Les systèmes agricoles du continent africain sont en proie à une crise climatique. Sécheresses dévastatrices en Afrique australe (a) et de l’Ouest, cyclones et inondations à l’Est (a). Les épisodes climatiques extrêmes frappent de plein fouet les cultures et l’élevage, mettant en péril la sécurité alimentaire de millions d’habitants. À la suite d’une aggravation de la situation depuis 2017, la sous-nutrition chronique touche 237 millions de personnes en Afrique subsaharienne, avec pour conséquence de saper les avancées obtenues au cours des années précédentes. Le message qui ressort des gros titres est on ne peut plus clair : il faut de toute urgence transformer l’agriculture africaine pour l’adapter aux dérèglements du climat, et il faut agir maintenant.
Il est indispensable de combler l’écart entre le niveau actuel de production et la demande alimentaire de demain, l’enjeu étant de faire en sorte que cette progression soit obtenue de manière durable. Mais comment faire concrètement ?
Du développement et de la promotion de techniques climato-intelligentes à l’amélioration de la formation de la main-d’œuvre, en passant par l’adoption de bonnes politiques de soutien, ces axes d’action s’imposent aux yeux d’un nombre toujours plus grand de pays africains comme autant de mesures qui contribueront à véritablement changer la donne et faire la différence. Autant d’améliorations essentielles qui permettront de jeter les bases d’un système alimentaire en mesure de mieux nourrir et soutenir l’Afrique.
Premièrement, il est possible d’enclencher la transformation de l’agriculture africaine en recourant à des technologies numériques et disruptives telles que celles promues par le CGIAR ou des acteurs du secteur privé. Le bon usage des technologies peut permettre au continent de renforcer son système alimentaire, qu’il s’agisse d’exploiter les mégadonnées pour aider les agriculteurs à faire des choix plus adaptés en matière de gestion de l’eau et d’utilisation des engrais ou encore de déployer des variétés résistantes à la sécheresse. Les pouvoirs publics ont ici un rôle à jouer, en s’attaquant aux obstacles institutionnels qui freinent l’adoption technologique — il faut parfois plusieurs années avant qu’une nouvelle variété de culture ne parvienne aux agriculteurs, lesquels par ailleurs n’ont pas toujours accès à internet faute d’infrastructures en zone rurale. L’État doit en particulier fournir des services essentiels, et apporter notamment aux agriculteurs la formation et les connaissances dont ils ont besoin à travers des services de vulgarisation efficaces, dans un contexte où le secteur privé est peu incité à intervenir. Il peut aussi favoriser l’accès aux financements, qui constitue une condition nécessaire au développement de l’agriculture commerciale.
Deuxièmement, pour faciliter la transition vers un système alimentaire adapté au climat, les pouvoirs publics doivent mettre en place des politiques qui favorisent la transformation agricole au lieu de l’entraver. À cet égard, le problème des subventions suscite de plus en plus d’attention, y compris au sein de la Banque mondiale. À l’échelle mondiale, les dépenses publiques consacrées aux subventions agricoles s’élèvent chaque année à 600 milliards de dollars. Or, une grande partie de ces aides sont génératrices de distorsions et ne sont pas de nature à encourager le passage à une agriculture adaptée aux enjeux du changement climatique. Si les États africains s’attachaient à réorienter des millions de dollars d’aides publiques pour investir dans une agriculture climato-intelligente, le système alimentaire en sortirait renforcé , l’agriculture plus durable, et les agriculteurs plus résilients et productifs.
Enfin, la transformation agricole nécessite des professionnels dédiés et dotés des connaissances et des compétences adéquates. Alors même que l’agriculture contribue à 32 % du PIB africain, 2 % seulement des étudiants du continent se spécialisent dans cette filière. Pourtant, le système alimentaire continue — et devrait continuer demain — à susciter une demande importante et à offrir de bons débouchés. N’oublions pas que la part de l’agriculture dans l’emploi total est de 60 % en Afrique subsaharienne, et que celle du système alimentaire est encore plus élevée : d’après les projections, ce dernier créera entre 2010 et 2025 davantage d’emplois que le reste de l’économie dans plusieurs pays d’Afrique de l’Est comme l’Éthiopie ou la Zambie. L’Afrique a donc besoin de former un plus grand vivier de producteurs agricoles, de professionnels de l’industrie agroalimentaire, d’entrepreneurs alimentaires, d’agronomes et de scientifiques agricoles. Les pays d’Afrique doivent investir davantage en faveur du développement d’un socle de compétences qui leur permettra de relever l’ampleur des défis auxquels est confronté leur système alimentaire. Nous devons aussi imaginer de nouvelles façons d’attirer les talents vers ces filières et convaincre les jeunes générations africaines du potentiel que représentent l’agriculture et le secteur alimentaire pour leur avenir professionnel.
Face à des défis massifs, il faudra une action vigoureuse. Aussi nous réjouissons-nous de voir les dirigeants africains s’engager en faveur de l’adaptation du système alimentaire au changement climatique, comme en témoigne la récente rencontre de haut niveau organisée sous l’égide du Dialogue de leadership sur la sécurité alimentaire en Afrique (AFSLD) et consacrée précisément à cet enjeu. Cet événement, qui a réuni 34 pays d’Afrique et 42 organisations, constitue un point de départ prometteur. À la Banque mondiale, nous nous tenons prêts à continuer à collaborer avec nos partenaires pour contribuer à établir les bases d’un système alimentaire qui parviendra à nourrir tous les Africains, tous les jours et partout.