Près de quatre mois que la maladie à coronavirus (Covid-19) maintient la communauté internationale en alerte. Sa célérité de propagation et ses ravages dramatiques en Afrique inquiètent les responsables civils et religieux qui renforcent les mesures de prévention suivant la montée des statistiques. Églises fermées, cordon sanitaire autour de huit communes, suspension de la vente de chloroquine, la foi et le civisme se complètent pour endiguer la pandémie.
► Une tension sanitaire inédite pour l’humanité
HU GUOLIN/Featurechina Photo Service/MAXPPP –
Chassés de l’espace public ordinaire, nous voilà contraints d’inventer de nouvelles formes de sociabilité à distance les uns des autres et relégués à la « maisonnée », “l’oïkos”, l’espace privé comme la seule arme efficace contre la progression inexorable de l’ennemi invisible : le Covid-19.
La pandémie n’épargne plus aucun continent, aucun peuple même si les territoires et les populations demeurent inégalement touchés. Quoi qu’il en soit, la tension sanitaire est partout présente, de Dakar à Cotonou, de Paris à Johannesburg, de New York à Londres et personne ne sait quand on en sortira, même s’il faut souhaiter que cette infection virale sera finalement maîtrisée. Pour nous protéger, la parole se raréfie et nous évitons les discussions en face à face. Mais les interrogations sont nombreuses et résonnent sur les médias et les réseaux sociaux, témoignant d’une inquiétude grandissante. D’une stupeur aussi face à ce fléau qui crée la panique à travers le monde. Au niveau individuel, communautaire aussi, même si les rassemblements sont proscrits, les uns et les autres sont saisis d’une impalpable impuissance et une angoisse existentielle, qui par la croyance et/ou la réflexion, qui par la culture et/ou la science, qui par la religion et/ou la politique. Et c’est tant mieux, car les ressorts de la vie sont au cœur de chacun de nous, avec le bienveillant soutien de tous les soignants d’une témérité exemplaire qui s’attèlent à lutter contre ce mal viral aussi invasif que produit d’une déliquescence environnementale par manque de prévoyance sanitaire.
La tension sanitaire inédite que nous vivons présentement révèle le paradoxe axiologique de notre modèle de société. Les économies faites aux dépens de la santé- un leitmotiv de la rigueur budgétaire…- ont été consubstantielles de la formidable évolution technologique de nos sociétés marchandes et consuméristes. Il fallait faire des économies à tout prix au prétexte que même la santé a un coût ! Moins d’humain et plus de technique, moins d’écoute et plus de virtuel, la relation médecin-malade réifiée à des diagnostics informatiques, les hôpitaux réduits à quémander des subventions pour maintenir une disette sanitaire.
Et plus grave encore, dans l’économie triomphante contemporaine, les secteurs en recherche et développement les plus valorisés concernent les domaines de l’armement et du spatial, les technologies liées à la communication et la virtualité des moyens de production. Dès lors, comment s’étonner de la vigueur mortifère de cette crise à une époque où un drone peut éliminer un humain avec une précision chirurgicale et où des Gafam (Gafam : Google – Apple – Facebook – Amazon – Microsoft ), nous promettent l’immortalité alors qu’on n’a pas d’autre choix que de confiner des populations pour éviter la propagation d’un virus mutant.
Repenser la mondialisation
La science et la recherche, soutenues par le civisme citoyen et l’inextinguible pulsion de vie, viendront à bout de cette pandémie. Il nous faudra alors constater le temps perdu, les personnes disparues, le malaise accru partout dans le monde. Le moment est peut-être venu de repenser la mondialisation à travers ses dogmes idéologiques-mutants eux aussi- d’une économie de marché croyant avoir réponse à tout. Et prendre en considération cette chose aussi simple qu’évidente : la question sociale et environnementale doit primer sur l’économie marchande. C’est vrai pour l’Europe, comme pour le reste du monde, des États-Unis à la Chine en passant par l’Afrique dont je trouve désormais justifiée, pour une part, la résistance à ce modèle de développement européen. La recherche et le développement doivent être réorientés à des fins plus humaines, plus sociales, plus environnementales, plus solidaires. Cette transformation indispensable n’est inscrite dans le corpus économique d’aucune idéologie, pas même au sein du libéralisme issu des Lumières, qui garde son acuité politique sans être omniscient ni omnipotent.
