Comme plusieurs pays, le Bénin n’est pas à l’abri de l’extrémisme violent et de la radicalisation. Selon une étude qualitative exploratoire sur les risques et facteurs potentiels de radicalisation et d’extrémisme violent au Bénin, réalisée par Aziz Mossi dans le cadre du Programme de l’Union européenne de Prévention de l’Extrémisme Violent en Afrique de l’Ouest et dans le Bassin du Lac Tchad (PPREV-UE II), des déterminants religieux sont susceptibles de déboucher sur la radicalisation et l’extrémisme violent. Ce qui mettrait en péril, la cohésion sociale au sein des communautés…
Conduite par une équipe d’experts nationaux dans huit (8) communes des quatre départements de la partie septentrionale du Bénin à savoir les communes de Kandi et Malanville (dans l’Alibori), Matéri, Natitingou et Tanguiéta (dans l’Atacora), Nikki et Parakou (dans le Borgou) et Djougou (dans la Donga), la présente étude a permis de produire des données sur les phénomènes d’extrémisme violent et des facteurs qui les sous-tendent ainsi que des éléments empiriques d’aide à la décision proposant des options d’intervention en vue de la formulation de stratégies ou programmes de prévention de l’extrémisme violent (PEV).Ceci, tant au bénéfice du personnel de la Délégation Européenne en République du Bénin qu’aux autorités publiques concernées. Des facteurs étudiés, les déterminants liés à la religion restent préoccupants et méritent une attention particulière de la part des gouvernants.
La multiplicité des confréries : de l’intolérance à la radicalisation
Des enquêtes menées dans quatre (4) départements du Nord du pays composés majoritairement de populations musulmanes, il ressort que l’ensemble de ces territoires, à l’exception de Matéri et de Natitingou où semblent régner une certaine uniformité confessionnelle, est caractérisé par une diversité de courants islamiques. “Les plus évoqués sont ceux appelés localement : les Tidjaniyya, les Sounantche, les Tab’lik, les Chiiya, les Izala, les Ahmadiyya, les Gaoussou. Ces divers courants peuvent être classés en deux grands groupes de musulmans à savoir les Salafistes minoritaires (issus de l’école hanbalite et constitués d’adeptes puristes dont les deux références sont le Coran et la pratique du prophète. Ils prônent une pratique rigoriste de l’islam) et les Soufistes majoritaires (adeptes d’un islam plus traditionnel issu de l’école malikite, tolérant, avec un certain degré d’africanisation). Chacun de ces deux groupes est traversé par des divergences internes liées aux interprétations du Coran et de la Sounna (les actes du prophète). Mais la principale opposition entre eux réside dans l’absence d’intermédiation entre les fidèles et le prophète Mahomet chez les premiers et la référence à un guide spirituel faisant office d’intermédiaire entre le prophète et les fidèles pour les seconds. Certains sous-courants qualifient d’ailleurs cet intermédiaire de « dernier prophète annoncé par Mahomet ». C’est le cas des adeptes du Gaoussou et de Ahmadiyya. Selon certains interlocuteurs, les acteurs radicaux se recruteraient parmi les Salafistes qui procèderaient généralement par la délégitimation et la négation des autres courants. Ceci se traduit par des réformes introduites dans les pratiques cultuelles (les heures de prières, l’interdiction des cérémonies funéraires, le rejet de l’usage du chapelet, etc.). Ce dénigrement de l’islam ancien génère des conflits multiples revêtant la forme de violences verbales et des agressions physiques”, révèle le chercheur Aziz Mossi dans cette enquête. Cependant, grâce à des mécanismes internes de médiation conduits par des dignitaires des camps protagonistes, les effets desdits conflits sont parfois atténués dans certaines communes (Kandi, Malanville et Djougou). Avec des espaces de dialogue initiés par ces médiateurs sociaux (Imams centraux, rois, ou dignitaires coutumiers, etc.), les protagonistes sont sensibilisés sur la base des comportements du Prophète et de ses paroles. Si les débordements sont généralement verbaux, les affrontements deviennent rares. “Toutefois, qu’il y ait affrontement ou non, on note la difficile cohabitation entre courants religieux. Les divergences internes entre différents courants religieux sont fréquentes et pourraient conduire certains acteurs à se radicaliser et à rejeter systématiquement toutes propositions venant des autres courants. Cela pourrait avoir sa source dans la forte tendance à la délégitimation réciproque que l’on observe sur le terrain. Car, la discrimination et l’intolérance religieuses, ainsi que les sentiments de frustration exacerbée sont de potentiels facteurs déclencheurs de la radicalisation puis d’un extrémisme violent potentiel”, lit-on dans le rapport de synthèse de l’étude. Par ailleurs, les mécanismes traditionnels de médiation semblent montrer leurs limites en raison de la perte de légitimité de certaines autorités traditionnelles (rois, imams centraux, évêques, etc.). Ceci amène les autorités administratives étatiques (préfets, maires, procureurs de la République, commissaires de police, etc.) à s’impliquer (plutôt à intervenir par force !) dans la médiation alors même qu’elles sont moins légitimées dans cet espace parce que fondant leur jugement sur des normes républicaines non reconnues par les protagonistes.
