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Art et Culture

Dans l’antichambre d’un fétiche pas comme pas les autres: Le bonheur à 15 F avec les Abikou…

Publié le vendredi 27 mars 2020  |  La Nation
Le
© aCotonou.com par DR
Le rituel Abikou au Bénin
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Par Josué F. MEHOUENOU,

Il faut écouter les adeptes et dignitaires du fétiche Abikou pour comprendre combien heureux sont-ils d’être sous la coupole de cette entité. Ils n’en disent que du bien et ne manquent la moindre occasion pour vanter ses prouesses. Surtout que ce bonheur, ils l’ont à peu de chose près.


Richard Plagbéto est le président de l’Association des tradi-praticiens de la commune d’Agbangnizoun. A cette casquette que ses pairs, garants de la tradition, lui ont confiée au regard de ses performances, s’ajoute celle d’un dévoué aux Abikou. Il en est un grand dignitaire. Un dignitaire aux allures particulières dont le cheminement diffère de la plupart de ses congénères. Ses aptitudes, Richard les tient, non pas d’un guide ou d’un initiateur comme c’est souvent le cas. Il a acquis ses dons par l’entremise d’un inconnu que la providence a mis sur son chemin. C’est sans doute ce qui fait sa particularité et lui vaut de vouer aux Abikou, une soumission sans pareille. C’est toujours au nom de cette réalité qu’il évite de passer outre les exigences de son fétiche qui aime la simplicité, l’amour et le bonheur. De tels pouvoirs, il pouvait s’en vanter, et se bomber le torse d’être logé à une enseigne particulière dans le cercle des Vodounon, mais non.
« Avec le Abikou, tout est différent. Beaucoup disent de moi que je suis un sorcier, en raison de mes prédictions, mais il n’en est rien. Je me borne juste à suivre les exigences et interdits de mon fétiche. Rien de plus », précise le dignitaire. En raison des avantages qu’on y tire, beaucoup pourraient penser qu’il faut mobiliser d’énormes moyens pour en jouir. Erreur. Et c’est d’ailleurs là, ce qui fait la particularité du Abikou, nuance Richard. «Déjà, notre manière de faire les offrandes diffère », souligne-t-il. « Je peux aussi vous dire qu’ici, on ne prend pas plus de 10 ou 15 F Cfa comme frais. On ne va pas au-delà », soutient-il. « Il est loisible à la personne de faire après le don qui lui convient, mais cela ne saurait relever d’une exigence», appuie-t-il. Autre avantage avec le Abikou, on peut satisfaire des demandes même à distance, à partir du nom et de la date de naissance du demandeur et là encore, il ne faut débourser que 525 F Cfa.