Et à un niveau plus subjectif, il faut désormais rappeler avec François Jullien que : « Vivre, c’est ne cesser de s’opposer à ce qui s’oppose à la vie. ». Comme j’aimerais que de cette crise jaillisse quelque chose de neuf pour l’humanité.
Père Serge GOUGBÈMON Philosophe
► Suspension des messes : intensifier les prières en famille
Le jeudi 19 mars 2020, la Conférence épiscopale du Bénin a décidé de la suspension des messes jusqu’à nouvel ordre. Face à la propagation du Covid-19 dans le monde entier, le Bénin n’est pas le premier pays à prendre cette mesure. Pour la plupart des fidèles catholiques, c’est une importante décision qui intervient à un moment crucial.
Vendredi 20 mars 2020, paroisse Saint Michel de Cotonou. À l’entrée de l’église, les fidèles discutent avec les marguillers l’accès à la messe matinale. Ce qui était malheureusement impossible puisque la disposition de 50 places assises et l’espacement d’un mètre étaient strictement respectés. Le père Placide Houessinon, curé de la paroisse Saint Michel, a été bien obligé de faire preuve de diplomatie afin de contenir l’ardeur des paroissiens, décidés à participer à la Sainte Eucharistie, bien que les évêques aient pris la décision de suspendre les messes publiques à partir du samedi 21 mars 2020. Ayant appris la nouvelle, une fidèle appelle d’urgence la Rédaction du journal La Croix du Bénin pour en avoir le cœur net. La voix haletante, la personne au bout du fil déclare : « Le Coronavirus ne peut pas nous ôter notre caractère de peuple profondément religieux. Je croise les doigts et je continue le combat avec le Seigneur en famille. Merci ! ».
Les portes closes
Toute la journée du vendredi 20 mars 2020, les discussions dans les groupes se sont concentrées autour de la suspension des messes par les évêques béninois. Quelques heures après la prise de cette décision, le constat fait sur la plupart des paroisses visitées le samedi 21 et le dimanche 22 mars est le même : les églises étaient hermétiquement fermées. À la paroisse Sainte Rita de Cotonou, à l’heure habituelle de la première messe dominicale, les fidèles non-informés de la situation s’étaient rendus sur les lieux. Mais le curé de la paroisse est venu leur rappeler la décision de la Conférence épiscopale. Chacun est retourné après la séance d’information, nous apprend un responsable de la paroisse. Pour lui, c’est une importante décision prise par les évêques pour contenir le Covid-19 puisqu’il ravage tout sur son passage. À 18h, rendez-vous dominical immanquable des jeunes avec le Seigneur, l’église était vide. Ceux-ci ont pris le pouls de la situation et les dernières évolutions sur le coronavirus pendant la journée. Au sanctuaire, au pied du calvaire et à la grotte mariale, quelques fidèles en dévotion. La cour de l’église qui d’ordinaire grouille de monde est déserte. À la paroisse Saint François d’Assise de Fidjrossè, pas de messe. Même situation à la paroisse Saint Louis de Gbédégbé, à Saint Antoine de Padoue de Zogbo et un peu partout dans l’archidiocèse de Cotonou.
