels (...) s’appuie sur un régime policier, une justice oppressive, une corruption sans limite", a dénoncé M. Soglo à l’ouverture des assises de l’opposition.
"Le chef de l’Etat avait annoncé un dialogue franc et direct avec toute la classe politique, mais aujourd’hui, on se rend compte que toute la classe politique n’a pas été invitée, que les sujets ont été imposés", a déclaré à l’AFP un leader de l’opposition et ancien député, Guy Dossou Mitokpè.
"Le gouvernement est toujours dans sa logique d’exclusion", a-t-il ajouté. "Au lieu de chercher une porte de sortie, le gouvernement continue l’enlisement."
L’opposition réclame notamment le retour des exilés politiques, la
libération des opposants emprisonnés et la reprise des législatives en
présence de l’opposition.
De nombreux observateurs dénoncent régulièrement un tournant autoritaire du président Talon, ancien magnat du coton. Depuis son élection en avril 2016, son gouvernement a adopté plusieurs mesures interdisant ou restreignant le droit de grève et de rassemblement public.
La majorité de ses opposants ont eu de graves ennuis judiciaires, à
commencer par ses principaux rivaux à la dernière présidentielle, aujourd’hui en exil.
En octobre 2018, Sébastien Ajavon a ainsi été condamné par un tribunal
spécial à 20 ans de prison pour trafic de cocaîne, tandis que Lionel Zinsou, arrivé second, a été condamné début août à cinq ans d’inéligibilité et six mois d’emprisonnement avec sursis pour usage de faux documents.