C’est le Professeur Francis Akindès qui écrivait il y a un peu plus de vingt ans (1999), en plein débat sur la tradition et la modernité en Afrique, je le cite : « l’approche des ancêtres reste la référence survalorisée et sa rationalisation est interdite ; la tradition étant donnée une fois pour toutes, la production de la société cesse d’être une priorité, d’autant plus que les ancêtres sont censés avoir tout dit et tout inventé…ce qui aboutit à une fétichisation des pratiques inquestionnées et inquestionnables servies au monde comme données réfractaires à la raison », fin de citation.
En ces phrases, le Professeur Francis Akindès dénonçait, au-delà du débat sur la modernité en Afrique, cette fâcheuse tendance à une fétichisation systématique des acquis, -qu’ils soient culturels, sociaux, politiques ou autre-, observée chez une grande partie des élites africaines et qui leur interdit tout travail d’objectivation, toute remise en cause et pour tout dire toute déconstruction des objets sociaux et politiques. Au Bénin, la Constitution du 11 décembre 1990 et, avant elle, la Conférence nationale de février 1990 ont été si fortement fétichisées qu’elles furent servies au monde comme des données réfractaires à la raison. Toute critique et toute remise en cause, même partielle, sont interdites. Et pourtant, rien ne devrait ni empêcher, ni interdire de questionner la conférence nationale puisque rien n’autorise à penser, pour paraphraser le Professeur Francis Akindès, que les participants à cette conférence nationale aient tout dit et tout inventé et que dès lors, il n’y aurait plus aucun autre contenu démocratique possible en dehors de ce qu’ils ont dit. Le propre de l’intellect n’est-il pas d’explorer le monde des possibles et de construire puis de déconstruire tous les objets qui s’offrent à lui ?
Aujourd’hui, le régime en place au Bénin est accusé, à tort ou à raison, de détricoter les acquis de la conférence nationale au point d’instaurer une dictature, voire une autocratie dirigée par « une bande de criminels qui a fait main basse sur son économie et ses richesses ». Cette critique est souvent tenue par les acteurs politiques de l’opposition parfois relayés par quelques intellectuels : pour eux, le Bénin n’est plus en démocratie. A moins de considérer ces critiques comme étant purement politiques et politiciennes, elles posent néanmoins deux principales questions de fond, la première la Conférence nationale est-elle une donnée ahistorique, autrement dit, ses décisions et ses recommandations n’avaient-elles pas été conçues pour régler les problèmes d’une société à un moment donné et la seconde à partir de quel moment peut-on dire qu’un pays cesse d’être en démocratie ? Est-ce quand une liberté est purement et simplement supprimée ou déjà à partir du moment où les conditions d’exercice et de jouissance de cette liberté sont renforcées ? Ou encore est-ce à partir du moment où la force publique fait respecter la loi ou plutôt quand elle ne la fait pas respecter et laisse s’installer le désordre et l’anarchie par sa violation permanente ? Ou encore, est-ce parce que certaines décisions de la Cour constitutionnelle sont critiquables et critiquées, contestables et contestées ? Ou encore est-ce parce qu’il y a de la violence dans une société qu’elle cesse d’être démocratique ?
Ces deux questions principales tendent à montrer que le débat politique actuel au Bénin décrit un grand malentendu entre, d’une part, ceux qui commémorent la conférence nationale au-delà de ce qu’elle est et devrait être et, d’autre part, ceux qui commémorent le Renouveau démocratique, les premiers défendant vaille que vaille les « acquis de la conférence nationale » à laquelle ils font jouer un rôle qui n’est pas et qui n’a jamais été le sien (I) et les seconds défendant un droit mais aussi un devoir légitimes à corriger, ni plus ni moins, les excès et les déviances du parcours démocratique de ces trente dernières années, (II) sans doute par des mesures qui mériteraient, elles-mêmes d’être objectivées (III).
