Les préjugés sur les Peuhls, environ 8,6% de la population béninoise (selon des chiffres fournis par l’ONG Potal Men), sont monnaie courante. Dans la commune de Cobly, théâtre de représailles meurtrières contre eux en 2018, les Peuhls se sentent toujours stigmatisés, malgré l’évolution, lente, des mentalités.
« Ils ne peuvent pas s’asseoir pour discuter avec nous. C’est nous qui décidons et ils se soumettent. » Nous sommes dans un village de Kérou, dans le département de l’Atacora, en 2015. Sur la gestion d’un forage muni d’une pompe à motricité humaine, les populations Batonu imposent des règles à suivre aux Peuhls qui sont aussi nombreux dans la localité. Dans la commune de Djidja, dans le centre du Bénin, un Peuhl ne comprend pas pourquoi on refuse de le considérer comme un ressortissant de la localité alors qu’il y est né et parle très bien le fon, langue du milieu, comme tout le monde et même mieux que les autochtones. Un peu plus à l’Est de Kérou, dans la commune de Cobly, toujours dans le département de l’Atacora, Ousmane (le prénom a été changé) ne cache pas sa tristesse. « Je suis né ici à Cobly, mes parents aussi y sont nés. Mais les autochtones me considèrent toujours comme un étranger», s’offusque-t-il. « On nous accuse de tout. C’est la haine», martèle-t-il, au sujet des préjugés dont sont victimes les membres de sa communauté au quotidien. Dans cette commune où se côtoie une dizaine d’ethnies, les relations entre les Peuhl, éleveurs, et le reste de la population, dont les activités tournent autour de l’agriculture, ne sont pas toujours au beau fixe. « La communauté peuhl est bel et bien stigmatisée, la preuve en est qu’elle est écartée de toutes les réunions et assemblées», selon Bernard Kouyenké, superviseur de la Croix-Rouge à Cobly. «La communauté est souvent pointée du doigt à chaque fois qu’il y a vol ou braquage dans la commune. Les Peuhls ne sont considérés par personne », déplore Félicité Namboni, une ménagère. « On colle les mauvaises choses aux Peuhls, se plaint Ousmane. Quelqu’un peut aller faire un braquage et parler le peuhl alors qu’il n’est pas Peuhl. Et ça suffit pour nous accuser. On ne cherche même pas à vérifier ». « Je pense que les Peuhls sont victimes de leur activité qui, depuis toujours, est l’élevage. Pour le Peuhl, la terre n’était pas un problème. Il fallait se déplacer partout où besoin sera en matière de ressources pastorales. Tous ces éléments stigmatisants viennent de là », interprète Boni Yaourou, expert pour la paix à l’ONG Potal Men.
« Dangereux » pour certains, « violents » pour d’autres, les Peuhls du Bénin seraient aussi victimes, selon Boni Yaourou, d’amalgames avec les transhumants transfrontaliers. « Cette transhumance nous crée plus d’inconvénients que d’avantages. Les transhumants peuvent laisser leurs bêtes brouter les champs des agriculteurs locaux. Après, c’est nous qu’on accuse. C’est pourquoi nous refusons de les héberger parfois », raconte Arouna Hadana, un habitant de Gouré Potal, campement créé suite aux violences de juillet 2018 dans la commune de Cobly.
C’est la solidarité des Peuhls béninois avec les transhumants transfrontaliers qui militeraient en leur défaveur. « Les Peuhls, c’est des gens qui sont très compliqués. Même si son camarade est fautif, le Peuhl cherche toujours à le protéger », avance un élu communal de Cobly comme pour accuser les Peuhls nationaux de venir en aide aux transhumants étrangers ou d’être leurs complices. Une partie de la population pense même que les Peuhls sont les mêmes, qu’ils soient étrangers transhumants ou des locaux. Pour éviter la confusion, l’ONG Potal Men organise des séances de sensibilisation à l’endroit de toutes les composantes de la population en mettant l’accent sur la transhumance et ses différentes formes. « Elles savent désormais qu’il y a la transhumance transfrontalière et la transhumance nationale. Les populations sont bien conscientes que la plupart de ces conflits qui naissent viennent parfois des transhumants étrangers », informe Boni Yaourou. Le pâturage nocturne, par exemple, n’est pas connu des Béninois. C’est une pratique des transhumants frontaliers. Or ce type de pâturage est au cœur de nombreuses exactions qui révoltent les populations. Et ainsi naissent les divergences, malgré la cohabitation entre les différentes communautés. « Parfois, les éleveurs nationaux, pour la plupart gardent même les animaux des agriculteurs autochtones et ils le reconnaissent très bien. Malheureusement, quand il y a une situation qui naît du fait des transhumants étrangers, les nationaux paient les frais », regrette Boni Yaourou.
