Par Claude Urbain PLAGBETO,
Il n’est pas un pasteur peul mais sa passion pour l’élevage est remarquable. Premier vendeur de lait frais au Bénin, Ousmane Batoko, actuel président de la Cour suprême, tient à ses bœufs comme à la prunelle de ses yeux, malgré les hautes fonctions occupées dans la République.
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Docteur d’Etat en droit public, sa formation de base ne le prédestinait pas à un métier d’éleveur laitier. Avec un destin de « chef », il a commencé à assumer de hautes fonctions très jeune et pouvait donc se vautrer dans son fauteuil douillet d’intellectuel au col blanc « Akôwé » et faire fi des réalités de la ferme. Erreur !
Ancien chef de district (équivalent d’ex-sous-préfet ou de chef de circonscription ou encore de maire actuellement), plusieurs fois ministre, l’actuel président de la Cour suprême, Ousmane Batoko, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a développé depuis sa tendre enfance une passion pour l’agriculture et l’élevage. Au point qu’il est aujourd’hui le premier vendeur de lait frais de vache au Bénin avec 160 à 200 litres écoulés par jour à Parakou, sa terre natale.
« Tout le lait vendu ne provient pas que de mon troupeau », avoue Ousmane Batoko. Mais, il n’en demeure pas moins qu’il est l’un des grands producteurs sinon le meilleur en la matière au Bénin, avec cette activité qui lui rapporte 15 à 20 millions de francs Cfa par an. C’est à ce titre qu’il a été invité, le 21 novembre dernier, à la Foire de l’agriculture et de la foi organisée par l’archidiocèse de Cotonou à Toffo, pour partager son expérience avec les forains.
De quelques têtes de bovins vers la fin des années 70, il compte aujourd’hui dans ses fermes plus de 200 à Savalou, quelque 300 à Parakou et une cinquantaine à Natitingou, malgré les ventes régulières.
Cette passion pour l’élevage des bovins, Ousmane Batoko la justifie en ces termes : « Je suis fils de vétérinaire ; j’ai grandi dans les bœufs et dans le lait (…) Je n’arrive pas à me sentir à l’aise dans un environnement où il n’y a pas de bœufs ». « Partout où je suis, l’odeur du lait au feu me rappelle mon enfance ; c’est un peu comme le parfum que dégage la terre avec la toute première pluie de la saison », enchaîne-t-il.
« L’élevage des bœufs est comme un héritage pour moi », renchérit Ousmane Batoko. Alors qu’il était chef district de Savalou, en avril 1977, il décide de faire « un petit élevage ». C’était aux heures chaudes de la Révolution qui prônait la production agricole et le « Comptons sur nos propres forces » comme moyens de se soustraire au joug de l’impérialisme. Il déclare : « Il n’est pas question de faire d’élevage pour en faire, d’acheter quelques têtes et de les confier à un Peul ». En se lançant dans l’élevage des bœufs, préconise-t-il, il faut se fixer un double objectif : primo, faire de la production de qualité à travers un choix rigoureux des variétés de bœufs et une alimentation de qualité et secundo, suivre l’activité de près en veillant à l’état de santé des animaux : déparasitage, soins des bobos, lavage sanguin régulier, etc.
Contraintes et rentabilité
Le septuagénaire descend au moins une fois par mois dans ses fermes. N’eussent été ses charges républicaines, il vivrait avec ses troupeaux qu’il affectionne si tant. « Le plaisir du propriétaire en train de contempler son troupeau de retour du pâturage, c’est indescriptible », affirme M. Batoko, l’air jouissif.
« Les bêtes sont très attachantes ; elles vous reconnaissent et sont contentes quand vous venez les voir souvent», poursuit-il, illustrant ses propos par une anecdote. « A Savalou, raconte-t-il, il y a une bête qui se fâche quand je mets plus d’un mois pour aller voir le troupeau. Un jour, elle est restée loin et quand je l’ai approchée, elle m’a tapé dans le ventre pour manifester son mécontentement… »
C’est avec aisance que l’éleveur parle des différentes variétés de bovins, les unes plus productives en lait (jusqu’à 10 litres par jour pour les Azawak du Mali ou du Niger par exemple) que d’autres (vaches ordinaires) qui produisent à peine un demi-litre par jour. D’autres variétés sont plutôt bonnes pour la production de la viande.
Il dit avoir fait l’expérience des Girolando, une variété brésilienne qui donne entre 15 à 20 litres de lait par jour mais qui n’est pas adaptée au climat. « Une seule vache coûtait 1 million F Cfa. J’en ai acheté cinq mais dans l’intervalle de deux ans, je les ai toutes perdues », raconte Ousmane Batoko. « Ce sont des bêtes trop sensibles aux maladies de la peau », fait-il savoir. Et c’est l’une des difficultés dans l’élevage des bovins : le choix des bêtes. A l’en croire, « Même les bouviers peuls se trompent parfois sur les variétés à produire pour le lait ou la viande ».
Outre les conflits parfois sanglants entre éleveurs et agriculteurs, l’autre difficulté de l’élevage des bovins est liée au suivi, à l’identification des bêtes dans les prés où paissent plusieurs troupeaux. D’où la nécessité de leur graver des boucles d’oreilles en laiton, quoique certains pasteurs soient capables de reconnaître une de leurs bêtes parmi des centaines d’autres.
« Si les animaux jouissent d’un bon espace avec de l’eau disponible, l’élevage des bovins est une activité très rentable », lâche Ousmane Batoko qui dit acheter chaque année 90 tonnes de coton-graine pour nourrir ses troupeaux. Un taurillon acheté entre 80 000 et 120 000 F Cfa peut être revendu à 300 000 F Cfa en l’espace de deux ans, soit plus de 100 %
comme profit, illustre-t-il. « Il m’est arrivé de vendre une seule bête à 600 000 F Cfa », ajoute l’éleveur, soulignant au passage que le Nigeria influence beaucoup les prix des bêtes.
Ousmane Batoko a pu transmettre à sa fille aînée la passion de l’élevage qu’il partage avec sa femme, au-delà des plantations d’anacardiers et autres propriétés agricoles. Comme pour dire que la relève est assurée. Et la jeunesse qui dédaigne l’agriculture au profit des fonctions bureaucratiques et autres activités pas toujours porteuses de valeur ajoutée pour le développement, peut en prendre de la graine.