I / Le grand malentendu
Le grand malentendu réside, pour l’essentiel dans la confusion entretenue entre la conférence nationale et le processus de démocratisation. En effet, la conférence nationale est l’évènement qui marque la fin de la période de la Révolution marxiste-léniniste débutée en 1972. Elle doit être rangée dans le même registre que les Traités de paix marquant la fin des guerres. La conférence nationale de Février 1990 n’a pas mis fin à une guerre ; elle fut un remède pour résoudre les deux principaux maux dont souffrait le pays à la fin de 1989 à savoir la crise économique (la faillite économique de l’Etat qui avait atteint son paroxysme avec l’incapacité de l’Etat à payer ses fonctionnaires, la faillite du système bancaire) et la crise politique, celle de la violation massive des droits de l’homme symbolisée par Sègbana, le goulag béninois où furent torturés et exterminés de nombreux citoyens que représente aujourd’hui tristement Me Baparapé, l’un des tous derniers survivants. En tant que telle, elle est une fête mémorielle avec toute la charge symbolique et émotionnelle qu’elle comporte et dont la commémoration a pour finalité de se remémorer les raisons profondes pour lesquelles les évènements douloureux ont eu lieu et se dire collectivement « plus jamais ça » ! Dans le cas du Bénin, la commémoration de la Conférence nationale devrait donner l’occasion de réfléchir collectivement sur les raisons pour lesquelles le Bénin avait pu se laisser aller collectivement à cette Révolution barbare qui l’a vidé de toutes ses forces vives, transformé son territoire en un immense champ de violation massive des droits de l’homme et conduit son Etat en faillite caractérisée et se dire tous tout haut « plus jamais ça ».
Et comme tout Traité de paix, outre qu’elle clôture la guerre, il pose les jalons d’une ère nouvelle, d’une société nouvelle que l’on espère toujours meilleure, et en tous les cas, différente de la société que l’on quitte. En 1990 entre la faillite de la Révolution, l’effondrement du bloc de l’Est et ce que le Professeur Zaki Laidi appelait si bien « la réduction du marché idéologique mondial », le choix de la démocratie s’imposait presque naturellement aux acteurs politiques Béninois du moment et conséquemment aux participants à la conférence nationale, comme la meilleure des sociétés à construire. C’est pourquoi la conférence nationale a débouché sur une période transitoire d’un an qui devrait préparer l’entrée du pays, dès 1991, dans une société démocratique libérale appelée l’ère du Renouveau démocratique et qui court de 1991 à nos jours. 1990 fut donc la fin d’une ère, celle de la Révolution militaro-marxiste-léniniste et 1991 fut le début d’une nouvelle ère, celle du Renouveau démocratique. Entre les deux, il y a eu une période transitoire d’un an durant laquelle furent conçus et adoptés l’essentiel des textes fondateurs de l’ère du Renouveau démocratique. C’est donc la transition qui a transmis le relais de la Révolution à la démocratie. Dans ces conditions, la conférence nationale du Bénin peut-elle être placée sur le même pied d’égalité que ce que fut la Convention de Philadelphie (25 mai-17 septembre 1787) dans l’histoire des Etats-Unis comme le suggèrent certains ? Assurément pas ! Fut-elle une « refondation collective » comme le soutient le Professeur Paulin Hountondji ? Peut-être ! Toujours est-il qu’il y a aujourd’hui au Bénin certains qui célèbrent le trentième anniversaire de la conférence nationale qui reste et demeure une fête mémorielle, statique et figée dans le marbre et d’autres qui célèbrent le vingt-neuvième anniversaire du Renouveau démocratique qui lui, est dynamique en ceci qu’il s’appesantit davantage sur l’état en perpétuel mouvement de la société et de sa démocratie. Tel est le malentendu qui divise aujourd’hui la classe politique du Bénin et certains intellectuels et qui gagnerait à être levé dans l’intérêt même de la société car commémorer le Renouveau démocratique obligerait à la critique féconde du processus en cours et de son bilan.