Braquages, médias… un vent nouveau malgré tout
Pendant de nombreuses années, sur la plupart des principaux axes routiers du Bénin, les actes de délinquance et de braquage ont été l’œuvre de personnes soupçonnées d’être des Peuhls ou présentés aux médias comme tel. Face à des cas devenus répétitifs, les médias aussi orientent leurs comptes rendu des cas de vols à mains armées, sur les Peuhls présentés à tort ou à raison comme auteurs. En avril 2013, Barkatou Sabi Boun, une citoyenne béninoise est ainsi montée au créneau contre « la stigmatisation de la communauté Peuhl relayée par la presse sans aucune forme d’enquête préalable », écrit-elle. Elle formule alors un recours devant la Cour constitutionnelle. Arguant vouloir « tirer la sonnette d’alarme et mettre chacun devant ses responsabilités des déconvenues que pourraient engendrer le mépris et l’acculturation d’une certaine presse et autres faiseurs d’opinion» contre les Peuhls. Pour le contrôleur général de police Mohammed Saké, directeur de la Sécurité publique à la Direction générale de la police républicaine, la stigmatisation est un danger. «Toute stigmatisation est à bannir. Si vous allez sur le terrain, vous verrez que des communautés sont stigmatisées systématiquement. On dit que c‘est parmi elles qu’on trouve les auteurs des actes de vandalisme, de braquages. Ce qui n’est pas toujours vrai. L’erreur c’est de penser que c’est ainsi, et de travailler dans ce sens. Si vous le faites, vous oubliez tout le grand nombre qui est victime à la limite. Quand vous mettez les gens dans le même sac, c’est que vous faites la mauvaise lutte », expose-t-il. « Si jamais on se met dans cet engrenage de penser que c’est telle communauté qui est ceci ou cela, et qu’on la stigmatise, on est perdus », prévient-il.
Il faut trouver les moyens de sortir du piège de la stigmatisation. « Il faut tenir le bon langage aux populations. Les fonctionnaires de la police républicaine sont suffisamment conscients de ce que nous devons faire dans le travail au quotidien, montrer aux populations que ce n’est pas une affaire de communauté, qu’il n’y a pas une communauté plus criminogène qu’une autre…Nous travaillons à sortir ça de la tête des populations », rassure Mohammed Saké. « La communauté peuhl participe aujourd’hui beaucoup à restaurer son image. Même par rapport à la transhumance, elle travaille beaucoup à apaiser la situation », ajoute-t-il.
Lentement, les mentalités évoluent tout de même. Dramane Kanwieni, un Peuhl, a cassé le mythe de l’interdiction du mariage entre peuhls et autochtones en épousant une femme de Cobly. Impossible, il y a encore quelques années. « Les choses ont évolué et chacun de nous doit prendre de la hauteur. Je prends mon propre cas. Je suis un jeune peuhl, né ici à Cobly. J’ai étudié avec les jeunes autochtones jusqu’à l’université. Aujourd’hui je me suis marié à une femme autochtone. Nous avons une vie de couple normale, sans problème. Je souhaiterais que les jeunes autochtones de Cobly prennent aussi en mariage nos sœurs peuhls. Ainsi on pourrait casser ce mythe », déclare M. Kanwieni. « On doit effacer de nos têtes ces idées rétrogrades qui freinent le développement. Partout ailleurs, les mariages entre peuhls et population autochtones se font sans problème » renchérit, dans la même veine, le commissaire de police à retraite, Simon Kombetto qui pense que l’accent doit plutôt être mis sur la scolarisation des enfants pour faire évoluer les mentalités.