L’enseignant à la retraite Laurent Hazoumê, est préoccupé par le « grand silence » qui a envahi le secteur de l’alphabétisation au Bénin. Dans cette opinion intitulée : « De l’analphabétisme sans fin à l’esclavage culturel », il s’insurge contre l’inaction. Pour corriger le tir, il exhorte la direction de l’alphabétisation, ou la structure qui en tient lieu, à redorer son blason en redonnant à ce sous-secteur sa force d’antan.
Un grand silence a fini par envahir un secteur pourtant très bruyant et florissant durant quelques décennies. Les populations sont abandonnées à elles-mêmes. Il s’agit, et chacun pourra aisément le deviner, du domaine de l’alphabétisation. L’analphabétisme, nous le savons, touche environ cinquante ou soixante pour cent de la population de 15 ans et plus au Bénin. Des statistiques qui, on le souhaite, n’ont pas négativement varié. Tout semble aujourd’hui avoir atteint un point de non-retour. Est-ce là une politique malthusienne qui ne dit pas son nom ? Il ne peut en être ainsi, sommes-nous tenté de le croire, car le Programme d’actions du gouvernement a bien défini les grandes lignes d’une politique culturelle et éducative claire et conséquente.
La Direction de l’alphabétisation et de l’éducation des adultes, cheville ouvrière de toutes ces actions, n’a pas disparu qu’on le sache. Elle est même aujourd’hui à sa place, celle qui lui a toujours été souhaitée. Mais pourquoi ce silence, cette inaction que rien ne devrait justifier ? Depuis les années où les grandes structures chargées d’animer le sous-secteur de l’éducation des adultes ont été créées, de nombreuses activités dont la recherche se sont développées malgré les difficultés inhérentes à une telle entreprise sur un terrain très mouvant. L’Etat et tous les acteurs du domaine y avaient véritablement cru. Une synergie d’actions dont les résultats étaient très palpables. Le lancement de l’année de l’alphabétisation au Bénin en 1991 et la Décennie des Nations Unies pour l’alphabétisation en 2003 en avaient vraiment ajouté à cette foi qu’en avaient beaucoup de Béninois.
Aujourd’hui que le Programme d’actions du gouvernement (Pag) est encore plus explicite sur la question de l’éducation, il y a comme une sorte de paradoxe face à la léthargie qui se constate. En effet, depuis une décennie au moins, l’enthousiasme et l’intérêt des organisations dans leur ensemble pour les questions purement politiques sont devenus des normes au point où tout le monde s’en préoccupe sans désemparer et opine allègrement sur tous les sujets y afférents. La société et ses difficultés, les questions relevant de l’éducation des adultes ne sont donc plus au goût du jour au sein de beaucoup d’organisations et de partis politiques. Et pourtant, le peuple que l’on tient coûte que coûte à sauver devrait en être l’élément fondamental et se devrait se situer pour ainsi dire au centre de toutes nos réflexions. Faute de cela, les populations analphabètes sont pratiquement sous-tutelle ou tout simplement sous l’emprise d’une classe supposée très éclairée.
Que ces franges analphabètes de la société aient du mal à cerner réellement l’importance des questions essentielles qui nous sont communes, nos grands maîtres, docteurs et penseurs de tout acabit, et ils sont nombreux en ce moment, n’en n’ont cure et croient toujours devoir continuer à parler au nom de ces populations imbus de toutes leurs certitudes. Pourtant nos compatriotes analphabètes ne demandent qu’à jouer aussi pour leur part un rôle modeste de citoyens engagés en sortant de l’obscurité dans laquelle nous avons décidé de les maintenir. En réalité, nous soliloquons indéfiniment sans aucune conscience claire de la profondeur du gouffre dans lequel ces hommes et ces femmes sont plongés. C’est bien là ce que nous avons décidé de considérer, sans la moindre hésitation, comme un « esclavage culturel » parce qu’il s’agit là d’une« prison »néanmoins virtuelle consciemment créée par nous pour eux. Ils n’en sortiront que lorsque nous l’aurons également décidé.
Nous pouvons dès lors affirmer que le peuple est effectivement trompé à ce niveau par nous qui prétendons devenir la conscience de ces milliers de Béninois et Béninoises qui, en silence et stoïquement, continuent de vivre leur vie sans l’espoir d’un meilleur lendemain. Un triste constat qui démontre que rien n’émeut une certaine catégorie importante d’hommes et de femmes qui semble vivre hors du temps et hors de certaines réalités qui sont loin d’être simplement d’ordre purement politique. La dernière déclaration de notre société civile sur la révision de la Constitution doit nécessairement ouvrir la voie à d’autres questionnements et plaidoyers sur les questions sociales dont l’alphabétisation. Notre devoir étant de chercher, sans occulter les sujets politiques, à éliminer de notre environnement ce grand fléau qui nous assaille. Ce devrait être notre propre contribution au social dont nous parlons tant.
Des Académies des Sciences et des Lettres africaines ont, au cours des assises de Cotonou il y a quelques jours, abordé la question de l’importance de l’alphabétisation dans l’éducation de nos enfants. Cette demande n’est pas nouvelle. Elle a eu le mérite d’être renouvelée par des scientifiques que rien, apparemment, n’est sensé amener sur ce terrain. Former les enfants à travers leurs langues, vecteurs importants pour les connaissances endogènes, est source de grandes avancées scientifiques pour les pays africains. Le seul bémol est que les détenteurs de ces savoirs endogènes sont les parents mais des parents analphabètes. Il urge donc que soit intensifiée l’éducation des adultes car l’immixtion des parents alphabétisés dans le système formel tel qu‘expérimentée au Burkina Faso, par exemple, génère des résultats remarquables. Il s’agit notamment de ce qui est dénommé dans ce pays : « Education bilingue ». Les populations analphabètes sont celles-là qui ne savent ni lire ni écrire. Et pourtant, elles font partie intégrante de nos sociétés et méritent une plus grande considération à travers l’aide à l’instruction que chaque groupe organisé pourrait leur apporter. Car, on ne le dira jamais assez, c’est parmi ces concitoyens que l’on retrouve le plus grand nombre de pauvres et de pauvres extrêmes.
Malgré le travail titanesque qu’accomplit l’Etat béninois pour redresser et reconstruire ce pays dans tous les secteurs, ce dernier vient de mettre en œuvre le grand programme dénommé Arch dont la finalité est d’aider les pauvres extrêmes à sortir de la précarité. Une action courageuse qui devrait constituer un déclic et une boussole pour l’ensemble des organisations et associations dans la prise de conscience de la gravité du fléau de l’analphabétisme qui est aussi une question fondamentalement politique. Comme l’Etat, les partis politiques à travers les jeunes, hommes comme femmes, devraient pouvoir s’y lancer aussi comme ce fut le cas il ya quelques années. Ainsi pris à bras le corps, ce que nous osons considérer comme un fléau sera grandement atténué. Comment notre pays pourrait-il devenir un « Hub » dans le secteur du numérique et atteindre certains objectifs des Odd si l’analphabétisme continuent d’avoir de beaux jours devant lui ?
La Direction de l’alphabétisation, si elle existe encore ou la structure qui en tient lieu, doit redorer son blason en redonnant au sous-secteur de l’alphabétisation sa force d’antan. Seule raison de faire mouvoir tous ceux pour qui le verbiage et l’opposition systématique dénuée de toute vision politique et prospective constituent les seules raisons de vivre. Cessons donc de tourner en rond et attaquons-nous à l’essentiel.