Le parrainage politique, de plus en plus adopté en Afrique à travers des réformes, suscite des positions assez clivées. Pour les Etats adoptant une législation sur le parrainage, il s’agit d’un moyen visant à consolider la démocratie représentative. Tandis que pour certains acteurs politiques et citoyens, il s’agit d’un nouveau subterfuge des gouvernants pour exclure la concurrence. Qu’est-ce que le parrainage et pourquoi y recourir?
Le parrainage peut être défini comme l’appui moral prêté par une personne d’autorité à une œuvre, au soutien d’une personne qui demande à être admise dans une société, un ordre…. Ainsi, le parrainage est la désignation par un élu et/ou un citoyen, d’un candidat à une élection selon la législation électorale en vigueur. Il s’agit par conséquent d’un critère d’éligibilité.
Les expériences à ce jour en Afrique, portent sur le parrainage par un pourcentage minimal d’élus ou de citoyens généralement sur un pourcentage des circonscriptions électorales. Ainsi, pour les candidatures à l’élection présidentielle, le Bénin a opté en 2019 pour le parrainage par 10% de l’ensemble des députés et des maires, le Mali a, en 2016, opté pour le parrainage par 10 députés ou 5 conseillers communaux et l’Égypte pour le parrainage par au moins 20 membres de la Chambre des représentants ou par au moins 25 000 électeurs répartis dans au moins 15 gouvernorats avec un minimum de 1000 électeurs par gouvernorat.
« Pour ses défenseurs, le parrainage est un système de filtrage permettant aux seuls candidats «méritants et qualifiés» de se présenter devant les électeurs »
En 2017, le Sénégal a opté pour le parrainage à l’élection présidentielle et aux élections législatives par les électeurs citoyens. Une réforme en 2018 l’a étendu aux candidats des partis politiques ou coalitions de partis et a permis d’augmenter les exigences notamment en nombre et répartition des parrainages. Il faut par conséquent un nombre d’électeurs compris entre 0,8 % et 1 % du fichier général répartis sur au moins 7 des 14 régions du pays et à raison de 2.000 au moins par région selon la Loi N°2018-22 Du 04 Juillet 2018 portant révision du code électoral.
D’autres modes de parrainage, généralement moins contraignants, en particulier pour des candidatures indépendantes, existent dans quelques pays. Par exemple, en Ile Maurice, il faut le parrainage d’au moins 6 électeurs de la circonscription alors que les candidats sans étiquettes ont besoin au Rwanda d’au moins 600 électeurs inscrits (dont au moins 12 par district) et au Kenya de 1000 électeurs inscrits dans la circonscription.
Bien que relativement récent en Afrique, le parrainage a été consacré il y a longtemps dans beaucoup de vieilles démocraties. Ainsi en Allemagne, pour les candidatures aux législatives des partis non-établis ou des citoyens, il faut le parrainage d’au moins 200 électeurs dans la circonscription concernée. En Belgique, il faut le parrainage de 200 à 500 électeurs selon la dimension de la circonscription électorale ou de 3 parlementaires sortants alors qu’en France, depuis 1962, il faut 500 parrainages d’élus pour l’élection présidentielle.
Pourquoi recourir au parrainage alors que l’élection en elle-même permet la désignation de candidats pour exercer un mandat électoral ? Pour ses défenseurs, le parrainage est un système de filtrage permettant aux seuls candidats «méritants et qualifiés» de se présenter devant les électeurs. Il permettrait également d’éviter le nombre pléthorique de candidatures et ainsi limiter les dépenses de la gestion du processus électoral. Mieux, Dominique Gély juge le parrainage nécessaire parce que cela favoriserait entre autres un « débat serein et égal entre les candidats » que la multiplicité de candidatures compromettrait.
Dans la pratique, seuls quelques candidats pourraient être en mesure de bénéficier des signatures des élus du fait même de leur nombre limité. La crainte peut également venir du déséquilibre des forces politiques en présence. Dans la situation actuelle du Bénin, où tous les parlementaires sont de la mouvance présidentielle et où, comme l’a montré une pratique récente, les maires peuvent être révoqués par le pouvoir, les chances d’obtention de parrainage par les candidats indépendants ou issus de l’opposition sont très minces.
