Par Claude Urbain PLAGBETO,
Dans le panthéon ouest-africain en général et béninois en particulier, le dieu du fer (Gu, Ogu ou Ogun) occupe une place de choix parmi les divinités. Il est au service de la justice et de la transformation industrielle dans la conscience sociétale collective.
Un jeune homme, apprenti mécanicien à Kétou qui aurait dérobé une pompe à essence et un démarreur dans le garage de son patron, est fauché en pleine circulation en allant à Bohicon. Avant de succomber des suites des atroces malaises, il avoue son forfait qu’il a nié quelques jours plus tôt, se prêtant même au rituel Dagu ou Xwlégu ou encore appelé Olori chez les Idaasha. Son père, haut dignitaire d’un culte chrétien, n’a pu rien faire pour le sauver. Sa mort serait donc le fait de Gu, le dieu du fer, réputé au sud-Bénin comme une divinité sans pitié dans la quête et la restauration de la justice sociale.
A Atchonsa, commune de Bonou, un fait similaire et pour le moins irrationnel s’est produit, il y a quelques années. Un présumé voleur de vivres s’est vu la cuillère coincée dans sa gorge alors qu’il mangeait. Il eut la délivrance grâce à la diligence des prêtres de Gu, après avoir reconnu son acte. Mais avant, un de ses enfants en est mort ; un autre souffrait depuis plusieurs semaines d’un mal incurable. Dans la même localité, des enfants à qui un voleur a partagé des beignets achetés avec l’argent du butin, sont passés un à un de vie à trépas ; lui-même a traîné le surmenage pendant des années.
Agoué, commune de Grand-Popo, il y a une trentaine d’années, le chef de la collectivité Atanley a fait recours à Gu, après la disparition des cotisations faites dans le cadre d’une cérémonie traditionnelle, après trois jours d’avertissement annoncés par le crieur public. Tous ceux qui ont eu vent de l’opération et qui n’ont pas dénoncé les voleurs et leurs complices ont commencé à périr un à un, tout comme ceux qui, même innocemment, ont mangé ce à quoi l’argent a servi à acheter. Au bout de neuf jours, une bonne partie du village a été décimée. Entre temps, les voleurs ont jeté le reste de l’argent dans un puits et ceux qui ont bu l’eau du puits ont aussi commencé à tomber malade et à en mourir. Une intervention des chefs traditionnels a permis d’arrêter le carnage, suite aux cérémonies de désenvoûtement et aux sacrifices recommandés par l’oracle Fâ qui a été consulté.
Les récits des manifestations de la divinité (Gu chez les Fon, Ogu chez les Goun, Ogun chez les Yoruba) sont légion. L’évocation du dieu du fer fait peur, tant il est redoutable et craint dans la conscience sociétale collective. Selon Ifujumi Olabodé alias
Tamiaga Omon-Iya, détenteur de Gu à Kétou, la divinité est « incontrôlable, infaillible et ne se trompe pas de cible ».
« Il suffit de poser son problème au fétiche, de faire la prière qui convient devant lui et il se charge de le régler », confie son confrère Félix Babatoundé. « Si on lui donne ce qu’il faut, l’huile palmiste ‘’tchotcho’’, Gu réagit avec violence », avertit le féticheur et guérisseur traditionnel à Kétou.
Phénoménologie de la rationalité
2020 est essentiellement sous la gouvernance du dieu Gu, selon Abdou Rahimi Amoussa, métaphysicien et plasticien, qui recommande la droiture et le pardon tout au long de cette année afin d’échapper aux représailles de la divinité.
Gu a fait l’objet d’un colloque scientifique à l’occasion de la quatrième édition du Festival international de Porto-Novo (Fip 2020), les 6 et 7 janvier derniers, sur le thème « Ogun/Gu, l’emblème de l’innovation et de la technologie de la constellation des vodoun : pistes de réflexion et épistémologie pour un développement viable au XXIe siècle ». Il était question d’aller au-delà de l’hermétisme qui entoure le vodoun en général et le Gu en particulier, puisque les explications des spécialistes et gardiens de la tradition ne permettent pas toujours de saisir de manière cartésienne les principes des manifestations des divinités.
« Dans l’imaginaire collectif au Sud-Bénin et au-delà où des cultes lui sont voués, les accidents liés au fer principalement seraient le fait de la colère de Gu », souligne Osséni Soubérou,
doctorant en Sociologie du développement au Laboratoire d’analyse et de recherche : Religion, espace et développement (Larred) de l’Université d’Abomey-Calavi (Uac). A en croire le chercheur qui a présenté une communication sur le thème « Perceptions et représentations sociales du dieu Gu au Sud-Bénin à travers expressions, proverbes, contes », le Gu évoque d’une part la violence, les troubles, et de l’autre la justice, la vérité, la vengeance.
