Je m’attends dans les prochains jours ou semaines à un nouveau coup de semonce du Nigéria. Cette fois-ci, ce ne sera probablement plus le soutien à Boni Yayi à travers l’avion présidentiel nigérian ayant servi à le transporter, ou des incursions de douaniers et policiers à l’intérieur du territoire béninois. Cette dernière opération menée ces deux dernières semaines, a probablement été conçue pour mesurer la réactivité des forces de défense et de sécurité. L’objectif atteint, on verra dans les jours à venir si le Nigéria ne travaille pas à lancer une incursion armée sur le Bénin, ou, ce qui est plus probable, à abriter un mouvement armé aux revendications politiques. L’objectif final est de fragiliser suffisamment le gouvernement béninois aux fins de l’amener à céder aux exigences de Buhari.
Le Nigéria veut faire croire que le Bénin est la source de tous ses problèmes économiques. Déjà en 1984, Buhari une fois au pouvoir, avait fermé les frontières avec le Bénin, sous prétexte de lutter contre la contrebande. Cette fermeture a duré deux ans et n’a pris fin que lorsque le général Babanguida a renversé Buhari en 1986. Au pouvoir depuis cinq ans et confronté à de nombreux défis économiques, le même Buhari administre la même thérapie, au lieu de se pencher sur les vrais problèmes de son pays. Il cherche un bouc émissaire et trouve dans l’appui à l’opposition béninoise un moyen de pression sur Patrice Talon.
Car les exigences du Nigéria sont très claires. Il demande au Bénin de ne plus importer le riz étuvé tant prisé par les Nigérians et surtout de détruire tous les magasins de stockage de cette denrée qui se retrouvent sur notre territoire. L’opération de Pobè et d’Igolo il y a deux semaines, a permis à la douane nigériane de s’assurer que le Bénin n’a pas exécuté cette exigence. A cela s’ajoute bien sûr la lutte contre la contrebande de l’essence provenant du Nigeria. Le gouvernement nigérian entend obliger le Bénin à se lancer dans une lutte implacable contre cette pratique. Utiliser l’opposition, notamment Boni Yayi, lui permettra d’amener le régime Talon à céder. La mise à disposition de l’avion présidentiel, le Air Force One, montre que désormais Abuja avance à visage découvert. Il pourrait passer à la vitesse supérieure dans les semaines à venir. Et si j’étais chef des services de renseignement, je mettrais sous surveillance particulière, les activités aux frontières, notamment vers Kétou, Savè et Tchaourou.
Est-ce que ces manœuvres réussiront à faire plier Patrice Talon ? Buhari n’entend pas échouer dans son offensive. Il dispose non seulement d’une opposition béninoise prête à tout pour renverser Talon, mais aussi de moyens techniques pour cela. Contrairement à ce qu’on pense, Boni Yayi est convaincu qu’il va encore exercer le pouvoir au Bénin. La semaine dernière nous a permis de voir en grandeur nature la complicité qu’il développe avec le régime Buhari mais aussi avec la CEDEAO. Patrice Talon aussi se prête (involontairement) au jeu, en communiquant très peu (voire pas du tout) sur ce que fait son gouvernement dans la résolution de la crise. De nature, il n’aime pas la grande communication politique telle qu’elle se pratique partout dans le monde, telle qu’elle est enseignée dans les universités. Il préfère l’action souterraine au tapage médiatique. En 2016, les Béninois ont élu un homme qui a pratiqué cette stratégie avec succès toute sa vie durant. Il ne changera pas. Et donc laissera les rumeurs les plus abjectes prospérer sans retenue au sein d’un peuple miné par la crise et la rancœur. Il laissera croire à Buhari et à toute l’Afrique que le Bénin ne peut vivre sans le Nigéria. Vous verrez ainsi tous les experts du monde entier développer dans les médias que l’économie béninoise est en train de s’écrouler du seul fait du Nigéria.
Ce qui est techniquement plus difficile à comprendre, c’est qu’actuellement, le régime d’Abuja a les renseignements économiques les plus précis sur le Bénin. Il a mis en place un réseau d’information qui lui permet par exemple d’avoir avec précision les statistiques sur les importations béninoises, grâce à une société nigériane installée au Bénin.
C’est dire que les Béninois doivent se préparer au pire. A moins que le gouvernement ne décide de s’agenouiller devant le Nigéria, les jours qui arrivent ne seront malheureusement pas faciles à vivre.