Tailler du bois pour fabriquer un objet d’art, c’est le propre du sculpteur sur bois. Cette profession qui a connu ses gloires, dans un passé récent, tombe aujourd’hui en désuétude. Conséquence, la mévente s’installe dans le secteur et crée d’énormes difficultés aux génies du bois.
Centre de promotion de l’artisanat de Cotonou (Cpa), 15 h 35 min ce lundi 23 septembre. Sur place, l’on peut constater une diversité d’objets disposés un peu partout dans des boutiques de ce centre dédié à la valorisation des œuvres d’art. Mais, au niveau des stands de vente des œuvres, les preneurs n’affluent pas. C’est la morosité totale. Et, il se lit sur le regard des vendeurs un sentiment d’angoisse. Tant ils étaient préoccupés par la mévente qui dicte sa loi. Même les touristes qui venaient négocier les objets ont déserté les lieux.
À quelques mètres de là, une usine de fabrication d’œuvres d’art appelée « Atelier commun » attire les regards. Ici, les ouvriers sculpteurs sont à l’oeuvre. Concentrés, tous manient le bois avec dextérité. Il a fallu quelques minutes pour nous familiariser avec eux et voir ensuite les langues se délier.
Au cœur de la sculpture sur bois
En quoi consiste le métier du sculpteur sur bois ? « Notre travail se fait en plusieurs étapes. Tout commence par la conception qui est le fait de représenter l’objet à sculpter sur le bois. Ensuite, l’on passe à l’étape de polissage pour rendre l’objet lisse puis vient la finition. La sculpture sur bois est le fait de donner différentes formes à l’image projetée. En effet, nous formons les choses à partir du bois afin de leur donner vie. Pour cela, nous utilisons des outils spécifiques qui agissent sur la matière première », répond Kouassi Alaba Quenum, artiste plasticien et sculpteur. Il mentionne qu’à l’aide de caténaire, le sculpteur donne la forme qu’il veut appliquer sur le bois. C’est ensuite qu’interviennent des ciseaux biseautés permettant à l’artisan de tailler la forme préfigurée. Il indique qu’à l’étape du polissage, plusieurs éléments entrent en jeu dont la râpe, un instrument plat avec de petites dents en scie à la surface, la lime des grattoirs, du papier vert puis, différentes couleurs de cirages pour donner de l’éclat à l’objet. Kouassi Alaba Quenum ajoute qu’on passe un dernier coup de chiffon sur le produit fini, ce qui lui confère toute sa clarté et sa brillance.
D’un autre côté, Kossi Sounouvou, alias Coco, surpris en plein travail, explique : « Je suis en train de faire du bois relief. C’est du dessin sur des meubles ». Il affirme avoir hérité le métier de son père. « J’ai commencé par faire ce travail depuis l’âge de 15 ans et j’ai toujours vécu de ça. C’est mon père qui m’a initié et je m’y plais », avance-t-il. C’est le même son de cloche chez Benoît Abotsi qui, dans son atelier, formait à ce moment-là des porte-clés à l’aide du logo de la carte du Bénin. Pour lui, la sculpture sur bois est un métier passionnant qui se transmet de père en fils. « C’est mon père qui le faisait et qui m’y a initié. Lorsque je fréquentais, je venais m’essayer pendant les week-ends. J’ai dû laisser l’école plus tard pour me consacrer à la sculpture», fait-il savoir.
À la question de savoir où ils se procurent les matières premières, Kouassi Alaba Quenum
laisse entendre qu’ils les achètent dans des dépôts de bois à Akpakpa et ailleurs. «Toute une gamme de bois est utilisée pour réaliser les sculptures en forme humaine, animale, ou des représentations de la vie quotidienne. Nous avons plusieurs sortes de bois qui nous servent à réaliser nos œuvres : les bois d’ébène, de cajou, de teck, d’iroko, etc. Nous prenons le bois d’ébène qui est le bois de prédilection aujourd’hui à 17000 F Cfa ou 18000 FCFA », a-t-il précisé.
Difficultés d’écoulement, tourisme visé
Bien que les œuvres d’art soient disponibles sur le marché béninois, il se pose le problème de leur écoulement. « De nos jours, explique Kouassi Alaba Quenum, nous éprouvons de difficultés à vendre nos produits. Il y a les attaques répétées qui font que les touristes sont rares et il y a moins de campagne de promotion pour faire connaitre nos produits aux touristes », se plaint-il.
