La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, (Cadhp) a rendu une ordonnance par rapport à la requête d’un citoyen béninois lui demandant de prendre des mesures contre l’application de l’arrêté interministériel N° 023/Mjl du 22 juillet 2019 portant interdiction de délivrance des actes de l’autorité aux personnes recherchées par la justice en République du Bénin. Elle a débouté le requérant, lui demandant d’ordonner des mesures provisoires et de se prononcer sur le fond de l’affaire.
L’arrêté interministériel N°023/Mjl du 22 juillet 2019 portant interdiction de délivrance des actes de l’autorité aux personnes recherchées par la justice en République du Bénin ne souffre d’aucune violation des droits de l’homme. Saisie d’une requête N°58/2019 en date du 3 août 2019, lui demandant de prendre des mesures contre l’application de l’arrêté interministériel interdisant la délivrance des actes de l’autorité aux personnes en conflit avec la justice, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cadhp) a rendu publique une ordonnance. Elle n’a relevé aucune insuffisance dans cet arrêté interministériel après examen de la requête du citoyen béninois. Elle a décidé du rejet pur et simple de la demande du fait de l’indisponibilité de preuve. En effet, après avoir relevé que l’article 27 (2) du Protocole qui dispose que « dans les cas d’extrême gravité et lorsqu’il s’avère nécessaire d’éviter des dommages irréparables à des personnes la Cour ordonne les mesures provisoires qu’elle juge pertinentes » et se fondant sur l’article 5 (1) du règlement intérieur de l’institution qui dispose que « la Cour peut, soit à la demande d’une partie ou de la commission, soit d’office indiquer aux parties toutes mesures provisoires qu’elle estime devoir être acceptées dans l’intérêt des parties ou de la justice », la Cahdp a rejeté la demande d’ordonner des mesures provisoires pour défaut de preuves de l’urgence ou de la gravité et de graves dommages irréparables la Cour a débouté le requérant. Faut-il le rappeler, l’arrêté invitant toute autorité à ne plus délivrer des actes d’état civil aux personnes visées par la justice a été signé le lundi 22 juillet 2019, par les ministres de la Justice, Sévérin Quenum, et de l’Intérieur, Sacca Lafia. La décision avait entraîné de vives protestations.
Odi I. Aïtchédji
Demande de mesures provisoires 03/2019
Affaire
XYZ
C.
République du Bénin
Requête W058/2019
Ordonnance portant mesures provisoires
2 décembre 2019
La Cour composée de : Sylvain Oré, Président ; Ben Kioko, Vice-président ; Rafaâ Ben Achour, Ângelo V. Matusse, Suzanne Mengue, M-Thérèse Mukamullsa, Tujilane R. Chizumila, Chafika Bensaoula, Blaise Tchikaya, Stella 1. Anukam, Imani D. Aboud – Juges ; et Robert Eno, Greffier,
En l’affaire :
XYZ
représenté par lui-même
contre
République du Bénin
représentée par
Monsieur Iréné Aclombessi, Agent judiciaire du trésor
après en avoir délibéré,
rend l’Ordonnance suivante :
I. Les parties
1. Le 03 aout 2019, le Requérant, (ci-après désigné XYZ) est un citoyen béninois ayant requis l’anonymat, a saisi la Cour d’une demande de mesures provisoires contre l’Etat béninois. Dans la même requête, il demande aussi à la Cour de se prononcer sur des questions de fond.
2. Au cours de sa 53ème session ordinaire la Cour avait accordé la demande d’anonymat du Requérant
3. La République du Bénin (ci-après dénommée « l’État défendeur »), est devenue partie à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée (« la Charte ») le 21 octobre 1986, au Protocole relatif à
III. Les violations alléguées
9. Le Requérant allègue que l’Etat Défendeur a violé :
i. l’article 4 de la charte (droit à la vie, intégrité physique et morale)
ii. les articles 2 et 3 de la Charte (droit de jouissance des droits et libertés garanties par la Charte).
iii. l’article 5 de la Charte (Droit au respect a la dignité inhérente à la personne
humaine)
iv. l’article 7(1) de la Charte (Droit à ce que sa cause soit entendue)
v. les articles 12 et 13 (1) de la Charte (Droit de circuler librement)
vi. les l’article 14 et 15 de la Charte (Droit de propriété et Droit de travailler)
vii. l’article 22 de la Charte (Droit au développement économique)
viii. l’article 1 de la Charte
IV. Résumé de la procédure devant la Cour de Céans
10. Le 03 août 2019, le Requérant a soumis une requête demandant à la Cour d’ordonner des mesures provisoires et aussi de se prononcer sur le fond de l’affaire.
