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L`événement Précis N° 1193 du 21/11/2013

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Interview avec le professeur Jean-Claude Hounmènou, Maître de conférences en sciences psycho-pédagogiques, Directeur de l’Ecole normale supérieure (ENS) de Porto-Novo : « Certains facteurs démographiques expliquent la baisse de qualité de l’enseignement »
Publié le jeudi 21 novembre 2013   |  L`événement Précis




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L’école béninoise a besoin d’être soignée. Et pour y parvenir, il s’impose la mise en place de nouvelles stratégies correctives. C’est ce que le Directeur de l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Porto-Novo et Maître de conférences en sciences psychopédagogiques, le professeur Jean-Claude Hounmènou, essaye de faire à travers le regard qu’il porte sur le système éducatif béninois. Il pense qu’un travail devra être fait du côté des programmes de formation, des enseignants pour améliorer les résultats dans les écoles normales et aux différents examens de fin d’année.

L’Evénement Précis : Quel regard portez-vous sur le système éducatif béninois ?

Professeur Jean-Claude Hounmènou : Notre système éducatif fait son petit bonhomme de chemin, mais il rencontre des problèmes qui sont ceux de beaucoup de systèmes éducatifs en Afrique et même dans le monde. Nous sommes confrontés aujourd’hui à la massification de la demande d’éducation dans tous les secteurs, que ce soit à la maternelle, au primaire, au secondaire, dans le technique-professionnel et même dans le supérieur. Cela ne va pas sans poser quelques problèmes au niveau de la gestion des flux et même de la qualité de l’encadrement offert à ces demandeurs d’éducation, et puis, même au niveau du rendement du système. Il y a effectivement que les autorités en charge du secteur et tous les spécialistes de la question au Bénin peuvent repenser les solutions qui pourraient s’adapter à la réalité béninoise et améliorer de fond en comble la qualité de notre système éducatif.

Pour ce qui est des enseignants, aujourd’hui, il se pose un problème de niveau. Quelle est votre appréciation de cette situation ? Qu’est-ce qui pourrait être à la base de ce problème ?
C’est vrai que la massification dont je parlais tantôt a comme conséquence l’accroissement des besoins en personnels enseignants pour pouvoir encadrer les jeunes qui viennent à l’école, au collège, à l’université. Et notre pays n’avait pas encore préparé ces ressources humaines-là pour pouvoir faire face à cette demande en éducation. Ce qui a fait qu’on a du recourir et de façon massive, pour ne pas laisser ces jeunes sans encadrement, à des catégories d’enseignants qui n’étaient pas d’abord formés pour jouer ce rôle-là. Il fallait d’abord parer au plus pressé, et c’est en cela qu’à un moment donné, on a constaté que la population enseignante était surtout composée notamment, dans le primaire et dans le secondaire, d’enseignants qu’on a appelés ‘’vacataires’’, ‘’communautaires’’, ‘’reversés’’ et qui étaient pratiquement les plus nombreux. Il est très important que l’Etat mette en place un mécanisme pour assurer la formation de ces catégories d’enseignants-là et leur donner le profil adéquat afin qu’ils jouent mieux leur mission. C’est un peu ces facteurs démographiques qui expliquent la baisse de qualité de l’enseignement au Bénin. On peut rappeler que pendant longtemps, les écoles chargées de former les enseignants au Bénin avaint été fermées, compte-tenu des programmes d’ajustement structurels que nous avons subis entre la fin des années 80 et le début des années 2000. Il n’y avait plus d’Ecole normale de formation au Bénin. Cela aussi a conduit à l’inadéquation du profil des enseignants qu’on retrouve dans nos systèmes aujourd’hui.
Il y a quelques mois à l’Ecole normale, les résultats de fin d’année ont été catastrophiques. Qu’est ce qui peut expliquer cela ? Les élèves ne sont-ils plus à la hauteur de la formation ou alors est-ce une stratégie pour les empêcher d’intégrer le système de l’enseignement?
Ça dépend des catégories et nous avons plusieurs catégories d’apprenants. Quand vous prenez les élèves-professeurs qui ont été recrutés sur concours après leur baccalauréat et qui ne sont même pas boursiers, on ne peut pas dire qu’à leur niveau les résultats étaient catastrophiques. Ils réussissent à 80/ 90% en fin d’année.