Kossi Sounouvou partage le même avis. Il note que cela fait des mois qu’ils n’arrivent plus à écouler leurs marchandises par manque de clients. « Nous sentons la mévente au jour le jour. Ce sont d’habitude les touristes qui viennent prendre nos produits, mais aujourd’hui nous ne trouvons plus de clients. Nos frères d’ici ne connaissent pas la valeur de nos produits », déplore-t-il. Néanmoins, il note que si le tourisme reprend, l’artisanat marchera à coup sûr.
Parlant de la mévente dans les rangs des sculpteurs sur bois au Bénin, Benoît Abotsi explique que ces objets font plusieurs jours dans les rayons d’exposition avant qu’ils ne parviennent à les écouler. Or, tel n’était pas le cas auparavant. L’artiste sculpteur se dit dépassé par la situation et implore en même temps l’aide des autorités afin qu’une solution soit trouvée pour le rayonnement du secteur. « Ce sont les marchands qui commandaient assez chez nous, mais comme la rentrée a commencé, nos chiffres d’affaires ont chuté. Nous demandons à l’État béninois de nous faciliter la tâche afin que nous puissions arriver à écouler nos produits rapidement », tel est son souhait le plus ardent. Kossi Sounouvou, quant à lui, demande que l’État fasse leur promotion à l’extérieur afin que les touristes visitent davantage le Bénin.
Nombreux sont ces Béninois et étrangers qui s’intéressent aux objets d’art. Virgile Avocèvou en est un amateur. Selon lui, l’artiste apporte, à travers son art, un souffle de liberté. « Ce que l’on recherche à travers ces œuvres souvent, c’est le beau, le plaisir », a-t-il précisé. Il indique que ces œuvres d’art, au-delà du plaisir qu’elles procurent, lui permettent de décorer sa maison. « J’aime surtout les animaux comme les lions, les rhinocéros, les panthères. Ça me permet de garnir mon salon », explique-t-il. Roger, rencontré en pleine négociation de prix d’un objet abonde dans le même sens. « Moi, je suis admiratif devant la capacité des artistes à travailler des choses, à travailler des sentiments dans le cinéma, à travailler des images, des couleurs. Ces objets que j’achète me servent de décoration dans ma maison et attirent l’attention de mes visiteurs. À vrai dire, je suis un fan de ces objets », confie-t-il. C’est le même son de cloche chez Martine Gomez, une Brésilienne, venue prendre des chaises et objets de décoration. « Je viens de temps en temps au Bénin pour acheter ces objets et aller les revendre chez moi. Ce sont des choses qui intéressent beaucoup les nôtres. Chez nous, l’art occupe une place de choix », affirme-t-elle, toute souriante.
A l’opposé des admirateurs d’œuvres d’art, en l’occurrence la sculpture sur bois, d’autres ne voient pas la chose de la même manière. Ariel Vigninnou ne se les procure pas à cause, selon lui, des esprits mauvais qui entreraient dans ces objets pour faire du mal aux humains. Il dit avoir été témoin d’un pareil cas non loin de sa concession. Marcel Ayidoté, quant à lui, laisse entendre que ces objets coûtent extrêmement cher, ce qui fait qu’il n’arrive pas à en acheter. « Le sculpteur béninois crée principalement pour une consommation extérieure, pour des expatriés. Les prix des œuvres sont généralement fixés en fonction des bourses des expatriés», renchérit-il. Selon lui, plusieurs Béninois n’accordent pas d’importance à ces œuvres, ce qui empêche les sculpteurs d’écouler leurs produits sur le territoire béninois.
En définitive, le métier de sculpteur sur bois connait de jour en jour une sorte de déclin. Des alternatives doivent être trouvées face à cette situation. La sculpture sur bois au Bénin pourra connaître un avenir radieux si ses acteurs s’approprient le numérique et ses avantages et réorientent leurs produits vers plusieurs cibles. Avec les espaces virtuels, les sites internet, qui sont aussi des espaces d’échanges commerciaux susceptibles de permettre aux sculpteurs béninois de sortir de leur univers pour aller à la rencontre des clients, l’écoulement des œuvres pourrait ne plus connaître ces difficultés. Il ne suffit pas à l’artiste d’attendre l’Etat pour booster le secteur. Au-delà de l’organisation des foires et des rencontres de valorisation de l’art, le recours au numérique constitue une alternative.