Par ailleurs, les risques de corruption électorale constituent un autre type de crainte lié au parrainage. Au Mali, il a été rapporté que « les parrainages, précieux sésames qui représentaient le visa pour la compétition, se négocieraient contre la somme non négligeable de 4 à 5 millions de FCFA pour les très honorables députés nationaux et contre 50 000 à 200 000 FCFA pour les maires et conseillers. » La pression politique sur les élus constitue une autre crainte car le parrainage n’est pas protégé par le secret de vote. La violence notamment psychologique sur certains élus ne cédant pas à la corruption n’est pas à exclure. Un élu n’ayant pas soutenu la force politique dominante pourrait être fragilisé au point d’être `éjecté’ de son fauteuil.
Même si le parrainage se fait par les citoyens, et non par les élus, les difficultés existent toujours. Par exemple, au Sénégal, le parrain est l’électeur qui figure légalement et définitivement sur le fichier électoral et il ne peut parrainer qu’un seul candidat sous peine de sanction. Lors de la dernière élection présidentielle, «la validation des candidatures a été particulièrement controversée en raison de l’application de la loi sur le parrainage qui s’est traduite par l’élimination de l’écrasante majorité des candidats à la candidature. Sur les 27 dossiers déposés au niveau du Conseil constitutionnel, 20 seront invalidés pour non satisfaction des exigences du parrainage» selon OSIWA.
« Les risques de corruption électorale constituent un autre type de crainte lié au parrainage »
Ainsi, en cas de multiplicité de parrainages par un même électeur, l’invalidation s’est faite selon l’ordre de dépôt des listes. Ce qui pourrait compromettre l’égalité des candidatures dans la mesure où des candidats venus en dernier ont été exclus du processus pour nombre insuffisants de parrains. La candidature de Boubacar Camara a ainsi été recalée suite a 40 000 parrainages rejetés sur 60 000 en raison de doublons sur sa liste avec celle d’un autre candidat. La gestion manuelle puis la saisie de 53 000 candidatures par candidat doit être prise en compte au nombre des défis.
Aussi, l’indisponibilité du fichier électoral lors de la collecte des signatures ne permettait pas aux candidats de savoir si leurs parrains étaient sur le fichier et donc aptes à parrainer. Le rôle du Conseil Constitutionnel dans la vérification des parrainages a soulevé des réserves dans la mesure où il s’agit d’un travail plus administratif que juridictionnel. En outre, «en traitant des réclamations faites par les candidats recalés, le Conseil pouvait être également être perçu comme se trouvant dans la position de juge et parti, ce qui n’était pas de nature à dissiper les controverses».
Suite à l’élection et aux critiques, le Gouvernement Sénégalais a mis en place une Commission Ad Hoc incluant l’opposition et la société civile chargée de réfléchir sur la mise en œuvre du parrainage. Ses travaux ont tourné autour des points les plus problématiques retenus par consensus. Il s’agit de: la collecte des signatures; le dépôt et le contrôle des listes de parrainage ; le contentieux et les sanctions à l’encontre des auteurs de fraude.
« Il est important de l’encadrer afin de le rendre inclusif et non un moyen de plus pour se ‘débarrasser’ de la concurrence »
Les démocraties dites établies malgré les années de pratique questionnent aussi le parrainage. La France est par exemple passée par plusieurs propositions infructueuses de réforme du parrainage telles que: relever le seuil des parrainages; instaurer le secret des parrainages pour éviter les pressions exercées sur certains élus locaux; le parrainage citoyen; instaurer un système mixte de sélection des candidats par 500 parrainages d’élus ou 500 000 parrainages de citoyens, etc.
Au final, le parrainage est un système qui permet certes de filtrer et d’encadrer les candidatures aux élections en évitant toute «candidature fantaisiste» mais rien ne garantit dans la pratique que ce soit vraiment les ‘meilleurs’ candidats qui soient parrainés notamment au regard des défis et difficultés qu’il présente. Rien n’exclut que le système de parrainage ne soit pris en otage par les acteurs politiques et soit détourné de son objectif premier. Il est important de l’encadrer afin de le rendre inclusif et non un moyen de plus pour se ‘débarrasser’ de la concurrence. Même en cas de bonne foi des acteurs politiques, les défis techniques sont nombreux et doivent être pris en compte.
Nadia Nata
Nadia Nata est une consultante indépendante sur les questions de gouvernance politique, de paix et de sécurité en Afrique. Elle a travaillé comme personne ressource pour l’Union africaine, la CEDEAO, les Nations Unies, l’Union européenne et plusieurs organisations de la société civile. Nadia Nata avait rejoint l’Open Society Initiative for West Africa (OSIWA) en 2011 en tant que chargée de programmes de gouvernance politique.