Elles s’appellent Hermès et Blandine, âgées de 15 et 12 ans et respectivement élèves au Collège d’enseignement général (Ceg) de Zagnanado et de Kpédékpo. A l’heure où leurs camarades de classe comptent les dernières semaines qui les séparent des congés de noël, elles comptent plutôt celles qui les séparent de leur accouchement. A peine pubères, ces gamines doivent se battre sur deux fronts.
Hermès Anihounvi Ahouandjinou est élève en classe de 5ème au Ceg de Zagnanado. La quinzaine, elle est interdite de rester à la maison depuis que ses parents ont découvert sa grossesse. L’enfant qu’elle porte en son sein, Hermès l’a conçu après avoir succombé aux avances d’Ezéchiel, un copain qu’elle devait satisfaire sexuellement et de façon régulière dès que l’occasion se présentait. Elle raconte : « La première fois, c’était après une séance de sensibilisation sur le Vih/Sida, qui a eu lieu dans notre classe l’année scolaire écoulée. Nous étions tous en classe de 5ème.
Ce soir-là, il m’avait demandé de venir chez lui et quand j’y suis allée, il a porté le préservatif et m’a demandé de me déshabiller, car disait- il, « je veux que nous testions ce qu’on nous a expliqué aujourd’hui sur le préservatif à l’école »’. Puis il s’est jeté sur moi… ». Après ce premier rapport protégé, Hermès et son ami Ezéchiel ont pris goût à la chose, couchant fréquemment pendant que les parents d’Ezéchiel pensaient qu’ils se voyaient pour étudier. Hoonon, la mère d’Ezéchiel témoigne «la fille venait voir mon garçon les cahiers en main. Pour moi, il était clair qu’elle venait pour étudier. Car en plus, la chambre qu’occupe Ezéchiel n’était pas fermée quand ils y étaient.
On ne pouvait pas soupçonner quelque chose de si intime entre eux, vu aussi l’âge d’Hermès». Ce n’est qu’en observant sa fille que la mère d’Hermès se rendra compte de son état. Le gonflement des seins et l’absence des menstrues attireront son attention. Ils confirmeront ses soupçons. Informé, le père d’Hermès va quant à lui observer sa fille pendant un moment avant d’aborder la question un dimanche matin, avec douceur.
Thierry Ahouandjinou, père d’Hermès : « J’ai appelé ma fille après plusieurs jours d’observation et je lui ai posé la question sur ce qui se passait à son niveau. Elle ne voulait pas dire la vérité et j’ai donc pris rendez-vous avec le major. Après la consultation, le médecin nous a informé qu’elle était enceinte de quatre mois. Elle n’a que quinze ans ! ». Il a fallu l’intervention de la gendarmerie et le témoignage des parents d’Ezéchiel avant que ce dernier ne reconnaisse avoir eu plusieurs relations sexuelles non protégées avec Hermès.
« Pas question qu’elle reste à la maison », décide le père
Avec l’évolution de la grossesse, la petite fille doit désormais poursuivre ses études et faire face au regard de ses camarades. Une première fois, puis une deuxième, elle a dû rester à la maison prétextant de malaises. Mais son père Thierry est resté sourd à toute supplication. « J’ai interdit de la voir à la maison, puisque pour moi, elle est appelée à aller au cours et la grossesse ne doit pas être un alibi pour gâcher l’année scolaire, confirme-t-il. Je vais la suivre jusqu’a l’accouchement et elle va reprendre les cours juste après ».
Pour avoir pris cette décision, Thierry a subi des pressions. Certains de ses amis lui ont conseillé de faire avorter sa fille et de l’envoyer ensuite chez des parents, loin du village, afin de sauver l’honneur et d’éviter les critiques. Mais il refuse.
« Mes amis m’ont fui, ils ne voulaient plus me voir parce que je n’ai pas fait ce qu’ils m’ont conseillé. Moi je veux préserver la vie de mon enfant et pour cela, je suis prêt à tout », avance-t-il. Pour Hermès, la difficulté c’est d’affronter la honte et le regard des autres. « J’ai honte. En allant à l’école, mes camarades n’aiment plus cheminer avec moi et tous ne font que parler de moi en me montrant du doigt. En classe, les professeurs ne disent rien mais me regardent. Ma maman m’encourage à faire des efforts car mon père lui, ne veut pas me voir à la maison ».
Blandine, quant à elle, n’a que douze ans. Petite de taille, elle est élève en classe de sixième au Ceg Kpédékpo, dans la commune de Zagnanado. Malgré son jeune âge, elle est enceinte de cinq mois et ses parents ne l’ont su qu’en voyant son ventre s’arrondir. « Du jamais vu », s’étonne Hortense, sa mère qui ne sait toujours pas comment résoudre cette équation à plusieurs inconnues.
D’abord, l’auteur de la grossesse est resté inconnu jusqu’à ce jour. Ensuite, Hortense se pose des questions sur le déroulement de la grossesse et de l’accouchement. Couverte de honte, selon elle, dans un milieu prompt à critiquer, Hortense a préféré garder sa fille à la maison, afin de mieux la suivre.
Pour le spécialiste, il n’y a rien de grave
Pour le Docteur Emmanuel Akpatchossou, coordonateur de la zone sanitaire Covè- Zagnanado-Ouinhi, « la grossesse des adolescentes est un phénomène peu fréquent dans la zone, mais quand ça arrive, on les suit comme on suivrait toute femme enceinte. Maintenant, lors de l’accouchement, quand on voit qu’elle n’a pas la force nécessaire pour sortir l’enfant, on passe directement à la césarienne afin d’éviter tout problème ».
Quant au fait que les parents exigent que certaines adolescentes enceintes aillent toujours à l’école, le médecin pense que cela ne devrait poser problème que si la distance séparant l’école du domicile est trop grande. Certes, il reconnaît que plusieurs facteurs entrent en jeu là, puisque la fille doit avoir du temps pour se reposer.
Par conséquent, s’il arrivait qu’elle dorme en classe, elle ne devrait pas en être punie, selon lui. Jusqu’à nouvel ordre, Hermès Anihounvi Ahouandjinou peut donc continuer à suivre les cours pendant que Blandine, elle, est vouée à l’abandon. Deux malheurs identiques, mais des décisions radicalement opposées.