II / Esquisse de bilan de trente ans de démocratie
L’intérêt d’une esquisse du bilan des vingt-neuf dernières années du parcours démocratique du Bénin est de resituer le débat politique actuel. En effet, c’est sur le plan institutionnel et celui des droits de l’homme que le bilan des vingt-neuf années de démocratisation est le plus élogieux. En effet, sur le plan institutionnel, toutes les Institutions constitutionnelles ont régulièrement fonctionné offrant parfois de belles scènes d’alternance qui les honorent, qu’il s’agisse de l’Exécutif, du Législatif, du Judiciaire, de la Cour Constitutionnelle, de la HAAC, du CES ou de la Haute Cour de Justice. De même, les droits de l’homme sont globalement respectés, malgré quelques violations à la marge, vite et violemment dénoncées puis très rapidement sanctionnées par les Institutions et les juridictions en charge de leur respect et de leur promotion. Ils sont même désormais considérés comme faisant partie intégrante de la culture démocratique du Béninois. Une très belle architecture institutionnelle et juridictionnelle qui se rattache à la Cour constitutionnelle fait la fierté et la réputation du Bénin aux yeux du monde. L’abondante production des décisions de la Cour constitutionnelle est religieusement scrutée par la communauté universitaire en Afrique, en Europe et ailleurs au point de devenir l’étalon de mesure de la santé démocratique du Bénin. Même lorsqu’elle réécrit l’histoire, dit des inexactitudes, voire même se mêle de ce qui ne la regarde pas, elle est applaudie et qualifiée d’audacieuse. En réalité, ce ne sont là que les arbres qui cachent la forêt car sur le plan économique par exemple, le bilan n’est pas à la hauteur des enjeux au point même de faire le lit des critiques antidémocratiques les plus violentes.
En effet, la démocratie béninoise n’a pas vraiment profité à l’économie béninoise comme le génocide puis la dictature rwandais ont profité à l’économie rwandaise. La conditionnalité démocratique décrétée en 1990 par les Institutions internationales et les pays anciennement démocratiques fut un échec. L’économie béninoise aujourd’hui n’est pas forcément plus performante que celle du Rwanda, du Togo, du Cameroun ou d’ailleurs du fait de sa démocratie. Pour autant, cela n’autorise pas à opposer la démocratie au développement au point de laisser dire qu’il faut cesser de faire de la démocratie pour faire un peu de développement. Ce n’est pas parce que l’on est en démocratie qu’on ne se développe pas, pas plus d’ailleurs que ce n’est pas parce que l’on est en dictature que l’on se développe. Entre la démocratie et la dictature le développement est toujours possible sauf que le coût humain est moindre dans la démocratie tandis qu’il est excessivement élevé pour ne pas dire inestimable en dictature.
C’est sur le plan politique que le bilan est franchement plus décevant. Derrière les apparences d’élections démocratiques organisant les alternances au sommet de l’Etat, c’est une parodie de démocratie qui se construisait autour des principaux vices suivants à savoir une conception péjorative de l’Etat, un système partisan composé de partis politiques extrêmement faibles, une banalisation dangereuse de la fraude institutionnelle et enfin la mal gouvernance ainsi que le rôle de l’argent en politique. En ce qui concerne la conception péjorative de l’Etat, elle a été construite puis disséminée malicieusement par les élites au sein de l’opinion au point où aujourd’hui, pour plus de 95% des Béninois, l’Etat n’est qu’un immense gâteau à parts multiples et infinies auquel il faut absolument accéder au moins une fois dans sa vie pour prendre sa part. Dès lors, les citoyens, aussi bien les gouvernés que les gouvernants développent à son égard des comportements de prédateurs : la corruption, le vol, le pillage et le détournement des deniers publics sont prétendument érigés en vertus et surtout en modes de redistribution équitable de la richesse nationale. Le symbole de la corruption des élites politiques de ces dernières années est, sans conteste, la construction inachevée, à l’entrée de la ville de Porto-Novo, du siège de l’Assemblée nationale, le lieu où est censée se battre le cœur de la démocratie béninoise.