Une cérémonie de purification pas comme les autres
Chaque année dans la commune d’Agbangnizoun, Richard Plagbéto, alias Dah Amandégbé bo azon yihouè prend les devants de la cérémonie annuelle de purification. Une cérémonie en trois étapes qui, pour le compte de cette année, a drainé un monde important. Adeptes ou non, mais tout au moins bénéficiaires des bienfaits de Abikou, ils viennent de presque toutes les régions du Bénin pour prendre part à ce rituel qui augure pour eux, une année de prospérité. « Le seul fait d’y prendre part est gage de bonheur », assure le dignitaire. Pour ne rien rater du bien-être qui pourrait en résulter, certains adeptes ont effectué le déplacement depuis l’extérieur.
Tout part du Abikouzoun (forêt du Abikou). C’est là que dignitaires et adeptes se donnent rendez-vous pour présenter leurs offrandes et solliciter du Tolègba, une année de prospérité. Enfants, jeunes et adultes y sont massivement présents. Chacun d’eux est concentré à présenter ses doléances. «Pour cette année, je formule des vœux. Je fais mon offrande en conséquence et je te remercie pour la prospérité de mon commerce », telle est la prière d’une dame. Juste derrière elle, un jeune homme, 25 ans environ demande la grâce de la paternité, à quitter la location et un travail plus épanouissant. Travail épanouissant, c’est ce qu’a obtenu Maurice, employé dans une société de téléphonie mobile et pour lequel, il s’est déplacé depuis Parakou. Les demandes s’enchaênent ainsi, multiples et variées et durent une quinzaine de minutes au bout desquelles les dignitaires prennent le relais.
« Nous vous supplions d’éloigner de nous la misère, les vibrations négatives, toutes choses mauvaises », prient-ils. « Nous demandons la grâce, la santé, le bonheur, l’argent, le travail… », enchaînent-ils. Pour la circonstance, les hommes sont habillés pour la plupart en blanc et les femmes, des pagnes blancs noués à la poitrine. A chaque invocation, on peut entendre la foule reprendre en chœur « Kpè Abikou lè ton » entendez, qu’il en soit ainsi au nom des Abikou. Après cette première étape, toute la foule rallie le domicile du dignitaire. Quelques minutes plus tard, pour la seconde étape, ils prennent la route avec un bélier blanc pour une marche d’environ six kilomètres qui échoue au bord d’un ruisseau.
Avant les cérémonies proprement dites, les dignitaires emportent avec eux une jeune fille porteuse d’une calebasse nouée dans un linge blanc et le bélier pour des cérémonies tenues secrètes. Avant leur retour, les adeptes se lavent dans le ruisseau histoire de se purifier de tous leurs torts et péchés. Une fois le bélier ramené, il est à son tour lavé à l’éponge et au savon. Après quoi, il est jeté à l’eau. S’il revient au large, une fois jeté, cela voudra dire que toutes les prières et invocations faites ont été exaucées. Et c’est bien ce qu’a fait la bête à l’occasion, à la satisfaction de tous. Retour une fois encore à la case départ pour la troisième et dernière partie de la cérémonie, le « Agbodozoun ».
Celle-ci consiste pour chaque personne présente à se laver sur le bélier avec une tisane spécialement préparée à cet effet. Parfois, cette phase dure jusqu’à la tombée de la nuit, explique Richard. Ensuite, on consulte le Fâ et chacun en profite pour faire ses vœux de la nouvelle année, ainsi que ses souhaits personnels. A la suite de cette étape, on consulte Abikou pour la suite à donner au bélier. S’il acquiesce, le bélier est immolé. Mais s’il émet des réserves, chacun sort les déchets et objets usagés qu’il a amené de chez lui, on les collecte, on charge le bélier avec et on les jette dans le fleuve Couffo et le tout s’en va. C’en sera ainsi fini pour cet ultime exercice qui consacre aussi la fin des rituels annuels de purification des Abikou.


Un monde d’interdits

Pour jouir du bonheur et des bienfaits que procure Abikou, il faut respecter ses préceptes. « C’est un principe indiscutable», insiste Richard Plagbéto. Autant le fétiche est bienfaiteur, assure la grâce de la maternité et comble les besoins de ses adeptes, autant il est sans pitié quand on transgresse ses lois. Et des lois, il en existe visiblement beaucoup, selon le dignitaire rencontré à Agbangnizoun. Des interdits qu’il ne révélera pas aux non-initiés, comme il est bien souvent de coutume. Mais cela ne l’empêche pas de lever un coin de voile sur quelques-uns. D’après ses explications, Abikou est avant tout un fétiche respectueux de la nature et de ses lois. Il faut donc, si on veut bénéficier de ses bienfaits, bien se comporter en société, soutient-il. « Il interdit foncièrement l’avortement, l’adultère. Il est sans pitié envers ceux qui désirent les femmes d’autrui », révèle-t-il. Autre interdit majeur, il faut s’éloigner de la viande de porc. « Si on ne peut se l’interdire, il faut en faire une consommation très modérée», conseille Richard Plagbéto.
Abikou ne s’accommode pas non plus de ceux qui ont la folie des grandeurs, une envie de baigner dans le luxe et l’extravagance. Si on s’en tient aux explications du dignitaire, si l’on souhaite avoir la protection de cette divinité, il faut opter pour une certaine sobriété. Une exigence sans doute peu anodine, surtout lorsque
Richard Plagbéto insiste pour dire qu’avec elle, on obtient toujours ce que l’on veut, à condition que cela soit possible.
Modeste en fait l’expérience depuis de nombreuses années. 32 ans, enseignant dans un collège public de Cotonou, il est très respectueux des exigences de « son Abikou », confesse-t-il. « Ce n’est pas facile à faire. Il faut un engagement personnel et une forte volonté pour y arriver», confie-t-il. Mais une fois les exigences respectées, le bonheur en retour, est immense, révèle-t-il.


