Dans la région Agonlin (communes de Ouinhi, Covè et Zagnanado), zone d’accueil par excellence des éleveurs transhumants dans le centre du Bénin, transhumants, élus locaux et intermédiaires participent à une corruption active qui complique la lutte contre le phénomène porteur de conflits sanglants.
« Par le passé, les éleveurs se trompaient d’adresse et venaient vers moi avec de l’argent. C’est ainsi que j’ai su que les gens prennent de l’argent», affirme Innocent Sékou, l’ancien Maire (2008-2015) de Ouinhi,160 km environ au nord-est de Cotonou, confirmant du coup les propos qu’il avait précédemment tenus dans le quotidien L’Evénement Précis en 2013.
En effet, appelé au secours par des agriculteurs dont les champs avaient été dévastés par des bœufs, Innocent Sékou dit s’être vu offrir par le responsable des éleveurs, sa « commission » pour le nouvel an : quatre millions de F CFA (plus de 6000 Euros) et deux bœufs, pour « fermer les yeux » sur ces dégâts. «J’ai décliné l’offre. Le responsable des éleveurs m’a expliqué qu’il s’agit d’un tribut qu’ils payent annuellement aux maires de la région Agonlin. Deux jours après, ils ont ajouté deux millions de FCFA (3000 Euros). J’ai maintenu mon refus. C’est pitoyable », s’exclame M. Sékou, dépité par certaines pratiques observées lorsqu’il était en fonction.
D’autres élus locaux, encore en fonction, confirment ces dénonciations. Ferdinand Houessou, Maire de la commune de Covè (150 km au nord-est de Cotonou) reconnaît avoir subi des pressions de certains chefs de village qui, après avoir reçu de l’argent d’éleveurs transhumants, ont tenté « par tous les moyens » de le convaincre d’autoriser ces derniers à entrer dans la commune. «Un groupe d’élus locaux a perçu un million de FCFA (plus de 1500 Euros chez des éleveurs. Un chef de village a tenté de me remettre 200 000 FCFA (305 Euros) pour que j’autorise les transhumants à occuper des bas-fonds réservés aux riziculteurs. J’ai refusé cet argent », rapporte M. Houessou. Ce refus n’émousse cependant pas la détermination des corrupteurs qui reviennent à la charge en lui offrant une « énorme quantité » de viande de bœuf. « J’ai chassé celui qu’ils ont envoyé avec la viande», tonne le Maire.
La corruption complique la lutte contre la transhumance dans la région Agonlin et annihile tout effort de gestion du nomadisme des éleveurs et de son cortège de malheurs. Depuis plus de deux décennies, des conflits sanglants et souvent mortels opposent agriculteurs autochtones et éleveurs transhumants dans cette région. En trois ans, (2016 à 2019), les violences liées à la transhumance ont entraîné 54 décès et 52 blessés graves. Par ailleurs 2447 ha de champs, soit 24 km2, ont été dévastés, 205 bêtes abattues et 52 greniers pillés, soit environ 26 tonnes de provisions, selon une compilation de chiffres du ministère en charge de l’Agriculture.
Cinquante mille francs par troupeau
Depuis 2017, le gouvernement a décidé d’encadrer cette activité en prenant une série de mesures dont la décision du Conseil des ministres du 11 décembre 2019 de réorganiser la transhumance nationale à l’intérieur du territoire béninois en deux zones, et l’arrêté interministériel du 26 décembre 2019 interdisant la transhumance transfrontalière au Bénin.
En ce mois de février 2020, le gouvernement du Bénin se propose d’accueillir de façon exceptionnelle entre le 1er mars et le 30 avril, avec un sursis de dix jours, cinquante mille têtes de bovins en provenance du Niger, via deux portes situées dans les communes de Karimama et de Malanville, frontalières du Niger, à plus de 700 km au nord de Cotonou. L’aire réservée à ces troupeaux ne saurait dépasser les limites de la commune de Tchaourou (350 km au nord de Cotonou). Mais les transhumants n’auront à payer le moindre kopeck. Mieux des certificats internationaux de transhumance – une sorte de laissez-passer – seront délivrés aux bergers qui rempliront les critères fixés. Un dispositif d’accueil et de suivi de ces décisions a été mis en place (Cf Communiqué en encadré 2). Restera à faire face au nœud gordien : le respect strict de la série de mesures prises dans le cadre de cette opération, afin que les bergers et leurs troupeaux ne s’éparpillent encore sur le territoire béninois.
Au mépris de l’arrêté de 2019, bien des élus continuent de rançonner des éleveurs étrangers et béninois. « Mes vaches ont été bloquées dans un village dont le chef a exigé que je paie 60.000 francs avant de continuer. On nous considère comme des étrangers et on nous rançonne», se plaint Moussa, un éleveur du Zou (département dont fait partie la région Agonlin).