En ce qui concerne la faiblesse structurelle du système partisan, il réside, non pas dans la multitude des partis existants (un peu plus de trois cent cinquante disait-on) mais bien plutôt dans leur incapacité chronique, d’une part, à conquérir le pouvoir d’Etat, à le gérer et à le conserver et, d’autre part, à être de véritables Institutions démocratiques pourvoyeuses de cadres de qualité. En effet, depuis les premières élections démocratiques de 1991, aucun parti politique n’a pu hisser son candidat à la Magistrature suprême. Pour être Président de la République au Bénin, il vaut mieux être un candidat indépendant. Quand le Président Soglo a été élu en 1991, il n’avait pas de parti politique ; quand il a eu la mauvaise idée, en 1992 de laisser son épouse créer la Rb qui se réclamait de lui, il a été battu successivement en 1996 et en 2001. Par contre Kérékou qui a été élu respectivement en 1996 et en 2001, n’était pas chef de parti. Il en a été de même de Yayi Boni élu en 2006 puis réélu en 2011 et depuis 2018 qu’il a eu la mauvaise idée de créer les FCBE en tant que parti unifié, ses ennuis ont commencé. En 2016, Patrice Talon aussi n’était pas non plus chef de parti. Il a même réussi l’exploit de se faire élire contre tous les partis significatifs du pays. A contrario, Albert Tévoédjré à la tête de son parti « Notre Cause Commune » (NCC), Bruno Amoussou à la tête du Parti Social-Démocrate (PSD) ou encore Adrien Houngbédji à la tête du Parti du Renouveau Démocratique (PRD) n’ont jamais réussi à se faire élire Président de la République : il s’agit là d’une spécificité négative du système partisan du Bénin. Mais s’il en fut toujours ainsi, c’est parce que les partis politiques béninois étaient faibles. C’est aussi parce qu’ils ne furent jamais de véritables partis politiques, entendus comme des associations d’hommes et de femmes qui se réunissent autour d’un corpus d’idées et dont la finalité est la conquête, la gestion et la conservation du pouvoir politique. Ils n’ont jamais été que des entreprises personnelles à caractère politique dont la finalité est de contrôler une partie du corps électoral afin de prendre part à la gestion du pouvoir politique et espérer ainsi prendre sa part du gâteau. C’est pourquoi, dans les partis politiques béninois, le Président est un président à vie ; il ne change jamais. Ainsi par exemple, depuis plus de trois décennies, le PRD n’a jamais changé de président ; c’est toujours Me Adrien Houngbédji. Le Madep aussi n’a jamais changé de Président ; c’est toujours Mr Séfou Fagbohoun. Lorsque la RB a daigné changer, ce fut au profit du fils du couple présidentiel. Il en est de même du Psd ; lorsque le Président Amoussou Bruno a daigné passer la main à Mr Emmanuel Golou, c’est pour aussitôt lui mettre les bâtons dans les roues et la procédure judiciaire actuellement en cours en dit long sur son état d’esprit. C’est aussi pourquoi ils sont caractérisés par un fonctionnement non démocratique, la remise en cause, voire la critique du Président fondateur étant considérée comme un crime de lèse-Majesté. De même, ces partis politiques ne se préoccupent pas du tout, ni de la formation systématique de leurs militants et encore moins du travail idéologique et programmatique. S’il est à noter que les candidats à l’élection présidentielle font, tous, un effort pour esquisser un programme, même si c’est seulement après l’élection que tous les Présidents conçoivent et rédigent leur Programme d’action du gouvernement, il est également à noter, pour le regretter qu’aucun parti ni alliance de partis n’a jamais présenté, depuis 1991 à nos jours, un « programme de législature » à l’occasion d’une campagne pour les législatives.