Le fanatisme et la tendance à la radicalisation
“On assiste à un endoctrinement inquiétant de la jeunesse, notamment des talibés et autres élèves coraniques par des gourous de nouvelle génération à l’image des Gaoussou dans la commune de Kandi dont le leader se fait vouer un culte révérenciel extraordinaire : son crachat et son eau d’ablution sont considérés comme bénis et sacrés. En général, les chefs religieux encouragent et promeuvent la tolérance, mais il existe bien de cas de dénigrements, d’envolées verbales, d’incitation à la violence et des conflits entre différents clans religieux ou entre leaders de mêmes clans. Au plan national, pour prévenir la radicalisation religieuse, quelques initiatives de dialogue interreligieux sont entreprises par le biais de l’Etat ou de certaines personnes ressources ou organisations de la société civile et promeuvent la tolérance et la coexistence pacifique entre les différentes confessions religieuses”, révèle l’étude.
Laïcité: L’Etat dans une démarche prudente…
L’Islam étant considérée comme la première religion au Bénin avec 27,7% de la population et le département de l’Alibori dont 81,3% de la population sont des musulmans (statitisques INSAE 2013), l’Etat semble contraint de jouer la carte de la prudence quant au débat sur la laïcité au Bénin. “La construction tous azimuts de mosquées et d’écoles coraniques ou franco-arabes apparaît comme une stratégie de marquage de territoire et la volonté d’exprimer, dans un élan de délégitimation de l’Etat, une identité culturelle distincte de celle que l’Etat souhaite insuffler. Il est difficile aux pouvoirs publics d’intervenir sur ces questions généralement considérées comme sensibles. Du coup, le débat autour de la laïcité est exploité comme un tremplin par les communautés religieuses pour remettre en cause l’ordre républicain. Certains citoyens expriment leur inquiétude quant à la capacité de l’État à exercer un contrôle approprié sur les groupes religieux. Puisque bien souvent, l’Etat semble adopter des postures de prudence pour ne pas heurter les sensibilités des leaders religieux, y compris dans des cas où la liberté de pratique religieuse va à l’encontre des droits d’autres citoyens. Le cas de Parfaite de Banamè avec des affrontements sanglants et des décès et les cas de déguerpissements et d’interdiction faites aux musulmans de prier dans les rues sont illustratifs à cet égard. Selon le principe de laïcité, l’Etat observe une attitude de tolérance et de non intervention dans les affaires religieuses. En effet, l’intervention des forces de l’ordre, l’usage de la force ou l’immixtion des pouvoirs publics (par exemple, la fermeture d’édifices religieux) peuvent entraîner des réactions violentes. L’on distingue globalement trois types d’écoles islamiques à savoir les écoles coraniques de type traditionnel, les écoles arabes et les écoles franco-arabes qui constituent la forme la plus modernisée. Les deux derniers types d’écoles sont appelés Madarsa localement (ou Médersa). Leur typologie est fonction de l’évolution qu’elles ont connue dans le temps. Les écoles coraniques enseignent les enfants à partir des langues locales (souvent le Haoussa et quelques fois le Peul) et l’Arabe. Tandis que les écoles arabes enseignent exclusivement en Arabe et les écoles franco-arabes à partir du Français et de l’Arabe. Le contenu pédagogique des enseignements au niveau des écoles franco-arabes est celui en vigueur dans les écoles publiques auquel il est ajoutés d’autres contenus de type religieux et ceux relevant de la morale universelle. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il arrive quelques fois que l’Etat inspecte les enseignements dans ces écoles franco-arabes à travers ses agents compétents”, renseigne Aziz Mossi. Les communes investiguées sont caractérisées, selon ce dernier, par des situations qui les exposent aux effets de la radicalisation pouvant conduire à l’extrémisme violent. On peut évoquer la violence des prêches, les dénigrements réciproques et les attaques directes lors des prêches, les conflits de leaderships dans les dynamiques de captage et de redistribution de la manne financière en provenance des pays du Golfe arabe, la proximité et la complicité avec les courants radicaux des pays voisins (Niger, Nigéria), la prégnance des conflits d’autochtonie versus allochtonie, les frustrations liées à l’absence de services publics de base où l’exclusion du fait des réformes de l’Etat, le rejet de l’Etat et de ces principes, les conflits liés à l’accès à la terre et aux ressources, etc. “La radicalisation et la probabilité de la survenue d’un extrémisme violent dans la partie septentrionale du Bénin sont sous-tendues par plusieurs déterminants quel que soit le milieu considéré. Les perceptions des acteurs révèlent qu’il s’agit d’un phénomène multifactoriel…Globalement, on retient que la radicalisation émerge des diverses formes d’injustices que les acteurs sociaux ont le sentiment de subir et qui aboutissent à leur marginalisation/exclusion des débats, espaces et services publics, à la discrimination réelle ou ressentie dont ils font objet, des conditions de précarité qui constituent leur quotidien”, peut-on également découvrir dans le rapport de l’enquête.