Par ailleurs, des passages de troupeaux à des heures indues sont tarifés. Alors que l’arrêté interministériel fixant les modalités de la campagne de transhumance 2019-2020 interdit le pâturage et les déplacements nocturnes des bêtes, des réseaux d’intermédiaires sont accusés de faire passer nuitamment les transhumants sous le pont du fleuve Zou pour aller vers les aires de pâturage de la région Agonlin, moyennant 50.000 FCFA (76 Euros) par troupeau. «Les éleveurs à la recherche du pâturage sont prêts à tout. Quand ils voient des gens qui ont une certaine influence, ils leur donnent de l’argent pour circuler nuitamment et arriver à la destination souhaitée », regrette Armand Soglo, coordonnateur des Activités de contrôle des végétaux, animaux, produits de pêche et des aménagements agricoles dans la zone Za-Kpota-Covè-Zagnanado-Ouinhi. Philippe C. Adagbè, président de l’Association des producteurs victimes de la transhumance de Covè (APVTC) nuance, expliquant avoir eu l’idée de tarifer le passage des troupeaux à raison de 50 000 FCFA (76 euros) par troupeau et précisant que ni la police ni la mairie n’étaient mêlées à cette collecte de fonds auprès des transhumants. L’objectif visé au départ était de dédommager les agriculteurs dont les champs ont été détruits par le passage des bêtes. Malheureusement, les intermédiaires ont tôt fait de récupérer cette initiative pour rançonner les éleveurs. « J’ai collecté 130.000 francs chez les éleveurs. Une polémique s’en est suivie et j’ai déposé cet argent au commissariat », se justifie M. Adagbè. «Les 130.000 francs sont effectivement à notre niveau. Ma hiérarchie est informée et à tout moment, si l’ordre est donné, ils pourront récupérer cet argent », reconnaît Hugues Fandohan, Chef du commissariat de police de Covè qui, par ailleurs, émet des doutes sur la transparence et les conditions dans lesquelles cette collecte de fonds a été opérée.
Dans la chaîne des pratiques corruptives, s’agissant de la transhumance, les éleveurs sont harcelés par des intermédiaires. Abusivement appelés « démarcheurs », ceux-ci jouent les rabatteurs. Tantôt, il est reproché à l’éleveur transhumant, bien qu’étant Béninois, de ne pas posséder une pièce d’identité à jour, tantôt on évoque une vétille sur le livret de vaccination de ses bêtes comme prétexte pour le rançonner. « C’est pourquoi les éleveurs négocient directement avec ces intermédiaires qui les mettent en contact avec la mairie et la police. Ainsi, ils sont à l’abri des problèmes », explique l’éleveur rencontré dans le Zou. Le commissaire divisionnaire de police Narcisse Gaffan, directeur adjoint de la Sécurité publique dit n’avoir pas connaissance d’agent de police impliqué dans ces pratiques. « Peut-être peut-il y avoir des brebis galeuses qui peuvent accepter des pots-de-vin pour fermer les yeux. Si on reproche des choses à un policier et que les preuves sont réunies, la sanction suit automatiquement. Ça peut aller jusqu’au conseil de discipline et la radiation », ajoute le commissaire. De toutes les façons, «aucune taxe n’a été instituée par l’Etat», jure Olawolé Wolou, point focal Transhumance au ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche (MAEP).
Incapacité des mairies
Accusés de se remplir les poches grâce au passage frauduleux des transhumants, les intermédiaires bottent en touche. Ils pointent l’incapacité de la mairie à gérer la transhumance : «C’est la mairie qui le faisait avant et quand les bêtes détruisaient les champs, elle était incapable de dédommager les victimes», clament en chœur Djibril Salami et Djida Djalo, deux intermédiaires de Covè, sans toutefois préciser la destination de l’argent qu’ils collectent chez les transhumants. Armand Soglo estime que les conseils communaux ont aussi leur part de responsabilité dans la persistance du mal en ne prêtant pas assistance aux structures chargées du contrôle des animaux qui traversent leurs territoires. Pour sa part, Symphorien Misségbétché, Maire de la commune de Zagnanado, s’étonne de cette accusation. Cette insuffisance est peut-être une réalité dans d’autres communes, pense-t-il, s’insurgeant contre ce qu’il considère comme une extrapolation incluant toutes les communes dont la sienne. Pour le moment, le mutisme des victimes permet aux instigateurs, intermédiaires et bénéficiaires de cette corruption de continuer à opérer en toute quiétude.