A quel niveau s’est alors posé le problème ?
Il y a deux ans, l’Etat a confié à l’Ecole normale supérieure, la formation de milliers d’enseignants ‘’reversés’’, c’est-à-dire des gens qui officiaient dans l’enseignement secondaire comme vacataires et que l’Etat a reversés comme contractuels. Mais ceux-là n’étaient pas forcement formés pour enseigner. A un moment, l’Etat a décidé de les former. On les a repartis dans les Ecoles normales supérieures. Porto-Novo a accueilli ceux d’entre eux qui se destinent à l’enseignement littéraire, aux sciences sociales, c’est-à-dire le français, l’anglais, l’histoire-géographie, la philosophie, l’espagnol, l’allemand. Dans des conditions très difficiles, l‘école s’est attelée à leur formation et parmi eux, il fallait encore faire des distinctions. Il y avait des gens qui avaient fait une licence ou une maîtrise dans la spécialité enseignée et il leur fallait juste la formation professionnelle. Leur formation a duré un (01) an. Et à la fin, ils ont été soumis à un examen terminal dans les conditions du système LMD et qui exigent, pour réussir, même dans les conditions de rachat, que le candidat obtienne au moins une moyenne générale de 11,50 et qu’il ait au moins 10 dans chaque unité d’enseignement. C’est ça qui a dérouté un peu ces catégories de stagiaires qui étaient les plus nombreux. Ils étaient dans les 2500 à avoir composé et quand on a donné les résultats, on a constaté que pour ceux qui étaient candidats au Bapes, environ 20% seulement avaient rempli les conditions pour être admis, tandis que pour ceux qui étaient candidats au Capes, environ 30% avaient rempli les conditions, c’est-à-dire ont eu au mois 11,50 de moyenne générale et au moins 10 dans chaque unité d’enseignement. Les autres, la grande majorité qui n’avait pas rempli les conditions pour être déclarée admise, ce n’est pas qu’ils avaient démérité. Ils avaient la moyenne au sens traditionnel du terme. Certains avaient même 12 de moyenne. Mais, étant donné que le système exigeait qu’il fallait avoir la moyenne partout, certains, parce qu’ils n’ont pas eu la moyenne dans une seule UE sont tombés. Mais, entre temps, on leur a offert l’occasion de se racheter à travers une session de rattrapage qui avait été organisée à leur profit durant le mois de juillet. Et quand on va donner les résultats, vous constaterez que ces résultats se sont nettement améliorés et qu’on pourrait avoir un taux de réussite avoisinant les 70/ 75%.

Néanmoins, des stagiaires apprécient le travail que vous abattez à l’Ecole normale supérieure de Porto-Novo. Quel est votre secret ?
Lorsque vous êtes commis à une tâche au profit de la nation, vous vous donnez les moyens psychologiques, moraux, intellectuels et physiques pour être à la hauteur de la tâche. Ce n’était pas une tâche facile, mais Dieu m’a donné l’esprit d’organisation qu’il fallait pour pouvoir y faire face. Malgré les difficultés, on a quand même pu contenir ce fort effectif, parce qu’on avait au total près de 4800 stagiaires de toutes les catégories, de tous les profils à former. Il a fallu organiser ces profils, déterminer quels types de formation il fallait pour chacun, pour les former, trouver les formateurs adaptés à chaque type de profil, etc. L’un dans l’autre, on ne s’en est pas sortis trop mal, même si certains aspects étaient encore perfectibles.

Quelles sont vos attentes par rapport au deuxième forum de l’éducation que s’apprête à organiser le Bénin ?
C’est opportun. On a parlé des difficultés de notre système éducatif. Il était opportun qu’un autre forum soit organisé sur la question, et que cette fois-ci, on puisse en sortir avec des mesures qui nous permettent de changer radicalement les choses. Il faut qu’on ait le courage d’abandonner les formules qui ne marchent plus et qui ont montré sur ces dernières années leurs limites. Les inadéquations aux niveaux pédagogique, méthodologique, il faut maintenant y mettre fin et revenir aux fondamentaux de la méthodologie pour améliorer non seulement le fonctionnement de notre système, mais aussi son rendement. C’est ce que j’attends de ce forum. Il faudrait qu’il puisse permettre qu’on aille à des changements radicaux, mais des changements positifs qui vont améliorer la qualité de l’éduction scolaire au Bénin, en même temps que le rendement de notre système éducatif. C’est ce que j’attends. Les changements qui sont importants, me semble-t-il, doivent être faits au niveau de la pédagogie, au niveau de la manière de former, d’encadrer nos apprenants dans tous les ordres de l’enseignement. Il faudrait qu’on sorte donc d’une compréhension étroite du système de l’approche par compétence et qu’on recherche d’abord l’efficacité. Si c’est cette vision qui anime le forum, il pourrait nous permettre d’aller de l’avant sur le front de l’éducation.

