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La Presse du Jour N° 2018 du 22/11/2013

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Hommage de Djogbénou à Sambaou : Être Zakari, et se battre pour la vie…
Publié le mardi 26 novembre 2013   |  La Presse du Jour




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1. « Jo, Zakari ne supporte plus, il a rendu l’âme ». Ce mardi 19 novembre 2013, lorsque je suspendis, à 10h30 le cours que je venais à peine d’entamer à l’Université de Parakou et que je retirai de ma voiture mon mobile, le nombre extraordinairement élevé des appels manqués annonçait, à l’évidence, la survenance du drame craint. Ces mots écrits par le ministre BABABODY d’une main que l’on imagine grelottante, emplit mon corps de douleur et mes yeux de larmes. Ainsi, Zakari SAMBAOU est passé de vie à trépas.
Pourtant, ce même jour, avant d’entrer en salle de cours, j’eus son épouse à 7h30 qui m’assura qu’en dépit de la douleur, il avait réclamé son agenda pour organiser ses audiences.
Pourtant quelques minutes après, l’abbé André QUENUM, dont il s’honorait de l’amitié avec pieuse dévotion et respect profond, se fut enquit de son état et, sollicité, s’apprêtait à aller à son chevet, certains de ses confrères en renfort, en vue de l’encourager dans son combat pour la vie.
Pourtant, la veille et les jours avant, il s’arcboutait à la vie, s’y accrochait, assurant revenir pour se battre contre la révision de la constitution et toutes les autres espèces d’ignominie du même acabit ; affecté par les cessions forcées annoncées d’actions et les réquisitions arbitraires prononcées ; annonçant vouloir aller récupérer les chemises rouges dont il fut privé, le 1er Août, au domicile de Gaston ZOSSOU barricadé et séquestré, ainsi que ses plaquettes « Trop, c’est trop », m’informant par la même occasion que la procédure fut classée sans suite et qu’ayant déjà tenté de les récupérer, on lui annonçait que le greffier était en vacances. Et puis quoi encore ? Et puis il n’y aura plus de jours après…, et le verbe, en ce qui le concerne, se conjuguera désormais au passé, ce funeste passé simple !
2. « Jo, la situation est sous contrôle ». Zak me rassura de la qualité de son état de santé, ce 3 octobre 2013, quand je réussis à le joindre depuis Paris, par le Ministre BABABODY, celui que lui-même identifiait comme étant son tuteur et ami. Or, la veille, la crise qui le diminuait considérablement fut déclenchée déjà, et le conduisit à quitter définitivement son domicile, pour vivre désormais dans les cliniques. Certes, sa voix gaie, chaleureuse, rassurait et apaisait. Mais l’on sentait bien que la bataille contre la mort avait commencé, et que cette gaieté et cette drôlerie caractérielles chez cet homme affable n’étaient qu’une esquive en forme de drible (Zakari était également footballeur) que la vie sait bien opposer à la mort.
Parce que Zakari tenait à la vie. Il s’est battu jusqu’à l’ultime instant, pour la vie. Il était à la fois une promesse de vie et une concentration de vies.
3. Promesse de vie de par son origine, assez lointaine déjà pour les gamins de ce Cotonou de l’époque PRPB (Parti de la Révolution Populaire du Bénin), dont rien ne manquait à certains parents, mais qui ignoraient tout de BASSILA où il naquit en 1970 et qu’il dut, avec certains, inscrire dans la carte géographique de nos pensées. Promesse de vie de part sa classe sociale, classe ni basse, ni haute, ni moyenne ; classe indéterminée et sans signifiance, classe inexistante et sans magnificence, où la pitance était incertaine quoique l’espérance fût solide. Cette classe qui fut nôtre et qui n’avait de maître ou de guide que notre conscience et notre volonté. Il vint de ce quelque part qui forge dans l’esprit la solide défense contre toutes les formes d’inégalités, cette classe qui structure progressivement l’engagement résolu en faveur de la protection de tous les droits, de tous les êtres ; des droits et des êtres, des êtres par le droit. Son chemin ne pouvait alors, au sens artistique, qu’être littéraire c’est-à-dire, suivant les mots de Proust, cette « … soumission à la réalité intérieure » (Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, « le temps retrouvé », 1927). Du collège R.P. AUPIAIS où nous fîmes nos armes, il se retrouva, baccalauréat série A1 en poche, dans cette université d’Abomey-Calavi des années de l’épiphanie démocratique. De 1991 à 1996, il y effectua de solides études en droit et de riches expériences militantes. Le Parti du renouveau démocratique (PRD) lui offrit le lit de ses premières effusions politiques quoiqu’il ne marchanda guère, à mes côtés, son appui sans réserve lorsque je devais présider, en 1995, le Bureau Exécutif Fédéral (BEF) de la Fédération nationale des étudiants du Bénin (FNEB). Promesse d’une vie qui devint certaine lorsqu’en 1997 il devait soutenir son mémoire de maîtrise en droit pour être engagé, en 1999, dans la fonction publique, du côté du ministère en charge de la famille. Tout devait dès lors se bousculer, sans se basculer, la promesse devenant réalité : le certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA) dont il obtint le diplôme pour s’inscrire au Barreau en 2000 ; les cours en vue de l’obtention du diplôme d’études approfondies (DEA) en droit de la personne et de la démocratie auxquels il s’inscrivit, ce qui lui permit d’être affecté à l’Université d’Abomey-Calavi en qualité d’enseignant-chercheur. Et puis, le mariage… avec Ganya. Ces belles noces que le témoin que je fus ne puis oublier, et qui eurent, comme parrain tout aussi affectueux, un certain Ahamed AKOBI. Promesse d’une vie accomplie, mais également concentration de vies heureuses.