En ce qui concerne la banalisation de la fraude institutionnelle, il est désormais acquis dans l’esprit de l’immense majorité des Béninois, qu’une élection se gagne d’abord et avant tout dans les Institutions en charge de l’organisation des élections (la Commission électorale nationale autonome : Cena) et du contentieux électoral (la cour constitutionnelle pour les élections nationales et la Cour suprême pour les élections locales). C’est ainsi que pour beaucoup, à tort ou à raison, aucun Président de la République n’a été régulièrement élu depuis 1991. Le Président Nicéphore D. Soglo n’aurait jamais été élu en 1991. C’est Kérékou qui aurait été élu mais le Premier Ministre de transition, Nicéphore D. Soglo aurait entrepris de modifier les résultats du vote pour se faire élire Premier président de la République de l’ère du Renouveau démocratique. Cela aurait d’ailleurs été la raison principale pour laquelle la Cena a été créée pour dessaisir le Ministère de l’Intérieur jugé trop inféodé au pouvoir politique. En 1996, le Président Kérékou n’aurait pas été élu. C’est le Président Soglo qui aurait été élu sur la base de résultats économiques appréciés de tous mais les élites politiques ont entrepris de se liguer pour le faire partir. Lui-même y voit la main invisible de la « Françafrique ». Plus de trois cent cinquante mille bulletins de vote ont été invalidés, correspondant au plus du cinquième de corps électoral sans que l’élection n’ait été reprise, ne serait-ce que de façon partielle. En 2001, les résultats du premier tour étaient tellement invraisemblables que les candidats venus deuxième (Nicéphore D. Soglo) et troisième (Adrien Houngbédji) ont décidé de boycotter le second tour. C’est alors que le candidat arrivé quatrième, Bruno Amoussou, accepta d’aller au second tour, selon ses mots, « en match amical pour sauver la démocratie ». En 2006, alors que tout semblait accréditer la thèse de la première élection présidentielle crédible de l’ère du Renouveau démocratique, c’est le Président Boni Yayi lui-même qui écrivit en 2010 que « depuis 1991, toutes les élections ont été émaillées de fraudes » ; ce fut à l’occasion du mémoire qu’il adressa à la Cour constitutionnelle pour défendre sa position dans le cadre du recours contre la loi abrogeant la Liste électorale permanente informatisée (Lépi). En 2011, le K.O. du second mandat a fini de convaincre les Béninois de la place prépondérante de la fraude institutionnelle dans les élections béninoises. Il faudra attendre le recul de l’histoire pour savoir si l’élection de 2016 fut crédible mais déjà des sirènes s’élèvent pour faire accroire que le candidat Sébastien Germain Ajavon arrivé officiellement troisième du scrutin serait en réalité arrivé deuxième. Et enfin, à l’occasion de la crise électorale d’Avril 2019, de nombreux acteurs politiques (majeurs comme mineurs), ont regretté que le Président Talon n’ait pas facilité la participation de tous les partis à ces élections quitte à s’appuyer sur les « Institutions à sa solde » pour réajuster les résultats en sa faveur et au besoin à en « débaucher » quelques-uns pour constituer sa majorité. Au total, les fraudes institutionnelles ont toujours été présentes dans les élections au Bénin, qu’il s’agisse des élections présidentielles, législatives, communales, municipales et locales bien souvent pour modifier et corriger à la marge et parfois de façon substantielle, l’expression populaire.
En ce qui concerne la mal gouvernance, le bilan est tout aussi catastrophique. Ce que le citoyen lambda ne perçoit pas, c’est le chantage auquel les députés soumettent les Chefs d’Etat. En effet, vu que depuis 1991, tous les Chefs d’Etat élus ont été des candidats indépendants et que tous les députés, eux, sont toujours élus sur des listes de partis ou d’alliances de partis le Chef de l’Etat élu n’a jamais eu de majorité à l’Assemblée nationale. Il se retrouve dans une situation de cohabitation institutionnelle qui complique sa gestion. C’est pour éviter ou limiter les effets pervers de cette cohabitation que le Président de la République se voit contraint « d’acheter » des députés ou encore de s’impliquer plus que de raison dans la campagne pour les élections législatives suivant immédiatement son élection. La foire aux achats des députés qui suit les élections présidentielles et législatives en vue de constituer de nouvelles majorités s’appelle, pour les plus sympathiques « la recomposition du paysage politique » et pour les plus sévères la « transhumance ». Elle s’évalue à plusieurs milliards de nos francs et présente trois conséquences majeures à savoir, la première que plus de 80% des députés béninois sont ou deviennent des opérateurs économiques et les 20% restants sont des parrains d’opérateurs économiques. Et quand le Président de la République s’implique plus que de raison dans la campagne pour les élections législatives qui suivent son élection, c’est pour tenter d’avoir des députés qu’il a contribué à faire élire et qui lui sont redevables et ainsi, desserrer un tant soit peu l’étau d’une Assemblée nationale hostile sur sa gestion. La deuxième, c’est que, pour voter des lois importantes à l’Assemblée nationale, il faut que le Chef de l’Etat paie les députés de sorte que pour ne l’avoir pas fait, de nombreux projets de loi de ratification de conventions de prêt sont encore en souffrance à l’Assemblée nationale depuis plusieurs législatures. La troisième enfin c’est la systémisation de l’achat des consciences aussi bien des grands électeurs qui se négocient à plusieurs centaines de millions de FCFA que des électeurs ordinaires qui, eux, se négocient entre 50 et 10.000FCFA en fonction des zones de résidence.
