Camille Tooubi responsable du Centre d’étude, de recherche et de la formation en apiculture tropicale basé à Bohicon est préoccupé par le développement de cette filière. Dans cette interview, il soutient que pour révolutionner ce secteur, il faut une meilleure implication des acteurs et l’arbitrage de l’Etat.
La Nation : Quel est l’état des lieux de l’apiculture au Bénin?
Camille Tooubi : L’apiculture que nous faisons au Bénin est embryonnaire parce qu’on est pratiquement dans le loisir. Paradoxalement, on s’attend à un rendement à la taille d’une apiculture professionnelle. Vous ne pouvez pas être dans une apiculture de loisir, incapable de vous nourrir et prétendre avoir des revenus conséquents. Sous d’autres cieux, c’est une activité qui nourrit son homme. On ne peut pas aujourd’hui parler de l’apiculture capable de nourrir l’individu au Bénin simplement parce qu’on est dans le loisir. Ici, nous disposons d’un centre touristique et en même temps pédagogique. Tout ce que nous faisons dans le centre entre dans le cursus scolaire des élèves et étudiants. Le but principal du centre est de faire des recherches pointues dans le domaine apicole afin de pouvoir apporter les éléments qu’il faut pour booster cette activité pour qu’elle devienne une filière à un moment donné.
Qu’entendez-vous par professionnel de l’apiculture ?
Le professionnel, c’est celui qui n’a que l’apiculture pour travail. C’est dire que c’est l’activité qui lui donne un salaire à la fin du mois. C’est grâce à cette activité qu’il arrive à se nourrir, à nourrir sa famille,… Si vous êtes dans une apiculture de loisir, c’est que vous avez votre job qui vous donne un salaire mensuel et que vous avez mis deux ou trois ruches dans la brousse et à un moment donné, vous allez les voir pour trouver quelques litres de miel. Vous ne pouvez pas être dans ce schéma et prétendre faire une apiculture rentable et rationnelle ou durable. Je pense que l’apiculture au Bénin doit être revue.
Il y a eu quand même des projets apicoles mis en œuvre au Bénin. Qu’en dites-vous ?
Il y a pas mal de projets qui sont passés au Bénin. Ces projets apicoles sont initiés par des structures telles que le Fonds mondial pour l’environnement, la Giz, le Bit… Il faut faire un état des lieux pour voir ce qui n’a pas marché ou ce qui a marché et refaire des projections. Il y a quelques mois, l’Union européenne a validé le miel du Bénin. On peut aujourd’hui l’exporter vers l’extérieur. C’est déjà un pas. Mais l’Union européenne n’acceptera pas sur son marché un miel sans aucune traçabilité. Donc, il faut revoir les choses pour que nous puissions aller à une filière décente. L’apiculture, c’est une activité qui se gère. La ruche se gère, ce n’est pas juste une caisse où les abeilles viennent y faire du miel. Je dis souvent que l’apiculture est l’une des activités les plus complexes. Mais malheureusement, les gens banalisent cette complexité. C’est pourquoi il y a des problèmes dans ce domaine au Bénin. Il faut faire la part des choses et savoir où l’on veut aller dans cette filière porteuse.
Voulez-vous parler d’une réorganisation de la filière apicole ?
Absolument. C’est le plus important d’abord. En Europe, il y a des professionnels en apiculture, il y a aussi des amateurs, ceux qui sont dans le loisir. On les reconnait mais les professionnels ne vivent que de ça. Et lorsqu’on veut apporter aux apiculteurs ou aux paysans un plus, il faut nécessairement reboiser. Vous devez savoir que les abeilles ont besoin de deux principaux produits pour donner du miel et survivre : le pollen et le nectar. Ces deux produits se trouvent sur les arbres. Par conséquent, il faut l’existence de ces arbres pour permettre à celui qui veut faire l’apiculture d’avoir un rendement meilleur. Donc, entre l’arboriculture et l’apiculture, il y a un lien étroit. Les abeilles ne peuvent pas vivre sans les arbres et les arbres en retour ne peuvent pas produire des fruits sans les insectes, en particulier les abeilles. Lorsque vous prenez le taux participatif de pollinisation des insectes, l’abeille prend entre 75 et 80 %. L’abeille le fait de façon méthodique. Donc sans les abeilles, nous n’aurons pas de fruits sur la terre, et il sera difficile de vivre. Il va falloir que nous repensions l’apiculture pour aller vraiment à une filière digne si nous voulons développer le secteur.
Avec la réorganisation, pensez-vous que la production du miel pourra satisfaire la demande du marché à l’étape actuelle ?
