Du fait des cicatrices de l’histoire, les mariages entre watchi et fon étaient presque interdits. Mais aujourd’hui, cette pesanteur rencontre de nouvelles mentalités décidées à tourner cette page.
Afangnihoun Assou est un octogénaire, chef de la collectivité Afangnihoun de Comè, une commune du département du Mono-Couffo située à environ 80 kilomètres de Cotonou. « Une femme ou un homme watchi ne peut prétendre se marier avec un fon », laisse-t-il entendre. Et d’expliquer : « Ce sont des interdits qui ont été prononcés par nos aïeux compte tenu de ce qu’ils ont vécu avec les fon. On ne saurait les transgresser ». Le maire de Comè, Bertin Tossou, né vers 1938 et aujourd’hui à son deuxième mandat à la tête de cette municipalité, nous en donne la preuve. « Depuis que je suis maire ici, je n’ai jamais célébré de mariage entre un fon et un watchi », nous-a-t-il révélé. Instituteur à la retraite, il donne la source réelle de cette méfiance : « l’histoire remonte au 1er septembre 1891. Après une guerre perdue contre le royaume des watchi, le roi Béhanzin, une fois venu au trône à Abomey, a voulu se venger. Il a alors enrôlé de force les vaillants hommes et femmes de Comè pour les faire travailler à Abomey. Beaucoup d’entre eux ont été tués et leur sang a même servi dans la construction du temple qu’on appelle « Ahoho ». C’est cette situation qui a agacé nos aïeux qui ont maudit toute femme ou tout homme qui oserait se marier à un fon »>
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Depuis 122 ans, cette malédiction ancestrale pèse sur les relations entre les deux peuples. Le sociologue-anthropologue béninois, professeur Dodji Amouzouvi, Maître de Conférences des Universités du Conseil africain et Malgache de l’Enseignement supérieur (CAMES), sans banaliser le phénomène, estime que « ces interdictions peuvent être comprises comme un mécanisme de régulation sociale et persisteront tant qu’elles seront socialement pertinentes et auront un sens pour les acteurs sociaux». Une pesanteur historique ? Il répond : « On pourrait affirmer qu’il s’agit d’une pesanteur historique qui remet en cause l’unité nationale si tout ceci repose sur la manipulation. Ou si c’est pour assouvir la volonté de puissance d’un seul individu et ceci pour des raisons fallacieuses », explique-t-il. Dans le cas contraire, il propose de les assumer « si les raisons sont culturellement et historiquement fondées ». Car, pour lui, « L’unité nationale doit pouvoir se nourrir des différences de toutes les filles et de tous les fils de la nation ».
Loin des yeux, des couples se forment
De son regard d’intellectuel, le maire de Comè, Bertin Tossou estime pourtant qu’ «il est temps de dépasser ces obstacles pour évoluer ». Selon lui, « le monde change et il faut changer aussi les mentalités ». Même s’il tarit d’exemples de couples issus des deux ethnies qui réussissent leur vie à deux à Comè où le phénomène s’observe avec acuité, il rappelle néanmoins qu’il y en a, loin des yeux, qui vivent leur vie sentimentale. Car, pour lui, « c’est l’amour qui doit être priorisé dans toute relation qui doit durer ». Un conseil que bien de femmes watchi ont déjà intégré dans leurs habitudes et vécus quotidiens. C’est le cas, par exemple, de dame Sidonie Atti, revendeuse à Abomey. A 50 ans, elle totalise aujourd’hui plus de 30 ans de vie conjugale avec un fon. Mieux, son mari, Constant Akovè est le chef de la collectivité Akovè d’Abomey, d’où lui vient d’ailleurs son nom fort, Dah Houandjènon. Les deux ont six enfants dont l’aînée a aujourd’hui 25 ans. Mais, pour en arriver là, Sidonie Atti a dû faire preuve de courage. Comme si c’était encore hier, elle se souvient et raconte son histoire : « Quand j’étais jeune, ma grande sœur chez qui je suis restée m’a formellement interdit de me marier avec un fon. Elle m’a dit que je n’y trouverai que malheur, étant donné que nos aïeux ont maudit cette union. Mais, ironie du sort, ce sont seulement des hommes fon qui me faisaient des avances ». Que s’est-il finalement passé ? Sidonie poursuit : « Au début, ma grande sœur s’y est formellement opposée. Mais quelque temps après, lorsqu’elle a compris que tout allait bien entre mon mari et moi, elle a fini par tout laisser tomber ». S’estimant épanouie aujourd’hui dans sa vie de famille, Sidonie Atti invite ses parents à « s’ouvrir aux autres ethnies». Alida Amèhounkè, une jeune watchi de 32 ans, est aussi de cet avis. Mariée à un fon, Abel Gnanvi, elle invite ses autres frères et sœurs watchi à tourner la page de l’histoire en « faisant triompher leur amour avec l’homme ou la femme qu’ils aiment ». Mère d’une fille de 2 ans, Alida pense bien surmonter toutes les difficultés qui pourraient nuire à l’union entre elle et son mari. Sa jeune sœur, Reine Amèhounkè, également mariée à un fon, pense d’ailleurs la même chose. Pour elle, «il faut que l’histoire reste l’histoire et que l’on regarde l’avenir avec l’espoir d’une vie meilleure ».