Après l’attaque d’un poste de police qui a fait un mort dans le nord du Bénin, à la frontière avec le Burkina Faso voisin en proie aux violences jihadistes, les autorités se veulent rassurantes et dénoncent un "acte isolé" mais la menace de contagion dans la zone est réelle.
Dans la nuit de samedi à dimanche, une demi-douzaine d’hommes armés de
machettes et de fusils de chasse, selon un rapport de police qu’a pu se procurer l’AFP, ont attaqué le poste de police de Keremou, un village isolé en brousse, faisant un mort et un blessé.
Les autorités ne cessent de le marteler: il s’agit d’un "acte isolé, qui ne se reproduira pas et qui n’a rien à voir avec les menaces agitées par rapport à un autre phénomène qui sévit dans la région".
Le "phénomène" auquel le porte-parole du gouvernement béninois Alain
Orounla fait référence sans le nommer, c’est l’expansion jihadiste au Sahel.
Les violences ont fait pour la seule année 2019 des centaines de milliers de déplacés et 4.000 morts au Mali, au Niger et au Burkina Faso.
"Rien à voir" avec tout cela, a affirmé le porte-parole à l’issue du
Conseil des ministres mercredi, pour qui "cette attaque est incontestablement le fait de braconniers", "de hors-la-loi".
Braconniers
C’est oublier que, selon le rapport de police, les assaillants ont crié "Allah akbar" ("Dieu est le plus grand", en arabe), en faisant feu sur les policiers.
C’est vite oublier également qu’en mai 2019, deux touristes français
avaient été enlevés par des bandits, et leur guide assassiné, dans le parc de la Pendjari voisin, avant d’être revendus à des groupes jihadistes.
Officiellement, le Bénin n’a donc pas connu d’incursion de groupes armés venus du Burkina Faso pour y mener des attaques, mais ces exemples démontrent combien la frontière entre "braconniers", "bandits" et "jihadistes" est ténue.
A ce stade de l’enquête, "on ne peut pas dire que l’acte perpétré à Keremou était planifié et exécuté par un groupe terroriste. Cela ne veut pas dire qu’il faut occulter la menace", prévient Oswald Padonou, président de l’Association béninoise d’études stratégiques et de sécurité (ABESS), dans une interview à l’AFP.
Ce spécialiste refuse d’être "alarmiste" mais dit craindre "des risques d’intrusion ponctuelle ou durable, des risques également de développement de cellules locales". Il note "des formes de radicalisation et d’extrémisme (...) notamment dans les espaces frontaliers nord avec le Nigeria, le Niger et le Burkina Faso".
Le nord du Bénin, comme les autres régions sahéliennes frappées par les jihadistes, est une zone marginalisée, très peu développée, où les populations sont peu éduquées et "où le lien entre l’Etat et les populations est distendu", indique un récent rapport de l’Institut for Security Studies (ISS).
Absorber le mécontentement
Les autorités doivent prendre garde à ne pas amplifier ce sentiment
d’exclusion, prévient de son côté Rinaldo Depagne, directeur pour l’Afrique de l’Ouest du centre de réflexion International Crisis Group (ICG).
Le pays, autrefois considéré comme un havre de paix et de stabilité
démocratique, est secoué par une grave crise politique depuis les élections législatives d’avril 2019, auxquelles l’opposition n’a pas pu se présenter, rappelle-t-il.
"Les mouvements jihadistes sont en train de lécher les pourtours
sahéliens", constate le chercheur. "Il faut être vigilant au pouvoir
déstabilisant des processus électoraux faussés", poursuit-il, citant le Bénin, mais aussi la Côte d’Ivoire, la Guinée ou le Togo.
"S’il n’y a plus d’offre politique pour absorber le mécontentement, il
reste la solution radicale qui peut attirer des jeunes déjà marginalisés et dans le banditisme", explique M. Depagne à l’AFP.
Cette région frontalière est en effet depuis longtemps exposée aux trafics informels ou illégaux, avec des terrains montagneux, et traversée par un complexe naturel transfrontalier de près d’un million d’hectares (parcs du W, de la Pendjari et d’Arly) où sévissent les braconniers et les coupeurs de bois illégaux.
L’ISS rappelle que l’attribution en 2017 de la gestion du parc à la société sud-africaine African Parks avait suscité beaucoup de mécontentement parmi les populations locales et les employés des Eaux et Forêts béninois, qui ont longtemps profité du laissez-aller dans la région.
L’attaque du weekend survient au lendemain d’un déploiement de 130
militaires béninois dans le W, venant appuyer les 140 rangers professionnels d’African Parks de la Pendjari.
La confusion entre braconniers et jihadistes est donc compréhensible, mais la réalité n’en est pas moins inquiétante.
"Les jihadistes intègrent et phagocytent les bandes de bandits locaux avec leur savoir-faire, leur connaissance du terrain, la manipulation de certaines armes...", conclut M. Depagne d’ICG. "Il y a une tendance générale à la jihadisation du banditisme."