Nous sommes à Ouinhi, commune du département du Zou et des Collines qui s’ouvre sur la vallée de l’Ouémé. A une vingtaine de kilomètres du centre-ville se trouve le village Gangban. Consumé par le feu le 31 janvier dernier avec à la clé un mort ainsi que des dégâts matériels très importants, tout le village est sous le choc. Les villageois, dans leur ensemble, accusent les nomades d’y avoir fait une incursion guerrière au cours de laquelle ils ont carrément incendié le village. Avant cela, à Sagbovi, dans l’arrondissement de Dovi, commune de Zagnanado, le sieur Dannon Aho Gabriel a été tué à bout portant dans son champ le 06 janvier 2013 par des Peuhls. Début février, c’est Houéssou Victorine, épouse Houéssou Gabin, assistant-infirmier au Centre de santé de Dovi–Zounou, qui a été brutalisée et violée par des Peuhls au petit matin. Comme elle, une mère et sa fille ont été violées et chassées par les Peuhls dans la même période. Des champs de manioc, de riz et autres cultures ont été dévastés par les mêmes Peuhls à Tohouè dans la commune de Ouinhi et la plantation rizicole de Dovi-Zounou dans la commune de Zagnanado. Toute la région est secouée par des braquages dont le nombre s’est accru rapidement en quelques semaines.
Impunité
Malgré la violence et la brutalité de leurs actes, les auteurs de l’incendie de Gangban sont toujours en liberté. Celui qui a commis le meurtre du sieur Dannon a été libéré 72 heures après sa détention par le procureur près le tribunal de première instance d’Abomey pendant que le corps de la victime est encore à la morgue. Quant à celui qui a commis le viol sur dame Victorine Houéssou, il a été également libéré pour insuffisance de preuves. Pour le maire de Ouinhi, Innocent Sékou, c’est une pratique qui rend la vie difficile à nos populations éprises de paix et de justice. Après plusieurs jours de vaines plaintes, les populations finissent par se résigner, compte tenu de l’inaction de certaines autorités à la base. Pour certains, cette pratique persiste et prend de l’ampleur à cause de la complicité de l’Etat central et de certains élus locaux qui acceptent de façon consciente de collaborer avec les Peuhls durant leur séjour.
La transhumance en question
Reconnue sous deux formes, la transhumance nationale (des troupeaux résidents) et transfrontalière (venus de l’extérieur) a cours souvent dès le début du mois de novembre jusque vers février ou au début du mois de mars de chaque année. Elle est cautionnée par l’Etat central car « notre Etat a ratifié l’accord sur la libre circulation des personnes et des biens. Donc, la transhumance est une activité régie par des textes et qui doit, en réalité, respecter un ‘’couloir’’, » affirme Armand Maurice Nouatin, le préfet des départements du Zou et des Collines. Pour cela, il y a un Comité national pour la gestion efficiente de la transhumance présidé par le ministre de l’Intérieur. Il a, en son sein, des représentants des Peuhls des différents pays de provenance. Au niveau départemental, il y a un comité que dirige le préfet. Il y en a un autre au niveau communal. « Ces comités sont chargés de gérer, à chaque niveau, le couloir de la transhumance afin qu’il n’y ait pas de dégât comme on le constate », précise le préfet. Pour le maire de Zagnanado, « il existe réellement un couloir connu des paysans. Car, nous les avons sensibilisés dans le temps en leur interdisant de cultiver dans les zones qui sont réservées pour le passage des bœufs ». « Les paysans, pour la plupart, respectent ce couloir. Mais le réel problème se pose au niveau des Peuhls qui circulent comme ils veulent causant ainsi des dommages aux populations », explique le maire Symphorien Misségbétché. Selon le maire de Ouinhi, Innocent Sékou, « les Peuhls circulent en désordre mais avec la complicité de certains villageois qui les accueillent, les orientent et leur prennent de l’argent. Moi, je les appelle les fonctionnaires de la transhumance parce qu’ils sont dedans chaque année et ils vivent de ça ». Ainsi, tout porte à croire que les comités existent de nom sans pour autant fonctionner réellement. Résultat, les Peuhls en profitent pour dicter leur loi.
La gloire d’une minorité
Normalement, il est prévu, à l’entrée de chaque commune, un poste de contrôle qui permet aux agents de la mairie de compter le nombre de têtes de bœufs par troupeau, de les vacciner et de les suivre tout le long de leur parcours dans la commune. Les bergers doivent payer par tête de bœuf une somme d’argent dont le montant total est versé à la commune. De la même manière, les représentants des Peuhls, à chaque niveau, disposent d’un fonds de caisse qui est mis à la disposition du comité communal de la transhumance pour la réparation d’éventuels dommages causés par les bœufs aux populations. Parfait Houkanou, résident à Zagnanado et connaissant bien le problème explique: « C’est regrettable parce que la transhumance, chaque année, fait des victimes. Ce qui est égal, pour nos autorités, parce que quelqu’un qui vient se plaindre à la brigade de ce que les bœufs ont dévasté son champ, peut attendre des semaines avant d’être dédommagé. Et là encore, c’est une somme dérisoire qui n’a jamais dépassé 50.000f qu’on lui remet. La dernière fois, c’est 17.000f qu’un vieux à reçus pour un champ de manioc de près d’un hectare dévasté. D’autres ne reçoivent même rien et c’est la faim qui sévit dans ces foyers les mois qui suivent le drame ». La question que se posent les populations de la région, c’est ce que font les comités avec l’argent versé par les transhumants.
Un air de corruption
«C’est regrettable que certains maires de nos communes soulèvent les populations contre les Peuhls. Cela ne peut apporter que des affrontements et autres », affirme le préfet Armand Maurice Nouatin. Pour le maire de Zagnanado, Symphorien Misségbétché, « il y a des Peuhls conciliants qui comprennent les populations sans faire du mal. Ce sont ceux qui viennent du Mali, du Niger, de la Mauritanie ou du Tchad, par exemple. Par contre, ceux qui viennent du Nigéria sont violents et n’acceptent pas les provocations ». Il propose de faire l’effort de s’entendre avec eux afin d’enregistrer moins de dégâts. Dans cette atmosphère délétère, des millions de FCFA circulent entre eux et certaines autorités à la base. Des maires, des chefs de brigade, des chefs d’arrondissements voire plus sont concernés. Le maire Innocent Sékou rapporte un cas où un responsable de brigade lui a donné sa « commission » constituée de 4 millions et de deux bœufs pour le nouvel an. « J’ai refusé, affirme l’élu local, et le chef brigade me dit de prendre, car même si je ne prenais pas, les gens diront que j’ai pris ». Et il ajoute : « Deux jours après, j’étais à Cotonou et mon téléphone sonne. On me dit :« monsieur le maire, ça y est, on complète l’argent : 2 millions de plus et ça fait 6 millions ». Je n’ai même pas eu le courage de demander au Chef brigade combien lui-même a pris, mais le Peuhl a ajouté qu’il donne cette somme d’argent chaque année aux autorités de la région Agonlin ».