11. La demande de mesures provisoires a été signifiée à l’État défendeur le 15 août 2019 et un délai de quinze (15) jours lui a été accordé pour y répondre.
12. L’Etat défendeur n’a pas répondu à cette demande.
V. Sur la compétence de la Cour
13. Lorsqu’elle est saisie d’une requête, la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence, sur la base des articles 3, 5 (3) et 34 (6) du Protocole.
14. Toutefois, s’agissant des mesures provisoires, la Cour n’a pas à s’assurer qu’elle a compétence sur le fond de l’affaire, mais simplement qu’elle a compétence prima facie.
15. Aux termes de l’article 5 (3) du Protocole, « La Cour peut permettre aux individus ainsi qu’aux Organisations non gouvernementales (Ong) dotées de statut d’observateur auprès de la Commission d’introduire des requêtes directement devant elle, conformément à l’article 34(6) de ce Protocole ».
16. Comme mentionné au paragraphe 2 de la présente Ordonnance, l’État défendeur est partie à la Charte, au Protocole et a également fait la Déclaration acceptant la compétence de la Cour est habileté pour recevoir des requêtes d’individus et des organisations non gouvernementales conformément à l’article 34(6) du Protocole lu conjointement avec l’article 5(3) du Protocole.
17. En l’espèce, les droits dont le Requérant allègue la violation sont protégés par la Charte, le Protocole de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité et la Charte africaine sur la démocratie, les élections et la gouvernance (Cadeg) qui sont des instruments que la Cour est habilité à interpréter et appliquer en vertu de l’article 3 (1) du Protocole.
18. A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a compétence prima facie cour connaitre de la requête.
VI. Sur les mesures provisoires demandées
19. Le Requérant demande à la Cour d’enjoindre à l’Etat défendeur :
i. de prendre toutes mesures utiles pour surseoir à l’application de l’Arrêté 2019-N°023/Mjl/Dc/Sgm/Dacpg/Sa/023Sgg19 portant interdiction de délivrance des actes de l’autorité aux personnes recherchées par la justice.
ii. de faire rapport à la Cour dans un délai qu’il plaira à la Cour de fixer.
20. La Cour relève que l’article 27 (2) du Protocole dispose comme suit :
« Dans les cas d’extrême gravité et lorsqu’il s’avère nécessaire d’éviter des dommages irréparables à des personnes la Cour ordonne les mesures provisoires qu’elle juge pertinentes ».
21. L’article 51 (1) du Règlement intérieur, par ailleurs, dispose que :
« La Cour peut, soit à la demande d’une partie ou de la Commission, soit d’office, indiquer aux parties toutes mesures provisoires qu’elle estime devoir être adoptées dans l’intérêt des parties ou de la justice ».
22. Au vu des dispositions ci-dessus, la Cour tiendra compte du droit applicable en matière de mesures provisoires, qui ont un caractère préventif et ne préjugent pas du fond de la requête. La Cour ne peut les ordonner pendente lite que si les conditions de base requises sont réunies ; à savoir l’extrême gravité, l’urgence et la prévention de dommages irréparables sur les personnes.
23. La Cour note aussi que le Requérant demande à la Cour d’ordonner des mesures provisoires en faveur des personnes qui ne sont pas parties dans la présente affaire. De plus, le Requérant n’apporte pas non plus des preuves de l’urgence ou la gravité ni les graves dommages irréparables que la mise en œuvre de cet arrêté interministériel pourrait lui causer personnellement.
24. Compte tenu de ce qui précède, la demande de mesures provisoires est rejetée.
IV. Dispositif
25. Par ces motifs,
La Cour,
A l’unanimité,
Rejette la demande de mesures provisoires
Ont signé :
Sylvain Oré, Président ;
Robert Eno, Greffier.
Fait à Arusha, le 2ème jour du mois de décembre 2019, en anglais et en français, le texte français faisant foi