Une décision diversement appréciée
« Je salue les évêques pour cette décision et je prie pour que cela ne dure pas dans le temps », déclare Mathieu Hounton, fidèle de la paroisse Sainte Rita de Cotonou. Ginette, une fidèle de la paroisse Saint Jean-Baptiste de Cotonou, trouve également que c’est une mesure salutaire. « Si les grandes puissances n’arrivent pas à freiner le mal, comment le pourrions-nous ? Avons-nous réellement les moyens pour y arriver ? », s’interroge t-elle. Edgard pense qu’il faut faire davantage. D’après lui, il suffit qu’une personne infectée entre dans le marché Dantokpa pour que le virus se propage chez un grand nombre de personnes. Contre cette décision, Victor, enseignant à la retraite, déclare qu’« au lieu d’accroître les séances de prière pour combattre le virus, on décide de fermer les lieux de culte ». Jérôme Atchadé, technicien et fidèle de la paroisse Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus de Naogon (diocèse d’Abomey) attendait, mieux qu’une décision, un soutien logistique. « Les évêques auraient pu proposer au gouvernement des mesures d’accompagnement telles que les masques dans les maisons et les dispositifs de lavage des mains avec les désinfectants le long des artères et devant les églises », déclare-t-il. Pour Reine Glitho, institutrice à Abomey, « même si c’est sage, la décision prise par les évêques béninois, Dieu reste et demeure le seul vrai médecin des âmes et des corps ». Parralèlement à ces deux réactions, Irénée Zannou, surveillant général du Ceg Ouénou, condamne le temps mis avant que les mesures ne soient appliquées dans les diocèses du Bénin. Du même point de vue, Fidèle B. Noubayé, Technicien supérieur de l’action sociale à Pèrèrè, exprime son satisfecit. Selon lui, même si la suspension bouleverse les habitudes quotidiennes des fidèles catholiques, il urge de suivre avec discipline les mesures prises par le gouvernement ainsi que les recommandations de la Conférence épiscopale du Bénin. « L’Église catholique a su prendre sa part dans la lutte contre le Covid-19 au Bénin », déclare Médard A., fidèle à Parakou, tandis que selon Euloge, la décision des évêques « permettra de nous rassembler et de prier en famille ».
Comfort Sant’Anna & Sidnelle KOUGBLENOU Stagiaire
Encadré
Message de la Conférence épiscopale du Bénin sur les mesures pour endiguer le COVID-19
“De la peste maléfique, délivre-nous Seigneur !”
Il y a quelques jours, la Conférence Épiscopale du Bénin a adressé aux fidèles catholiques un communiqué relatif aux attitudes à observer durant les célébrations eucharistiques afin de nous prémunir contre la pandémie du COVID-19. Elle remercie tous et chacun pour l’accueil favorable qu’a reçu ce communiqué et sa diligente exécution. Avec l’enregistrement des premiers cas d’infection dans notre pays et suite aux mesures prises par le Gouvernement, le mardi 17 mars 2020, les Évêques du Bénin recommandent ce qui suit :
1- Suivre rigoureusement les mesures de prévention annoncées par le Gouvernement. En effet, une quelconque négligence à cette phase où peu de cas sont déclarés, peut provoquer l’augmentation exponentielle des cas de contamination dans notre pays.
2- Privilégier davantage le sacrifice, le jeûne et la prière qui plaisent à Dieu. Intensifier la récitation quotidienne du chapelet et vivre le chemin de croix en famille. Dans la foi, garder la sérénité et éviter de céder à la psychose. Certes, il y a un mal mortel qui sévit dans le monde entier. Mais il y a aussi de l’espérance car l’Amour de Dieu pour ses fils que nous sommes est infini. C’est Dieu notre rocher et notre citadelle.
3- Prier et manifester de la solidarité à l’égard de tous ceux qui sont affectés par cette pandémie : les malades et leurs proches, les agents de santé, qui, au péril de leur vie, administrent des soins aux personnes infectées par le COVID-19. Il faut aussi intercéder pour que l’Esprit du Seigneur assiste et inspire les chercheurs afin qu’un remède soit vite trouvé pour l’éradication du COVID-19.
4- Suspendre, à partir du samedi 21 mars 2020, jusqu’à nouvel ordre, les célébrations eucharistiques. Cette disposition s’étend à la catéchèse, aux exercices de piété, aux chemins de croix, aux célébrations pénitentielles collectives, aux rassemblements des associations, des mouvements de spiritualité et d’action catholique. Elle touche aussi les accompagnements spirituels et les confessions individuelles. Par conséquent, l’utilisation des confessionnaux est suspendue et il est demandé aux prêtres d’aménager des lieux clos où le confesseur et le pénitent pourront satisfaire l’exigence de la distance d’un mètre à observer.