Flore NOBIME (Enquête réalisée avec le soutien de OSIWA)
Encadré 1
Une défiance à la loi
Prétendant mener des actions d’intermédiation et de négociation en faveur des transhumants, les intermédiaires, encore appelés démarcheurs ou facilitateurs défient aujourd’hui la réglementation en vigueur. Ils sont « très actifs sur le terrain, sur fond de corruption » rapporte l’étude sur le Renforcement des mécanismes de gestion de la transhumance dans la commune de Ouinhi et dans la zone Agonlin, publiée en 2015. Selon Symphorien Misségbétché, Maire de Zagnanado, on distingue trois catégories d’intermédiaires : les propriétaires de troupeaux locaux, les courtiers et les paysans autochtones. Inconnus dans les rangs des acteurs officiellement impliqués dans la gestion de la transhumance, ils continuent de profiter illégalement et impunément de la transhumance en usant de chantage, d’extorsion de fonds, de rackets, défiant les lois en vigueur. Au Bénin, l’article 646 du code pénal punit l’extorsion de fonds d’un emprisonnement de un (01) an à cinq (05) ans et d’une amende de cent mille (100.000) à deux millions (2.000.000) de FCFA. L’usage de faux noms ou de fausses qualités, dans le but d’escroquer ou tenter d’escroquer est puni par l’article 59 de la loi portant lutte contre la corruption au Bénin et passible d’un à cinq ans (05) et d’une amende égale au triple de la valeur mise en cause sans qu’elle soit inférieure à un million (1 000 000) de francs. Si l’infraction est commise par une personne qui prend indûment la qualité d’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, les peines d’emprisonnement pourront être portées de dix (10) à vingt (20) ans et l’amende au triple de la valeur mise en cause sans qu’elle soit inférieure à vingt-cinq millions (25 000 000) de francs. Des dispositions qui, pour le moment, n’émeuvent aucun acteur de la chaîne de corruption dans la transhumance. A ces peines s’ajoutent les sanctions administratives prévues si le mis en cause était un agent de l’administration publique.
N.
Encadré 2
COMMUNIQUE FINAL
La pratique des activités pastorales au Bénin génère de façon cyclique et récurrente des scènes douloureuses dans l’esprit de nombreux ménages ruraux qui déplorent chaque année des dégâts matériels de toutes sortes et surtout des pertes en vies humaines. Le bilan des deux dernières campagnes est loin de satisfaire à l’objectif « zéro perte en vies humaines » que le Bénin s’est fixé en matière de gestion de la transhumance qu’elle soit nationale ou transfrontalière.
C’est dans ce contexte que le Gouvernement a pris la décision d’interdire la transhumance transfrontalière. Suite à cette décision, la République sœur du Niger a sollicité des autorités béninoises, d’autoriser leurs pasteurs à entrer sur le territoire béninois au titre de la campagne 2019-2020.
En réponse à cette sollicitation, le Bénin se propose d’accueillir de façon exceptionnelle entre le 1er mars et le 30 avril 2020, avec un sursis de dix jours, cinquante mille (50 000) têtes de bovins en provenance du Niger via les portes de Monsey et Kompa dans la commune de Karimama d’une part, le pont de Malanville, dans la commune de Malanville d’autre part.
L’aire géographique réservée à ces troupeaux ne saurait dépasser la limite de la commune de Tchaourou.
En vue de faciliter l’accueil des pasteurs et le suivi sanitaire des troupeaux, il est attendu,
de la partie nigérienne :
la transmission aux autorités béninoises de la liste officielle des éleveurs candidats à la transhumance ainsi que les effectifs de leurs troupeaux respectifs ;
la délivrance au profit des transhumants attendus au Bénin des certificats internationaux de transhumance ;
la sensibilisation des pasteurs pour la détention des documents d’identité en cours de validité, la conduite des troupeaux par des bouviers âgés de dix-huit ans au moins, l’encadrement des animaux par un nombre suffisant de bergers, (1 berger pour 50 à 100 têtes de bétail), la traversée et le pâturage de jour ;
l’interdiction aux pasteurs la détention et l’usage des armes de guerre et de tout stupéfiant ;
La partie béninoise s’engage à :
Mettre en place un dispositif d’accueil des transhumants aux portes d’entrée ;
faire passer gratuitement les troupeaux sur son territoire national ;
rendre disponible l’aliment bétail aux portes d’entrée et sur les axes des transhumants ;
mettre en quarantaine et vacciner aux frais du pasteur transhumant, tout troupeau non détenteur du certificat international de transhumance ;
refouler tout troupeau n’ayant pas emprunté les portes d’entrée définies.
Les deux parties s’engagent à impliquer davantage les Organisations des producteurs dans la gestion de la transhumance
Fait à Cotonou, le 18 Février 2020
Ont signé,
Pour le Bénin
Le Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité Publique,
Sacca LAFIA
Le Ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche,
Gaston Cossi DOSSOUHOUI
Le Ministre de la Décentralisation et de la Gouvernance Locale,
Alassane SEIBOU
Le Ministre du Cadre de Vie et du Développement Durable,
José TONATO
Pour le Niger
Ministre d’Etat, Ministre de l’Agriculture et de l’Elevage,