« Grâce au rituel Olori, un objet volé pourrait ainsi être restitué par le voleur ou du moins ce dernier perdrait sa vie en cas de résistance à la restitution de l’objet volé », confirme, pour sa part, Barthélémy Idossou Babalao du Larred, au terme d’une étude entreprise en 2019 dans la ville de Dassa-Zoumè dans le centre du Bénin, et présentée lors du Fip 2020.
Un individu qui jure le nom de Gu et, ou en touchant avec sa langue un objet métallique (bronze, cuivre, étain et fer surtout), entend prouver toute son innocence ou certifier qu’il est sincère et dit la vérité. Il n’est pas rare que la victime d’un vol ou d’une injustice promette de recourir au dieu Gu pour retrouver et châtier le coupable. « Gu punit les malfaiteurs, les criminels, surtout les voleurs ; il n’admet pas les esprits corrupteurs », affirme Rahimi Amoussa, présentant sa communication « Ogu ou la voie du guerrier martien » (Fip 2020). « Gu recherche et châtie les voleurs, les sorciers, les méchants en général », confirme Tamiaga. Cela traduit « une phénoménologie de la rationalité et permet d’avoir une société plus ou moins juste », dira M. Babalao.
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Un vodoun guerrier et bâtisseur
Au cœur de Porto-Novo, la capitale du Bénin, un quartier est dédié à la divinité Gu : Goukomey. La situation de ce quartier à proximité du palais royal Honmè n’est pas anodine. Outre la fabrication des accessoires royaux par les Ayatô (littéralement pères du fer) qui forgent le fer dans un esprit d’art et de divination du Gu depuis la fin du XVIIe siècle, elle serait « liée à la quête de la paix, du bien-être social et du développement industriel dans le royaume de Hogbonou à travers la divinité Gu », selon Jéronime Zanmassou de la faculté d’architecture de l’Université Libre de Bruxelles.
« Dieu de la guerre, prédateur, destructeur mais aussi créateur, le Gu est à la fois éclaireur, chasseur et forgeron, militaire, bâtisseur d’empire et révolutionnaire, chauffeur, mécanicien, aviateur ou informaticien ; il est le progrès technique et ses ambivalences », soutient Cousin Saskia.
Au-delà donc de son caractère redoutable, sanguinaire, insatiable, la divinité Gu est vénérée par ceux qui travaillent le fer ou avec les métaux en général (forgerons, chasseurs, cultivateurs, guerriers, bouchers, barbiers, menuisiers, charpentiers, sculpteurs). Dans l’entendement de ceux qui y croient, c’est le vodoun qui gouverne la transformation industrielle dans le monde. Il désigne « le principe exploiteur des mines de la terre », souligne Abdou Rahimi Amoussa.
« C’est Gu qui nous donne à manger sur terre ; c’est la plus forte des divinités ; elle est partout », assure Félix Babatoundé.
La divinité est liée à la connaissance de la forge et de la fabrication des outils métalliques qui revêtent une dimension surnaturelle et spirituelle. Au Danxomè, rappelle le métaphysicien, Gu est le précurseur des forgerons qui l’honorent en chômant le mardi, un jour qui lui est consacré : Guzangbé (littéralement le jour de Gu). Pour lui, Gu est un vodoun qui tire son énergie du dieu Mars des métaux, des pierres précieuses et de la guerre. « Cette énergie martienne est à l’origine des accidents de circulation, des blocages matériels, financiers, sociaux et professionnels de l’homme mais constitue également le seul rempart pour les éviter », pense Rahimi Amoussa. Il n’en veut pour preuve que cet adage goun qui dit : « Si une voie est fermée, c’est Gu qui l’ouvre ».
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Symboles et perceptions populaires du Gu
Gu est présent partout au Bénin. Matérialisée généralement par une motte de terre surmontée d’objets métalliques divers et entourée de palmes effilochées, la divinité peut prendre plusieurs formes.
A Agoué, une stèle du dieu Gu constituée de chaînes d’esclaves authentiques, érigée par le souverain local Toyi (1835-1844) aux temps de la traite négrière au sein de son palais, fait régulièrement l’objet de libations et de rituels. Dans la même localité, Joachim d’Almeida alias Azata (1835-1857), le plus fortuné des esclaves affranchis, revenu du Brésil et figure de la violence de l’esclavage, a construit un temple de Gu qui sert également de lieu de prière et d’invocation lors d’événements familiaux et des processions d’envergure à travers la ville.
Mais tout amas de ferrailles ne constitue pas systématiquement le Gu. Le dieu du fer est consacré dans le panthéon des religions endogènes en Afrique et ailleurs. Dans des communautés au Sud du Bénin où les morts sont vénérés, des autels en fer représentent plutôt les défunts de la collectivité avec qui les vivants entendent garder contact ; les morts n’étant jamais complètement partis selon les croyances en Afrique. Erigés dans une salle dédiée à cet effet (Assen chez les Fon, Yôxômè chez les Goun et Oju-ori chez les Yoruba/Nago, les ancêtres divinisés y reçoivent les offrandes et les prières et intercèdent pour la réalisation des vœux.
