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Flambée du proxénétisme à Cotonou : Des mineures au creux de la vague

Publié le samedi 7 mars 2020  |  Fraternité
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© Autre presse par DR
La prostitution en Afrique noire
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Selon les spécialistes de la santé sexuelle et reproductive, un tiers des jeunes filles enrôlées dans les réseaux de proxénétisme au Bénin sont des mineures issues de milieux défavorisés. Ces machines sexuelles ploient sous le joug de personnes opportunistes et mal intentionnées que le désir de faire du profit conduit à des méthodes brutales et avilissantes.

Jean Cossi et Alphonse Amavè s’apprêtent à braver la nuit profonde. Nous sommes à Xwlacodji, un quartier situé en périphérie de la commune de Cotonou. Il y a quelques années, la communauté a combattu ici la présence des travailleuses de sexe mineures notamment celles venues des pays voisins sur son territoire, en interdisant l’exercice du plus vieux métier du monde à toute femme n’ayant pas au moins 25 ans. Aujourd’hui, le phénomène a repris avec des béninoises surtout, d’où l’intérêt ce soir pour ces deux jeunes gens, de réactiver la police civile. Pour l’œuvre vespérale, ils s’habillent de sorte à paraître physiquement imposants et hargneux. L’un remorque l’autre. Après d’âpres négociations, ils me laissent les suivre à moto avec des consignes fermes de garder intimement le contact. C’est reparti pour faire repousser hors de cette contrée, la prostitution de mineures. Le premier arrêt du convoi a lieu après quelques kilomètres devant deux jeunes filles. Les échanges sont houleux et violents. « Quittez là, sinon c’est des paires de gifles. La nuit n’est pas faite pour les gamines. Rentrez chez vos parents et ne revenez plus dans ce quartier. » « En quoi nous vous gênons ? », réplique le camp d’en face dans la langue vernaculaire. Son courage ne sera que de courte durée. Le premier coup de lanière lancé en direction du binôme stoppe l’élan de résistance des deux travailleuses de sexe qui hèlent en courant un taxi-moto.
« Le commando » terrorisé
Pour remettre l’église au milieu du village, la brigade civile poursuit ce qu’elle considère comme une œuvre de salubrité publique. La prochaine destination sera moins conquérante. A l’angle très animé d’un hôtel, les belles de nuit pullulent. Il ne pouvait en être autrement. Nous sommes le 21 décembre 2019 : journée mondiale de l’orgasme. Quelques véhicules au loin font danser leurs phares. Plusieurs femmes se laissent apercevoir dans la foulée des signaux. Ici, feutrés derrière les pare-brise, l’apparence devient un passeport pour commettre des forfaits : « Regardez celle qui va vers le véhicule blanc. Je parie que la gamine qu’elle conduit vers le client comme une bête à l’abattoir n’a pas encore 16 ans. Quand c’est comme ça, on peut intervenir de bon droit. (La loi béninoise punit le proxénétisme et le travail des enfants ndlr). On le fait avec les personnes à pieds ou à motos. Mais quand nous voyons la gamme des véhicules qui viennent parfois stationner, on ne veut pas se créer des ennuis, vous voyez un peu de quoi je veux parler ». Des ennuis, le groupe ne manquera pourtant pas d’en rencontrer cette nuit. Il s’apprête à quelques mètres d’ici, à interpeller quatre jeunes filles chichement vêtues. Ces dernières sont adossées à une infrastructure publique d’éclairage, un peu en retrait du marché qui s’anime à l’autre extrémité de la voie. En les dépassant, trois jeunes, qui font mine de ne pas s’intéresser à ce qui se passe autour d’eux, fument de la cigarette. Le commando arrive rapidement à hauteur de sa cible. « Eh ! vous-là, montrez-nous vos pièces » lance-t-il. « Vous ne pourrez pas nous chasser d’ici », rétorque l’une d’entre elles. Les trois hommes qui jusqu’ici n’avaient pas bougé s’amènent visiblement de méchante humeur. L’odeur du joint emplit par effluves le périmètre. Le plus jeune du lot dégaine un couteau de poche. Il fait tourner du bout des doigts la corde attachée à l’étui en sifflant. Nous sommes encerclés. Un gouffre de solitude s’empare du convoi. Jean tire une machette du côté gauche de la carrosserie de sa moto. Il faut être un devin pour s’imaginer que dans les entrailles de l’engin se cache un tel objet. La tension ne semble pas baisser. « Partez d’ici, si vous ne voulez pas qu’un malheur arrive », crie un malabar en sortant de la pénombre. A la lumière, on le sent meneur d’hommes, prêt à lancer ses chiens après un dernier avertissement. Conscient de leur infériorité numérique, Jean demande à son collègue d’embrayer la moto et m’ordonne de prendre la route en premier. L’équipée s’arrête ici. « Quand ça commence ainsi, ils peuvent prévenir d’autres sites de notre arrivée. On peut nous prendre par surprise », me confie en chemin Alphonse. Le groupe décide alors pour des raisons de sécurité, de faire cavalier seul et me conseille de me contenter de la moisson de ce soir.