4. Zakari fut en effet plus qu’un lien, un être de concentration de vies. Non qu’il ait laissé à la postérité cinq enfants, si jeunes et si beaux, fruits de ces deux plus belles rencontres, mais que, au travers de Ganya et de Lisette, c’est de la diversité de notre pays qu’il s’éprit et qui, je l’ai remarqué auprès de son lit de malade, le comprit. On a vu, en effet, ces braves femmes se dévouer autour de son corps affaibli, se déterminer pour lui rendre la vie agréable, s’enthousiasmer au moindre point d’espoir de rétablissement, s’affadir du même élan à tout signal de désespoir. On a vu la vie s’organiser autour de lui, la vie de femmes par les femmes, ses femmes qui le portèrent, qui le bercèrent, ces amoureuses devenues mères aux heures dernières, ces amantes devenues sœurs, sœurs de l’épreuve, sœurs dans l’épreuve, sœurs par l’épreuve. S’il y avait, dans ces lignes de douleur, quelque dette d’hommage, Ganya et Lisette en seraient les véritables créancières. Mais la concentration de vies familiales n’est que le reflet de celles, plus manifestes, des vies professionnelles et citoyennes, et, pourquoi ne pas l’affirmer, de vie de foi, et ce n’est point ironiser, lui qui est mort de foie.
On l’a vu, Zakari a si bien uni en sa personne, l’administration publique, l’enseignement supérieur et le barreau. De ce côté ci, il s’est révélé un admirable organisateur et un fin rassembleur. Le bâtonnier Cyrille DJIKUI dut son élection à ces qualités. Lui réitérer la confiance du barreau à la tête de la commission en charge de la défense des droits et des libertés n’avait souffert d’aucune hésitation. Fondateur de tous les FORS (tantôt Front, tantôt Forum de la Société civile), pour les élections présidentielles de 2006 (FORS-présidentielles), pour le Contrôle citoyen de l’Action Publique (FORS-CAP), pour l’établissement de la Liste Électorale Permanente et Informatisée (FORS-LEPI), pour les élections présidentielles 2011 (FORS-ELECTIONS) ; ancien président et membre très influent de l’ONG Droits de l’Homme Paix et Développement (DHPD) ; son activisme a même dépassé nos frontières puisqu’il était membre fondateur de l’association euro-africaine VDJ (Voie de la Justice), qui œuvre inlassablement pour l’effectivité du droit à la justice et à la défense en Afrique. Lorsqu’avec lui, certains ont compris que l’insuffisance de gouvernance démocratique trouve son explication dans l’insuffisance de présence et d’action politiques, il affirma sa disponibilité à concevoir et mettre en œuvre une alternative politique crédible. « Alternative Citoyenne » dont il conçut et signa le pamphlet annonciateur « Trop, c’est trop », et pour lequel il contribua à coordonner le mouvement « Mercredi Rouge » trouvait en lui une ressource solide pour sa mutation politique.
Dans la foi, Zakari fut également un nid de culture de la diversité. Toutes les prières célébrées à mon cabinet, les messes y organisées au début de chaque année ainsi que celles organisées par le barreau ne lui échappaient point. Il y invitait même ses collaborateurs. Pour lui, Dieu est rencontre et bienfait, solidarité et présence.
5. « Jo va se suicider », prévenait-il, lorsque la crise prit une ampleur redoutée. Soulignait-il la profondeur de nos liens ? C’est possible. Car, Zakari était la fidélité dans l’amitié, de cette fidélité qui ne vous lâche pas sur le quai, de cette amitié qui ne se laisse pas ébranler par le gué. Le quai de l’ambition pathologique, le gué de l’intérêt égoïste. Sur le parcours qui fut nôtre, il était la silhouette qui redresse, la forteresse qui encaisse ; au barreau comme dans les associations, à l’université comme à la maison. En dépit de la douleur qui le martyrisait, c’est plutôt de cet autrui que Zakari se préoccupe. Cet autrui incarné par « Jo » à qui il ne veut aucun mal, fût-ce par sa propre maladie, est une forme rarissime d’altruisme. Au fond, selon Zakari, amitié est service, service de l’autre, autre-ami, autre-famille, autre-communauté.
6. OUANILO. Zakari nous a quittés, transformant sa vie en proverbe et son départ en leçon. OUA-NI-GNI-LÔ (agis ou comporte-toi, de sorte que pour la postérité cela devienne un proverbe, une leçon de vie). C’est le prénom dont BEHANZIN baptisa son fils, de regrettée mémoire. Et chez les fons (peuple du Sud Bénin), dont Zakari parle la langue avec une finesse insoupçonnée, la qualité d’une vie se mesure à la force de sa reconnaissance par la postérité. Mon ami est passé à la postérité comme un prince, un OUANILO, qui nous enseigne l’humilité et l’engagement, la disponibilité et le courage. Avec certains, je fus heureux, honoré et comblé d’avoir partagé avec lui, la douleur de sa croix, le courage dans l’espérance et le bonheur de l’amitié.
Être ami, c’est le grade le plus élevé de la vie. Je le remercie de me l’avoir conféré.
Joseph DJOGBENOU

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