5- En cas de force majeure, et au jugement discrétionnaire de l’Évêque diocésain, certaines célébrations eucharistiques pourraient être autorisées avec la participation ou non de fidèles n’excédant pas cinquante personnes. Ainsi, la célébration des obsèques se fera avec la participation très réduite des proches du défunt qui ne dépasseront pas la cinquantaine et respecteront la distance d’un mètre requise au cours de la célébration. Quant aux mariages, s’ils ne sont pas très urgents, il est souhaitable qu’ils soient reportés ou à la rigueur célébrés avec une participation réduite de cinquante personnes au plus, y compris la chorale. Ici également, il s’avère nécessaire d’observer la distance d’un mètre exigée.
Tout en réitérant leur appel à la vigilance et à l’observation scrupuleuses des mesures d’hygiène et de prévention contre la pandémie du COVID-19, les Évêques du Bénin implorent sur les fils et les filles du Bénin l’abondance des grâces divines. Que Dieu bénisse et protège notre pays, le Bénin.
Fait à Cotonou, le 19 mars 2020, en la solennité de Saint Joseph.
► Affronter le virus de la meilleure façon
La pandémie de la maladie à coronavirus peut être endiguée dans la mesure où chaque citoyen observe strictement les attitudes recommandées par les structures sanitaires nationales, internationales et ecclésiales. Messages, lettres circulaires, communiqués et séances de désinfection foisonnent de conseils-santé et de précautions à l’endroit des citoyens au Bénin, invités à se conformer aux mesures restrictives.
Se laver les mains (avant et après chaque repas) avec de l’eau et du savon. Cette phrase de la leçon récitée à tue-tête par le petit Jean, 8 ans, après une classe, se révèle aujourd’hui comme le remède le plus efficace à reprendre chaque instant pour se mettre à l’abri du coronavirus. C’est dans cette optique que le lundi 23 mars 2020, Docteure Débora Hounkpè a organisé une séance de formation et d’information à l’endroit des étudiants, avec la désinfection de la salle de cours à l’Université d’Abomey-Calavi. Il « s’agit d’inviter chaque Béninois qui qu’il soit, à ce geste avec sérieux en pensant au bien-être de l’autre en ce temps de rude épreuve sanitaire mondiale », a déclaré Dr Hounkpè. Une initiative salutaire dans le contexte où le point fait par le comité gouvernemental de suivi révèle trois nouveaux cas dont un élève, portant ainsi le nombre à cinq. À défaut de procéder au confinement du territoire national, le gouvernement béninois établit « un cordon sanitaire autour des communes les plus exposées à la pandémie que sont Cotonou, Abomey-Calavi, Allada, Ouidah, Sèmè-Podji, Porto-Novo, Apkro-Missérété et Adjarra », à compter du lundi 30 mars 2020. Dans le secteur de la santé, la polémique autour de la chloroquine, ce vieil antipaludéen annoncé comme prometteur contre le Covid-19, n’en finit plus d’enfler. Alors que les données sont encore limitées, le directeur général de l’agence béninoise de régulation pharmaceutique, Dr Yossounon Chabi, suspend la cession d’Azithromycine et d’Hydrocychloroquine et demande aux officines de lui faire parvenir, « sans délai », le point des stocks disponibles. Prenant la mesure de la grogne populaire, le Gouvernement a décidé d’envoyer précocement les écoliers, élèves et étudiants en congé de Pâques, le 30 mars 2020. À l’Université d’Abomey-Calavi, les responsables d’étudiants ont toutefois dénoncé la poursuite des cours dans les amphithéâtres en contradiction avec une circulaire du recteur interdisant le regroupement de plus de 50 personnes. Le mardi 24 mars 2020, des étudiants barricadent momentanément la route inter-État Cotonou-Abomey pour exiger la libération des responsables interpellés par la Police républicaine. Au cours de la protestation, un étudiant perd la vie. Les responsables de la Fédération nationale des étudiants du Bénin et certains partis demandent que le Gouvernement prenne des mesures disciplinaires à l’endroit des forces de l’ordre. Aucune vie ne doit plus être arrachée de cette façon-là dans notre pays.