L’attention de l’opinion publique béninoise sera de nouveau portée, au cours des prochains jours, sur la cour d’appel de Paris, qui, le 4 décembre, dira si l’homme d’affaires Patrice Talon peut être extradé vers le Bénin, où il est accusé d’avoir ourdi un complot pour éliminer le président Thomas Boni Yayi.
Le 23 octobre dernier, le ton avait déjà été donné : l’avocat général avait jugé que le dossier n’était "absolument (...) pas complet" ; l’auxiliaire de justice français avait fait valoir la mésaventure du juge d’instruction Angelo Houssou, qui avait ordonné le premier non-lieu général le 17 mai et avait été cueilli le même jour "comme un malfaiteur", alors qu’il tentait de franchir la frontière nigériane ; pour le parquet général de Paris, le manque d’informations transmises par le Bénin sur cet incident, "qui n’arrive pas tous les jours", faisait peser un doute sur le caractère équitable de la justice.
De plus, le parquet avait noté que le mandat d’arrêt visant Patrice Talon a été maintenu, du seul fait d’un appel interjeté par le parquet béninois, alors que le juge d’instruction ordonnait sa levée dans sa décision de non-lieu.
Enfin, l’avocat général avait relevé que la peine de mort n’avait pas disparu de l’arsenal législatif du Bénin, même si le représentant de Yayi Boni, Me Christian Charrière-Bournazel, a indiqué qu’elle n’avait pas été appliquée depuis vingt-cinq ans.
Entre les plaidoiries du 23 octobre et la décision du 4 décembre, quarante-deux jours se seront écoulés, apportant aussi leur lot de développements aussi curieux que cocasses.
Nouveaux éléments
Rappelons la suspension, peu avant l’audience de Paris, du Procureur Justin Gbènamèto, dont le nom a été mêlé à une affaire de transfert d’argent ; il y a aussi eu la mort de Me Zacharie Sambaou, avocat au barreau du Bénin et l’un des avocats des co-accusés de l’homme d’affaires Patrice Talon, dans les affaires de supposées de tentatives d’empoisonnement et de coup d’Etat visant le président Boni Yayi.
Si ces deux épisodes ne permettent pas, au regard des faits vérifiables, d’établir, pour l’instant, la moindre relation directe avec l’examen de la demande d’extradition de Patrice Talon, il est tout de même important de les mentionner et de les garder à l’esprit, au cas où un nouveau développement viendrait à remettre en cause des convictions acquises.
En revanche, deux autres faits méritent de retenir l’attention et pourraient conforter la plaidoirie du procureur.
Il s’agit d’abord de l’assignation devant la Cour Suprême du Bénin, du juge Angelo Houssou, auteur de l’ordonnance de non-lieu du mois de mai. Les avocats du président béninois accusent le juge de "tentative illégale de sortie du territoire national."
Ensuite, il y a toute une série de décisions visant à affaiblir le pouvoir économique de l’homme d’affaires, considéré à Cotonou comme l’ennemi public No 1 ; la dernière de ces initiatives est la décision de l’Etat de suspendre la convention portant création de la Sodeco, la société de développement du coton, aux termes de laquelle la Scp de Patrice Talon détenait 51% des actions de l’entreprise.
"C’est la énième tentative de broyage d’un homme d’affaires dont la tête ne revient pas au palais", se lamente un responsable de la Chambre de commerce et d’Industrie du Bénin. "Cela ne manquera pas d’avoir des répercussions sur le classement du pays dans l’indice Doing Business."
"On se croirait dans la Russie de Poutine, avec cette lutte sans merci entre une poignée d’oligarques qui se sont enrichis du fait du prince et auxquels le même prince reproche aujourd’hui qu’ils aient tant d’oseille", commente un journaliste béninois de passage à Paris.
Valium
En toile de fond de tout ce tohu-bohu mediatico-politico-judiciaire : la présidentielle de 2016, qui donnerait le tournis à Boni Yayi et à ses conseillers.
Pour contrecarrer l’offensive "Touche pas à ma constitution", lancée par l’opposition et la société civile, après l’annonce d’une révision constitutionnelle, le président a dû monter au créneau à plusieurs reprises, pour rassurer sur son intention de rendre le tablier en avril 2016.
"C’est du valium pour endormir la vigilance de la population", estime un habitué du dossier.
"En réalité, les dernières décisions du président Yayi Boni montrent à ne pas s’y tromper qu’il prépare activement la présidentielle de 2016. Il sait, pour l’avoir expérimenté, qu’en Afrique, moins que la popularité, c’est l’argent qui fait et défait les rois. Le même Talon qui l’a fait roi veut son départ et Yayi ne veut pas se laisser faire", estime notre source.
Mais les juges français ne devraient pas s’embarrasser de ces considérations. Dans la tradition des grandes chancelleries, ils devraient s’en tenir strictement au droit.
Sur ce front-là aussi, la manche semble loin d’être gagnée pour le président béninois. De sources proches de la cour d’appel de Paris, on estime que les juges, s’ils ont acquis la conviction qu’il y a bien eu tentative d’empoisonnement, même s’ils ne peuvent en déterminer exactement l’origine, savent aussi qu’ils font l’objet d’une grande manipulation de part et d’autre. Et dans leur décision, ce 4 décembre, plus que les faits attribués à Patrice Talon, c’est leur crainte d’exposer la vie d’un homme, Patrice Talon, qui devrait peser dans la balance.
L’arroseur arrosé
Dans les allées feutrées du bureau des juges d’appel parisiens, c’est ce qui s’appelle la théorie de l’arroseur arrosé.
"Sous n’importe quel prétexte, on pourrait essayer d’attenter à la vie de M. Talon, qui de toute évidence, après plus d’un an de ce scandale scabreux, s’est fait plein d’ennemis dans l’entourage présidentiel. Si ce n’est Yayi Boni lui-même qui ordonne son exécution, ce sera un fonctionnaire zélé de l’administration pénitentiaire. Or, en la matière, le Bénin n’offre pas toutes les garanties d’indépendance pour que nous autres juges français puissions porter la responsabilité de ce qui pourrait advenir de la vie de Patrice Talon. La justice française ne veut pas prendre cette responsabilité", ajoute notre source.
Alors, Patrice Talon, libéré ?
Pas pour autant. Les juges auraient également imaginé un scénario où Patrice Talon, également détenteur d’un passeport français, pourrait être jugé en France. Mais outre que cette solution ne plait pas du tout à la chancellerie, à cause des tensions financières en France, le Bénin semble également y être hostile. "C’est notre affaire, c’est à nous de le juger", aurait-on répondu côté béninois, lors d’une conversation informelle avec la partie française.
Il semble donc qu’on se dirige vers un refus de la justice française d’extrader le magnat béninois du coton. A Paris, le risque est jugé infime. "Patrice Talon ne fuira pas Paris, parce qu’il est encore visé par un mandat d’arrêt international émis par le Bénin. On le tient donc toujours, au cas où des preuves irréfutables et des garanties fermes viendraient à être apportées par la partie béninoise", estime-t-on.
Mais pour aurant, cela ne devrait pas signer l’arrêt de l’oukase présidentiel contre lui, à Cotonou.
Yayi Boni veut avant tout assécher les sources de financement de tous ses adversaires politiques potentiels, qui tournoient autour de la galaxie Talon, dans les derniers kilomètres avant 2016.