Ce bilan, aussi sommaire soit-il, que tout le monde ne voit pas et encore plus les organismes étrangers qui évaluent au quotidien cette démocratie ou que certains se refusent volontairement et obstinément à voir n’est pas l’héritage du régime actuel, loin s’en faut ; c’est celui de la pratique de l’ensemble de la classe politique durant ces vingt-sept premières années du parcours démocratique du Bénin. Il ne peut faire la fierté de personne, ni d’aucun Béninois et encore moins d’aucun étranger qui prendrait le Bénin en modèle. Et c’est pourtant cette démocratie qui est servie au monde comme le modèle démocratique à préserver à tout prix.
III / Des réformes à objectiver
C’est donc peu dire que d’affirmer que le Bénin est devenu l’otage de sa propre démocratie car toutes les fois qu’un régime a tenté de corriger ces déviances, , il est accusé de vouloir remettre en cause la démocratie ; ce fut le cas sous le second mandat du Président Yayi et c’est également le cas aujourd’hui du Président Patrice Talon. La conférence nationale ne pouvait prévoir ces dérives ni avoir prise sur elles. Il revient donc aux contemporains de les évaluer et de les corriger au besoin. Ceci est tellement vrai que depuis au moins quinze ans, l’immense majorité des Béninois en est arrivée à exprimer un profond désir de changer les choses. En 2006, ils ont massivement soutenu le « changement » prôné par Boni Yayi autour du slogan « ça peut changer ; ça doit changer ; ça va changer ». Après le changement de 2006, il y a eu « la refondation » de 2011 pendant que d’autres prônaient la « Rectification ». En 2016, certains ont prôné la « rupture » pendant que d’autres prônaient « le nouveau départ ». Tout le monde avait confusément conscience que les choses ne pouvaient plus continuer ainsi mais personne ne savait dire exactement ni quand, ni comment et encore moins ni par où ni par qui elles devaient changer. Le Président Matthieu Kérékou avait juste prévenu : « si vous êtes prêts, je suis prêt ». Et si le Bénin est en fait à l’heure du changement et que c’est à travers ce prisme d’analyse qu’il faut évaluer les dix offres essentielles qui ressortent des réformes politiques engagées par l’actuel gouvernement à savoir :
- La mesure qui durcit les conditions de création des partis politiques (voir la Charte des partis).
- Les cinq mesures qui renforcent le rôle des partis politiques à savoir : l’interdiction des candidatures indépendantes (exclusivité réservée aux partis politiques) ; le parrainage des élus pour être candidat à l’élection présidentielle ; le seuil d’éligibilité au partage des sièges fixé à 10% aussi bien pour les législatives que pour les communales ; l’organisation des élections générales et l’inversion du calendrier électoral avec l’organisation des législatives (deuxième dimanche de janvier) avant la présidentielle (deuxième dimanche d’avril).
- Les deux mesures qui renforcent les capacités des partis politiques à savoir le financement des partis politiques et le statut de l’opposition.
- Les deux mesures de limitation de mandat à savoir la limitation des mandats législatifs ainsi que la sacralisation de la limitation du mandat présidentiel.
En effet, ces mesures méritent d’être discutées en toute objectivité et sans a priori et surtout pas à travers les prismes stériles de la politique politicienne afin de pouvoir dire si elles vont dans la bonne direction ou si elles vont dans la mauvaise direction. C’est une obligation morale que de faire ce travail intellectuel hors de toute considération politicienne, la question étant de savoir s’il n’y a rien de positif dans toutes ces mesures. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’aucune démocratie ne peut s’accommoder durablement d’un système partisan défaillant et aussi structurellement faible que celui du Bénin. Revivifier le système politique béninois était devenu un impératif et une nécessité de survie dont les retombées sur tous les autres domaines ne peuvent qu’être positives. Cette démarche devrait être la même en ce qui concerne les réformes économiques, notamment en ce qui concerne la lutte contre la corruption.