Justement pas. Quand je parlais tantôt de l’apiculture professionnelle, c’est celle qui est en mesure de produire deux, trois, voire dix tonnes de miel. Le schéma dans lequel nous nous retrouvons aujourd’hui ne nous permet pas d’avancer. Prenons par exemple le type de ruche que nous utilisons. Dans le nord, ce sont souvent les ruches kényanes. Avec ces types de ruches, vous êtes obligé de presser la cire d’abeille et le miel. A partir de cet instant, la qualité du miel est déjà piètre. Le miel étant un aliment, on ne peut plus continuer à le presser avec la main. Il faut mettre en place les mesures d’hygiène qu’il faut pour avoir un miel vendable sur le marché international. Il faut donc aller à une modernisation, avoir des ruches modernes disposant des éléments qui permettent d’extraire le miel sans détruire la cire. Parce que lorsqu’une ruche veut faire un kilo de cire d’abeille, l’abeille est appelée à utiliser dix à quatorze litres de miel. Vous voyez la quantité ? C’est ça qu’elle va faire d’abord avant de repartir chercher du nectar sur les fleurs. Ces nectars sont transformés par le principe de la trophallaxie pour faire du miel et stocker encore dans ces cellules-là. C’est un boulot. Alors que si vous extrayez le miel avec un extracteur, vous sauvegardez les rayons que vous pouvez leur remettre en tenant compte du temps de floraison et les abeilles vont les utiliser rapidement. Au lieu qu’elles aillent encore chercher du nectar pour faire la cire, les abeilles vont rapidement produire du miel et le rendement sera élevé. Il faut donc de la recherche sur le plan floristique pour savoir les types d’arbre utiles aux abeilles, les répartir et les diversifier pour faciliter la tâche aux abeilles. Il faut également rechercher les ennemis des abeilles ainsi que les maladies qui détruisent le miel. L’université doit pouvoir conduire les recherches, savoir par exemple le rendement de chaque ruche. Quittons l’amateurisme et allons à une filière professionnelle. Mon souhait est que le Bénin soit une zone où la production du miel est abondante.
Qui donc peut faire bouger les choses, comme vous le souhaitez ?
L’implication de l’Etat à travers le ministère en charge de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche est nécessaire pour que les choses entrent dans les normes. Il y a aussi les acteurs notamment les formateurs, les producteurs, les chercheurs… Tous ceux-là doivent se réunir et définir comment les choses doivent se faire. Ne nous limitons pas au titre ronflant de ‘’ je suis apiculteur’’. Il faut savoir qui exerce réellement pour éviter la confusion. Mieux, l’intervention des autorités permettra de limiter les fraudes. Quand on prend du miel, on ne devra plus voir un dépôt noir au fond de la bouteille. Il faut reconnaître que le miel à la récolte est hygroscopique, c’est-à-dire qu’il a la capacité d’absorber de l’eau. Il y a des conditions de récolte à mettre en place afin de changer les choses. C’est pourquoi je demande que ceux qui savent faire l’apiculture interviennent pour que le Bénin garde son label.
Quel est le mécanisme qui permet d’obtenir le miel, tant prisé et qui est désormais conseillé en lieu et place du sucre ?
Généralement, les gens pensent que les abeilles chient du miel. C’est une erreur très grave. Les abeilles ne chient pas le miel. Le miel, c’est l’aboutissement d’un travail énorme que les abeilles accomplissent. Il faut dire que le miel est fait à partir du nectar, l’eau sucrée de la fleur. Cette eau est puisée dans le sol par les racines de l’arbre. Cette eau traverse certains tissus et au cours de son passage, elle va dissoudre les matières aromatiques surtout les matières sucrées. A un moment de la journée, cette eau va givrer à la base de la fleur et l’abeille ira prélever. C’est cela le nectar constitué de deux éléments à savoir l’eau et le sucre. La quantité d’eau est entre 80 et 85 % et le taux du sucre est entre 15 et 20 %.
Mais ce sucre est essentiellement constitué de saccarose indigeste par l’organisme humain. L’abeille va absorber le nectar dans son jabot qui est en même temps un laboratoire où les premières transformations vont commencer. Dans le jabot de l’abeille, il y a des sucres enzymatiques qui dénaturent les 15 % du sucre du nectar. La première abeille ajoute les enzymes qui attaquent ce sucre indigeste par l’organisme humain avant d’arriver à la ruche. Elle va ensuite régurgiter ça dans la bouche d’une autre abeille qui est interne. A son tour, elle va le faire à une autre, etc. On parle du principe de la trophallaxie ou de l’échange. Ainsi, ce sucre indigeste va se transformer en deux autres sucres : le glucose et le fructose directement assimilables par notre organisme. L’insuline n’a aucun rôle à jouer sur ce sucre qui va directement dans le sang.
Quand les abeilles finissent de faire ça, elles vont stocker dans les cellules. Ce liquide contenant 18 % d’eau va arriver à maturité quand les abeilles vont battre les ailes là-dessus aidées par la chaleur interne de la ruche pour enlever le surplus d’eau et fermer les cellules dans lesquelles se trouve le miel. Une fois à maturité, on peut récolter ce miel qu’on peut garder pendant longtemps. Pour avoir le miel, les abeilles font un travail formidable. C’est pourquoi on dit que l’abeille est le symbole du travail.