Pour avoir subi et supporté jusqu’ici le poids d’un passé déroutant, dégoûtant et lourd, le comédien Noël Minougou du Burkina Faso a monté un monologue dans lequel il en retrace avec soin les traits. Il est, à la fois l’auteur du texte, metteur en scène et acteur dans l’intrigue, puisque c’est une histoire personnellement vécue. Il n’y a que lui pour mieux l’exprimer, a-t-il estimé. C’est l’Ecole Internationale de Théâtre du Bénin (EITB) qui a accueilli le samedi 16 novembre dernier le spectacle, en présence de son directeur Alougbine Dine.
Dans la trame, Noël Minougou porte le nom de ‘’X’’. D’origine Burkinabé, ‘’X’’ est né en Côte d’Ivoire, donc y a fait son enfance et y a grandi. Il n’a alors aucune connaissance des us et coutumes de son milieu d’origine. L’hymne qu’il sait chanter, les couleurs du drapeau dont il a la connaissance, la culture qui circule dans ses veines, bref, tout son être est de ce pays qui a entendu l’expression de son premier matin. Ce pays qui a bercé son enfance, ce pays de Nana Houphouët Boigny. Quand vient le moment de la traque, la chasse à l’étranger, la guerre ethnique où il faut vivre et subir des affres et les tueries terrifiantes, ‘’X’’ a été obligé de regagner son pays d’origine le Burkina Faso. Là, ce départ brusque lui a volé la raison>
‘’X’’ a perdu la logique. Reçu donc en toute hospitalité par un des grands centres psychiatriques de son pays, ‘’X’’ s’est assigné désormais deux devoirs : revoir sa mère et se convaincre lui-même de sa vraie identité en essayant de récolter tous les morceaux de ces événements troublants qui ont conduit à sa perte, d’où ‘’Thérapie’’, se guérir et guérir tout le monde. C’est le début de la trame.
Condamnation de la ségrégation ethnico-raciale doublée d’une interprétation satirique
Seul sur scène, Noël est en proie à une amertume avancée. L’expression du visage et certaines gestuelles le prouvent. Le comédien rentrait successivement dans plusieurs corps, à la fois, pour exprimer différentes réalités. Déchiré entre la vaine recherche de sa mère et la dégradation poussée de l’état d’âme, Noël a, sur la scène, un banc symbolisant son lit d’hôpital, puisque le personnage étant censé être dans un centre psychiatrique et des morceaux de craie multicolore comme objet de scène. « Mon malade avait besoin d’autre moyen d’expression », a martelé le metteur en scène pour montrer la valeur des craies. A l’exposition de la scène, Noël était tristement couché sur ce banc tout recroquevillé changeant, minute après minute, de position. Lorsqu’il s’agit d’exprimer le rejet fait aux ethnies dites mineures, Noël les désigne par les couleurs verte et violette. Les « mélangés » désignent les métisses comme lui, c’est-à-dire né d’un père burkinabais et d’une mère ivoirienne. L’ethnie majoritaire est désignée par la couleur bleue. A partir de ce moment, le comédien a commencé par prendre, tour à tour, et dans une verve énergique, tantôt, la peau d’une femme qu’on est en train de violer accompagnée d’injures et des traitements à la limite de l’animosité. Tantôt dans la peau d’un garçon de l’ethnie mineure fortement taquiné par les garçons bleus. Tantôt dans la peau d’un garçon de chambre se retrouvant dans la maison des gens de l’ethnie bleue. Et là, il faut prêter une oreille à des invectives sauvages, « bâtard », « misérable », « cette chose là » pour n’entendre que celles là. Si Noël s’est employé, dans sa folie lucide, à ruminer et restituer toutes ces souffrances personnellement endurées, c’est une façon pour lui de lancer un appel aux Africains et au monde entier sur le mal que causent la discrimination et la méchanceté gratuite, et parallèlement, le piétinement du développement que cela engendre. L’enchainement des actions dans la trame présente un tout dispersé, pêle-mêle. Cela témoigne de la grandeur du dérangement psychologique dont souffre l’acteur et par ricochet de tous ceux qui subissent ces genres d’histoires macabres. Dans les actions du comédien, il se décrypte que, ceux-là qui se réclament de l’ethnie ou de la race supérieure sont de parfaits niais à la limite du crétinisme qui se plaisent à troubler la quiétude des gens normaux au point de rendre parfois fou. « Dis lui qu’il n’est qu’un vert, un mélangé. Nous, par contre, nous sommes des bleus. C’est nous qui décidons de qui doit parler ici, c’est nous qui avons bâti la mer… étranger venu d’ailleurs sans papier », des expressions taillées à juste titre pour chosifier son semblable. Autant ceux qui embêtent que ceux qui sont embêtés, sont malades. Et donc, il faut une ‘’Thérapie’’ pour l’évolution du monde. C’est ce que Noël a tenté de proposer à sa manière dans sa scène.