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Ousmane Batoko, ancien ministre de l’Information et de la communication:«Chacun n’avait que pour préoccupation le Bénin»

Publié le mercredi 19 fevrier 2020  |  Le Matinal
Ousmane
© aCotonou.com par DR
Ousmane Batoko, président de la Cour suprême du Bénin et président des Cours constitutionnelles africaines
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« C’est moi qui étais chargé d’élaborer le document du bilan politique depuis l’indépendance à la veille de la Conférence nationale. D’autres ont été chargés de rédiger des rapports sur les questions économiques et de la justice etc. Chacun des 8 membres s’est investi sans cocktail. Nous n’avions aucun budget en tant que comité préparatoire. Chacun de nous se déplaçait avec sa voiture pour aller aux réunions et nous nous débrouillons également pour manger surtout à l’occasion du déjeuner et parfois même des dîners parce que parfois on travaillait au-delà de 23h.

En notre propre sein, il y avait une certaine forme de cohésion et de solidarité qui faisait que aujourd’hui c’est tel qui offre le déjeuner à tout le groupe, aujourd’hui c’est tel qui paie pour le dîner pour tout le groupe. Cela, à telle enseigne que ce type de comportement était devenu une forme d’émulation interne entre nous. Cela nous stimulait et je l’ai retenu. C’est pour passer à la phase de la Conférence nationale proprement dite que nous avons élaboré un budget avec tout ce que cela comporte d’aléas. Parce qu’à l’époque, le salaire n’était pas payé, Le gouvernement n’avait pas d’argent.

A l’époque, nous avions tapé aux portes en particulier, les portes des organismes internationaux comme le Pnud, l’Usaid, l’Unicef, etc. C’est tous ceux-là qui ont contribué, chacun à sa manière, d’avoir une cognotte qui nous a permis de démarrer les travaux de la Conférence nationale. Et d’ailleurs, à la fin du deuxième jour, on n’avait plus le rond.

Nous avons dû nous en référer au président Mathieu Kérékou qui a demandé au ministre des Finances de l’époque de racler le fond des casseroles pour que la Conférence ne foire pas parce qu’il n’y avait pas d’argent pour donner à manger aux conférenciers. Ce sont des aspects qui m’ont marqué.

Deuxièmement, tous les participants qui sont venus de l’étranger sont venus à leurs propres frais. Ils ont payé eux-mêmes leurs billets d’avion. D’aucuns du Canada, d’autres des Etats-Unis, d’Europe, d’Afrique, etc. Chacun d’eux a payé ses frais de voyage et de séjour si c’était le petit déjeuner que nous comité d’organisation nous nous efforcions d’assurer pour tous les conférenciers. On s’était retrouvé à 515 ou 520 personnes participants à la Conférence. S’il faut compter aussi le comité d’organisation et la sécurité, il faut aller à 1000 personnes qui se sont retrouvées sur le site du Plm Alédjo. L’enjeu principal est que les Béninois se parlent entre eux dans un langage direct, franc et sans faux-fuyant. C’est vrai que certains conférenciers n’ont pas pu se retenir dans les griefs qu’ils articulaient contre les dirigeants de l’époque. Certains n’ont pas su se contenir. Ils n’ont pas pu se maîtriser si bien que dans la salle, ça brouillait de tous les côtés. On nous traitait de tous les noms. Quand quelqu’un souffre d’un mal à la veille de la Conférence, on prenait le régime révolutionnaire comme responsable. Les gens ne se maîtrisaient pas, ne se retenaient pas. Ils n’avaient pas la courtoisie dans le langage et dans le comportement. Les présidents Ahomandégbé et Maga avaient demandé que la diffusion en direct des débats soit arrêtée. Parce que, entendre les Béninois s’insulter sans aucune retenue, était devenu quelque chose d’insupportable et d’inadmissible. Mais, personnellement, je me suis dit que c’est une manière pour eux de se défouler, c’est une sorte de catharsis collective qu’il fallait organiser, accepter pour que les gens, en défoulant, dégagent leurs cœurs, leurs têtes, leurs ventres.