Au Bénin, le bac 2013 a donné 32% pour la série D. Or, en France par exemple, quand cet examen donne 60%, les gens descendent dans la rue et se plaignent. Votre appréciation
Nous n’allons pas comparer le système éducatif béninois et le système éducatif français, parce qu’en France, les gens sont quasi dans leur langue maternelle qui est le français tandis que chez nous au Bénin, un pays francophone, le français est d’abord surtout utilisé à l’école, pour apprendre les matières. Nous ne baignons pas forcément dans un environnement francophone depuis la maison. Ce qui fait qu’on ne peut pas comparer les deux systèmes, même si nous nous sommes inspirés de leur système. Il y a que le sous bassement socio-culturel n’est pas le même. Ce qui explique qu’on ne puisse pas attendre les mêmes performances du système éducatif au Bénin et en France. Pour en revenir aux résultats du bac 2013, c’est vrai qu’on aurait pu s’attendre à de meilleurs résultats au Bénin. Si tout avait bien marché, on aurait atteint 40/45% au bac parce qu’en dehors de la série D où il y a eu des problèmes ou qui donne 20% alors que les candidats sont plus nombreux, les 2/3 des candidats au bac sont de la série D pratiquement. C’est parce qu’il y a eu catastrophe là que le taux national a chuté. Si l’on tient compte des autres séries, A1, A2, G, F, E, les résultats avoisinent 40/42/45%. Il y a même une filière qui a fait 60%. Si ce problème avait été décelé plus tôt et qu’on lui avait trouvé les solutions appropriées, on aurait eu un taux probablement autour de 45%. Sinon, ces résultats me paraissent un peu biaisés. Ça ne reflète pas la réalité du niveau de nos apprenants. On aurait pu avoir 45%. Ce qui aurait témoigné que le système a progressé ces dernières années. Il y a eu un accident dans la série D qui donne l’impression que le système n’a pas été performant au niveau du bac. Mais c’est une impression un peu artificielle qui ne correspond pas à la réalité.

Parlant de l’inadéquation formation/emploi, on constate aujourd’hui, par exemple, que les gens sont formés pour une filière à l’ENAM, mais exercent autre chose sur le terrain. Comment expliquez-vous cela ?
Parlant de l’ENAM, je dirais que c’est une école universitaire professionnalisée. Ce qui veut dire que cette école forme des gens pour exercer une profession précise. Ce qui est déjà heureux. Mais il se fait que le marché de l’emploi n’offre pas forcément toutes les possibilités d’absorber tous ces professionnels, de sorte que lorsque ces gens obtiennent leur diplôme, s’ils ne trouvent de débouchés pour ce à quoi ils ont été formés, ils se trouvent obligés de se reconvertir pour ne pas rester au chômage. Et c’est pourquoi la formation doit préparer les futurs travailleurs à s’adapter au changement, à la reconversion aussi. Sinon, on peut former quelqu’un pour être administrateur, mais si le marché de l’emploi n’offre pas beaucoup de places aux administrateurs, il va rester là à attendre indéfiniment qu’un poste se libère ? Non ! S’il peut trouver une occupation voisine, il se reconvertit rapidement en attendant peut-être que l’opportunité se présente d’exercer ce qu’il a réellement appris. Et ce n’est pas seulement au Bénin que cela se passe. Ailleurs aussi, les gens sont obligés de se reconvertir.

Avez-vous un appel à lancer aux autorités en charge de l’éducation ?
Je salue la volonté manifestée par ces autorités de trouver des solutions aux problèmes qui se posent à notre système éducatif. Mais, il faut qu’elles associent vraiment les compétences qu’il faut, que les vraies questions soient posées lors de ces assises-là, et que les gens capables de trouver des réponses appropriées lui soient intimement associées. C’est à ces conditions que ces réflexions-là vont nous permettre vraiment de sortir notre système éducatif de l’ornière et d’en améliorer la qualité pour de meilleurs résultats à l’avenir.

Propos recueillis par Emmanuel GBETO

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