Le professeur agrégé des sciences de gestion du Cames, Judith Glidja, est intervenu sur la télévision nationale, mardi 3 décembre 2019. A cette occasion, elle a réagi et apporté des explications par rapport à l’intervention du président Patrice Talon, lundi 2 décembre 2019, à Dakar, sur la soutenabilité de la dette en Afrique en prélude à la session extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa).
Qu’est-ce qu’on entend par soutenabilité de la dette ?
Judith Glidja : On entend par soutenabilité de la dette publique la capacité d’un Etat à rembourser ses emprunts. C’est une question de solvabilité. On peut assimiler cela à la solvabilité de l’Etat. Ce n’est pas exactement la solvabilité parce qu’en tant que scientifique, si on doit analyser les deux, il y a une nuance. Donc, la soutenabilité, c’est la capacité que l’Etat a, à rembourser ses emprunts.
Et comment évalue-t-on cette soutenabilité de la dette ?
Pour l’évaluer, il est nécessaire d’apprécier les ressources dont dispose l’Etat ou l’économie qui s’endette pour assurer le remboursement mais également apprécie les déterminants de la croissance de ces ressources. C’est fondamentalement ce qu’on peut retenir. Donc, est-ce que j’ai de quoi rembourser la dette ? Comment on peut faire pour que je puisse le rembourser, c’est-à-dire qu’est-ce qui va favoriser la croissance de ma capacité de remboursement ?
Cette conférence de l’Uemoa se tient dans la perspective d’encourager une bonne perception du risque en Afrique. C’est quoi cette perception et quels sont les critères de convergence ?
On va parler d’abord des perceptions du risque. En fait, quand on parle de perception du risque, c’est une vision du risque qui est engendrée par l’instabilité de l’économie concernée. C’est-à-dire que si vous vous endettez, on regarde la possibilité où l’instabilité de votre économie et cette instabilité s’apprécie notamment en regardant la vulnérabilité. Donc, pour apprécier la vulnérabilité, les experts se penchent, par exemple dans nos pays africains sur le caractère fondamentalement précaire pour ne pas dire instable encore des épisodes de croissance, c’est-à-dire que les taux de croissance ne sont pas stables et n’évoluent pas vraiment dans le temps. Il regarde aussi les conflits qui sont particulièrement aigus quelques fois, et donc il y a des risques de guerre civile dans nos pays et plus encore avec les histoires de terrorisme. Il regarde aussi cette faiblesse où nous sommes spécialisés dans l’exportation des matières premières parce que les prix ne sont pas stables sur les marchés internationaux et puis il y a aussi des risques liés aux produits de base. Donc, quand on prend ces trois éléments, ils amènent à se dire qu’il y a des risques à prêter de l’argent à ces Etats-là et donc le spécialiste peut surestimer. Or, en matière d’évaluation de risques, ce n’est pas facile puisqu’elle est la probabilité de réalisation de ces scénarios qu’il fait ? Et donc, si vous observez le président de la République, il trouve qu’on exagère dans l’appréciation des risques parce que ce sont des risques. Surtout par rapport aux conflits, on remarque qu’il y a une certaine stabilité au niveau de nos Etats et malgré cela, ce n’est pas vraiment pris en compte. On traite tous les pays de la même façon et donc cela amène les institutions comme le Fmi, la Banque mondiale à élever le service de la dette, le taux d’intérêt, le taux de remboursement de ces dettes qui n’est pas vraiment bien. Vous avez parlé des critères de convergence qu’on appelle également les critères, de Maastricht qui sont au nombre de quatre. Nous allons nous appesantir sur un des critères puisque c’est de cela que le président a parlé. Mais je les cite d’abord. Il y a la maîtrise de l’inflation. Il faut qu’il y ait une certaine stabilité du prix dans votre pays parce que les critères de convergence permettent aussi d’apprécier l’économie. Donc, une stabilité de prix. Il y a maintenant la situation des finances publiques qui se décline en deux choses : le déficit public et le niveau de la dette publique. Je reviendrai là-dessus. Il y a le taux de change auquel il faut faire attention et enfin la convergence des taux d’intérêt. Je remonte pour parler de la situation des finances publiques qui a intéressé le président de la République. Quand on parle de la situation des finances publiques, il y a deux aspects : le déficit public où on nous dit que cela ne doit pas dépasser 3% du produit intérieur brut de l’année passée et puis le niveau de la dette qui ne doit pas être au-delà de 60% de ce mêmePib. Il l’a dit, si le président français Emmanuel Macron trouve que ce taux de moins de 3%, inférieur ou égal à 3% n’est pas objectif, ce n’est pas pour des pays en difficulté comme nous qu’on doit le maintenir. Donc, ce sont des aspects du débat qu’il faut revoir parce qu’il est intéressant de mentionner comme il a été dit par le président de la République qu’il y a de l’argent à excédent de financement, donc les ressources, l’épargne est disponible pour financer nos économies, mais on met des barrières, des obstacles qui sont un peu trop forts. Donc, il plaide pour l’assouplissement. Ce n’est en rien du favoritisme. Je crois que tout le monde l’a remarqué, mais un peu plus d’objectivité et de transparence dans ce qu’on dit parce qu’il faut apprécier plutôt la qualité de l’investissement, puisque cela va permettre in fine d’accroître les ressources pour permettre le remboursement.
Tout cela, c’est dans une perspective globale en Afrique francophone. Dans le cas du Bénin, que peut-on retenir ?
Je crois que quand le président Patrice Talon a évoqué le cas du Bénin. Par rapport à ces critères que nous avons cités, la perception des risques, il faut revoir un peu les choses. Il faut éviter d’être alarmant dans l’appréciation. Par rapport aux critères de convergence, laissez tomber cette histoire de 3% parce que, comme je l’ai dit, pour évaluer la soutenabilité, il faut regarder les ressources et les déterminants de la croissance des ressources. Donc, pour que les ressources puissent croître, il faut que l’on investisse. Si l’investissement est bon, rentable, il ne faut pas que, par rapport à ces critères qui bloquent, on ne permette pas l’investissement. C’est un plaidoyer. Il faut favoriser l’investissement pour accroître les ressources afin de rembourser la dette. Je crois que c’est suffisamment objectif et pertinent cette intervention du président de la République. Il faut que l’on lui dise un grand merci pour ce plaidoyer.
Professeur Judith Glidja, en termes de résumé et en français plus facile, qu’est-ce que vous envoyez comme message aux paysans qui nous suivent en ce moment ?
Pour le villageois, je peux lui répondre que celui qui veut lui prêter de l’argent, le président de la République est en train de plaider aujourd’hui pour que ceux qui prêtent l’argent comprennent que nous avons les moyens d’accroître nos ressources pour rembourser, et donc il faut éviter de mettre trop de barrières puisqu’il y avait des critères bien définis avant. Revoir les choses afin d’accéder à ces financements pour nous permettre de nous développer. Et pour qu’on puisse se développer, il faut qu’on facilite l’accès à ces financements de la dette et que plus tard, les investissements puissent permettre d’accroître nos capacités de remboursement.