Personnellement, malgré les instructions que j’ai reçues du président Kérékou d’arrêter la diffusion en direct des débats de la Conférence nationale, j’ai dit monsieur le président je ne veux pas arrêter cette diffusion, tout simplement parce que je ne peux plus.

Tous ceux qui s’étaient retrouvés avaient un amour profond pour leur pays. Très peu avaient mis en avant leurs égos, leurs ambitions, leurs propres intérêts. Chacun n’avait pour préoccupation que le Bénin, et cela nous soûlait tous. Cela nous a permis de déboucher en huit jours seulement sur les conclusions que tout le monde a apprécié. Le pays a gagné d’abord en instauration ou en restauration de dialogue. C’était un dialogue franc, le pays y a gagné aussi en cohésion sociale, en relevant ce qui paraît essentiel comme fondement de ce lien entre les peuples du Bénin. Ensuite, le pays a gagné en innovation politique. Parce que nous étions au bord du gouffre mais nous avons pu nous en sortir. Et non seulement cela, pour la première fois sur le continent africain, un pays a pu se mettre debout parce qu’il a pu organiser ce dialogue direct. Sans compter maintenant l’autre intérêt, c’est la renommée, l’initiative béninoise puisque un peu partout ça a été repris. Le Bénin a aussi gagné en stabilité puisque cela fait 30 ans que la démocratie béninoise, même si c’est cahin-caha, continue son petit bonhomme de chemin. Le Bénin n’est pas par terre. Le Bénin est resté debout. C’est vrai que nous avons connu un choc terrible avec les législatives de 2019 tel que le pays n’en a jamais connu depuis 1960. Mais pouvons-nous considérer que cela participe des soubresauts du progrès démocratique ? Peut-être. Parce qu’aucune démocratie ne se développe comme un long fleuve tranquille. Et d’ailleurs, plus un fleuve est long, plus il est en mouvement. Il arrive à des endroits où il y a des cascades, des turbulences. Parce que 30 années, d’aucuns diront que ce n’est pas bon. C’est beaucoup pour une expérience démocratique et c’est pour cela que je dis que nous devons tirer toute la leçon de ce choc que nous avons connu avec les dernières élections législatives.

Nous devons en tirer toute la leçon.

Surtout qu’on n’aille pas chercher quelqu’un qui est responsable de quoi que ce soit. C’est nous-mêmes. Ce n’est pas quelqu’un d’autre. Et c’est nous même qui devons assumer. Et nous devons l’assumer courageusement. C’est cela aussi avoir un sens de l’Etat et de la responsabilité. Nous devons être fiers du chemin que nous avons tous parcouru. Parce que pendant ces 30 ans, nous avons connu 4 chefs d’Etat. Pendant les 30 années précédentes, nous en avons connu une dizaine. C’est déjà quelque chose dont nous devons tous être fiers. Pendant 30 ans, notre pays a gagné non seulement en stabilité, mais également en matière de fruits engrangés en matière de développement. Aujourd’hui, le pays est en chantiers c’est vrai. Nous avons un président de la République sans doute le plus audacieux, le plus ambitieux, je dirai même le plus moderne en termes de perspectives de développement du pays. Et tout cela participe des fruits emmagasinés pas à pas, patiemment avec des hauts et des bas certes, depuis la Conférence nationale. Ce que fait le président Talon aujourd’hui ne tombe pas du ciel. Il n’y a pas de doute que le président Patrice Talon tire lui aussi leçon aujourd’hui des erreurs de ses prédécesseurs et en particulier de son prédécesseur immédiat. C’est cela aussi les gains de la démocratie béninoise. Il nous reste quand même à parachever la performance politique au sein du pays. Beaucoup de choses ont déjà pu être faites dans ce sens. Mais je souhaiterais que nous ne mettions pas dans la posture de celui qui a avalé le serpent et qui est incapable d’avaler la queue. »



Propos recueillis par Odi I. Aïtchédji
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