Gu est considéré comme intimement lié à Lègba, le dieu-gardien qui assure la protection et la paix et auprès de qui il est souvent érigé. Son frère, dans la mythologie Yoruba, est Shango (Hêviosso), le dieu de la foudre, informe Tamiaga, détenteur du Gu. « Le Gu fonctionne avec Lègba ; c’est lui qui donne toute la puissance du Lègba et les deux sont souvent érigés ensemble », ajoute ce guérisseur traditionnel d’ethnie Holli.
Expressions langagières
Les louanges au dieu Gu témoignent de ce que ses représailles sont sans appel et qu’il est protecteur du juste. Son propre détenteur peut en faire les frais s’il tombe sous le coup des interdits. A Agoué, il est décrit, entre autres, comme puissant, violent, intenable aussi bien pour le père que pour la mère, un couteau à double tranchant, rapporte Arcade Assogba, socio-juriste, réalisateur et producteur de cinéma, dans sa communication intitulée « La mise en espace de Gu dans la ville d’Agoué » (Fip 2020).
Ce caractère violent et terrifiant de la divinité est encore plus perceptible chez les Yoruba/Nago dans les oriki ou salutations traditionnelles faites à Ogun. Il est magnifié comme un « violent guerrier ». « Ogun ayant de l’eau à la maison mais se lave pourtant avec du sang ; les plaisirs d’Ogun sont les combats et la guerre…Ogun qui est la peur dans la forêt et qui fait peur au chasseur ; il tue le mari dans le feu et la femme sur le foyer, il tue le voleur et le propriétaire de la chose volée qui critique cette action », traduit Osséni Soubérou.
Chez les Goun, la divinité Gu-djannangbé est aussi perçue comme sans pitié : il ne connaît ni enfant, ni femme (vi jè mè héélou ! Assi jèmè, atchonkouin !). Elle est à l’origine de nombreuses expressions langagières. Ainsi Fongu (littéralement : réveiller Gu) signifie se révolter, se rebeller, se dresser contre ; Gufifon caractérise la révolution ou la rébellion.
Le mardi est dit Guzangbé (jour de Gu) ou Bodizangbé (chez les Goun : jour par excellence où marchent les gris-gris). Il est recommandé une extrême prudence en ce jour où la divinité se manifeste le plus
Le Gu et le Fâ
Des seize principaux signes (du) du Fâ, sept sont liés au dieu Gu. Ce qui témoigne de la prépondérance de cette divinité aux côtés des autres. Woli-Mêdji, Losso-Mêdji, Guda-Mêdji, Ka-Mêdji, Tula-Mêdji¸ Tchè-Mêdji et Fu-Mêdji, sont les signes auxquels il se rattache. Lesquels évoquent globalement des difficultés, des complications, des obstacles, l’égoïsme, l’orgueil, la guerre, la mort, mais aussi la réussite, le succès, l’intégrité, la franchise, la justice, l’honnêteté, l’assurance, la connaissance, la renommée, la loyauté, selon les codes traditionnels du Fâ n
Ce que ‘’mange’’ Gu
Dans la louange à Ogun chez les Yoruba/Nago, il est dit que la divinité mange du chien et boit du vin de palme. Les mets préférés de Gu, à en croire le métaphysicien Abdou Rahimi Amoussa, sont le chien et l’escargot ; mais il peut réclamer comme offrandes un taureau ou un coq rouge, selon le cas.
Pour invoquer le Gu ou ériger une stèle dédiée à la divinité, il faut également de l’huile rouge, un mouton, du haricot rouge (niébé), de l’igname, du vin de palme, des liqueurs, de l’huile tchotcho, du cola, suivant les indications de l’oracle Fâ qui dit ce que veut tout vodoun n
Interdits
Pour une offrande (vô) à un carrefour, le Lègba a sa part et le Gu, la sienne. Sinon, il y a problème, à en croire Tamiaga. « On ne s’amuse pas avec Gu, autrement vous vous retrouverez à la morgue », explique-t-il.
« Comme interdits, détenteur du Gu, je ne peux pas voler ni chercher la femme de mon ami encore moins chercher à empoisonner ou à jeter un mauvais sort à quelqu’un ; si je le fais, les vodouns vont me frapper à mort », conçoit le détenteur du Gu. Comme tout vodoun, une femme en règles ne s’approche pas du Gu. De même, il est défendu de s’approcher du Gu après une relation sexuelle sans se doucher ou tout au moins se nettoyer avec de l’eau.
Il est suggéré de ne pas démarrer un projet important un mardi (Guzangbé) dédié à la divinité, afin de ne pas subir les mauvais sorts et la colère de la divinité intransigeante et sévère quant au respect des lois de la nature.