Quand la nuit s’achète
Des jeunes déscolarisés, sous l’emprise de produits psychotropes, jouent les badauds pour servir de bouclier la nuit aux mineures, travailleuses de sexe. Et ils ne le font pas pour les beaux yeux des filles. « Ils font des rondes quand on est dans les parages. Ils doivent nous protéger contre toute attaque et nous prévenir d’une présence policière. Je peux aussi les appeler quand un client refuse de payer après l’acte. Comment se positionnent-ils ? Bon, si vous faites un peu attention, ils sont postés sur les carrefours des sites, parfois dans le noir, parfois exposés aux lampadaires entrain de discuter comme des personnes inoffensives. A moto ou à pieds, ils font des allers-retours. A la fin de la nuit, nous rétribuons le meneur du groupe qui se charge du partage. La rémunération varie entre 3000 (pour les travailleuses de sexe majeures) à 5000 (pour les mineures). Ils estiment que les plus jeunes ont plus de côte auprès des clients. Si tu veux poursuivre paisiblement sur les lieux sans être harcelée, tu as intérêt à venir remettre leurs sous, même quand un client t’emporte au fin fond de la nuit », témoigne Catherine, une adolescente de 15 ans d’origine béninoise.
Nombre de ces jeunes qui harcèlent les travailleuses de sexe sont déscolarisés après le primaire, poussés à la délinquance et au proxénétisme pour financer leur addiction : « décrépits, avec un nombre d’enfants élevé, les parents pauvres s’essoufflent vite face à la cherté de l’école », relate amèrement un représentant de la plateforme des travailleuses de sexe. Et à leurs victimes qui non plus n’ont aucun diplôme, peu d’opportunités professionnelles se présentent : travailler en tant que serveuse dans un bar, synonyme de filles de mœurs légères dans un pays où les droits sexuels et reproductifs des adolescentes demeurent encore mal vus et tabous ou carrément, aller directement dans la rue.
Une menace sur la santé sexuelle et reproductive
« Si tu peux éviter une grossesse non désirée quand le préservatif n’a pas tenu la route en avalant des pilules ou pour avoir fait préalablement des injections, tu ne peux pas en faire autant quand tu as couché sans le savoir avec un porteur du VIH, c’est irréversible. C’est un risque mortel qui nous guette chaque jour », confie Alice, avec un brin de résignation. Un grand silence suivit. Et puis les yeux qui brillent ; puis les larmes qui dégoulinent le long des joues. « J’ai perdu ma meilleure amie l’an dernier. Une sexualité non protégée. Celui qui lui a trouvé les clients a promis de doubler la mise. Sous l’effet de la drogue, elle n’a pas su faire le bon choix. Elle n’a jamais accepté sa séropositivité et banalisait les soins ».
En général, les proxénètes ont la même nationalité que leurs victimes. C’est le cas de Justine, issue d’un village pauvre du sud-Bénin. Confiée par sa famille à l’âge de 16 ans à un démarcheur pour servir de domestique, un phénomène très répandu au Bénin, elle a été introduite dans la prostitution. Mascotte de la clientèle dans un groupe de 5 mineures sous influence, elle est privée de soins contre son gré au risque de se faire repérer par la brigade des mineures. Et pourtant, 03 mineures sur 4 avouent ne pas utiliser toujours de préservatifs avec leurs clients. 4 mineures sur 10 déclarent avoir été infectées une fois dans leur vie par les IST/MST dont peut-être le VIH, selon l’étude sur la prostitution des mineurs et ses liens avec la migration et la traite dans les villes de Djougou et Malanville au Bénin publiée en 2014.
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