De multiples bienfaits

L’un des pouvoirs majeurs reconnus au fétiche Abikou, c’est celui de la procréation. Richard Plagbéto le confirme si bien. «La plupart des dames que vous voyez là avec leurs bébés au dos sont venues ici chercher la grâce de la maternité et elles l’ont obtenue », lance-t-il. Idem pour la vingtaine de gamins présents à cette cérémonie. Tous ont été obtenus par leurs parents auprès du fétiche. Avant eux, dans chacune de leurs familles, leurs aînés n’ont pas séjourné longtemps sur terre. Pour arrêter la saignée, le recours au fétiche s’est imposé. Offrandes, consultations et cérémonies ont suffi à maintenir les nouveau-nés en vie. Mais avant, il a fallu les marquer par une cicatrice, « le Abikou houè». Cette cicatrice est assimilable à un pacte avec Abikou, afin que plus jamais, ces familles ne perdent plus précocement leurs progénitures, indique-t-il. Une mère de famille, venue sacrifier au rituel de la cérémonie annuelle va en témoigner. Son identité ne sera pas révélée. Elle est en service dans un centre de santé du département du Mono en tant que sage-femme. Trois ans déjà qu’elle ne se fait plus conter cette cérémonie. Le paradoxe avec cette femme qui aide d’autres à donner la vie, c’est qu’elle n’a jamais réussi à procréer. Du moins pas avant sa rencontre avec Richard Plagbéto. Du dignitaire, elle en a entendu parler par une patiente qui depuis la salle d’accouchement ne cessait de proclamer les bienfaits du Abikou pour lui avoir épargné un troisième mort-né de suite. Elle s’enquiert de l’adresse du dignitaire puis, les jours suivants se mit à sa recherche. La rencontre avec Richard a été concluante. Moins de treize mois après ce premier contact, la sage-femme peut tenir fièrement, non pas les bébés qu’elle fait naître, mais le sien. Son premier-né au bout de douze ans de vie conjugale. A la cérémonie annuelle de purification, elle était aux premières loges, dansant de toute son énergie. Et quand vint l’instant du bain, elle s’est jetée la première. Une joie à peine contenue devenue une tradition pour elle chaque année.
Comme elle, bien d’autres ne cachent pas leur enthousiasme. Chacun d’eux a une histoire, un lien, un bonheur et un bienfait qui n’auraient jamais pu se concrétiser si un jour, leur chemin n’avait pas croisé celui de ce fétiche à qui ils vouent un dévouement sans pareil. Autant les adeptes sont reconnaissants, autant Richard le dignitaire l’est aussi. Lui qui, 15 jours auparavant, aurait pu périr dans un accident de circulation à la hauteur de Setto. Mais à trois kilomètres, le véhicule à bord duquel il se trouvait a été arrêté en chemin par une petite panne. Les autres occupants ont poursuivi le chemin après réparation. Mais lui non. Un homme dont il ne savait rien l’a retenu sur les lieux de la panne pour le supplier de lui rendre un service. Les cas sont légion, confesse le dignitaire.
Une générosité de la nature

L’histoire de Richard Plagbéto, alias Dah Amandégbé bo azon yihouè (entendez, la maladie s’incline devant la feuille) est quelque peu surprenante. Mais les témoignages à son sujet à Agbangnizoun sont unanimes. Il n’a pas un parcours comme tous les autres dignitaires. « Son passage s’est fait des bancs vers les feuilles. Il n’a eu ni instructeur ni formateur comme certains et n’a évolué dans aucun couvent». D’où lui viennent alors ses talents de guérisseur hors pair et de garant du Abikou ?
Son histoire remonte à 1977. Alors élève en classe de 4e et tenaillé par la faim après trois jours sans repas, il entreprit d’aller voir l’un de ses frères aînés pour trouver de quoi manger. Une longue marche sans grande force et une traversée d’eau s’imposaient à lui. Dans ce combat pour la survie, il croise, dit-il, au moment de la traversée de l’eau un vieux lépreux aux allures de fou. Celui-ci lui demande de l’aider à assurer la traversée de l’eau avec ses bagages. « J’avais à peine la force de prendre les bagages seul, mais je me suis exécuté ». De retour de son expédition, trois jours après, le même homme l’attendait pour le même exercice. « Cette fois-ci, je me suis spontanément exécuté ». Le service accompli, le vieil homme ne le laisse pas partir et lui demande de le suivre à l’ombre d’un arbre. Le reste de l’histoire est à peine croyable. Toujours est-il que le vieux lépreux lui lègue une pierre blanche, bien d’autres choses et une série de connaissances et de plantes. Les échanges durent des heures, avant que le vieil inconnu ne s’évapore dans la nature. Des « pouvoirs » acquis du vieux, le jeune élève n’en fera rien. « C’est à peine si j’y croyais », révèle-il, du moins jusqu’au jour où il accomplit son premier miracle. « J’étais assis à côté d’un ami à qui on a apporté une boisson empoisonnée. Lui n’en savait rien. Moi je voyais au fond du bol certaines choses que je tente de retirer, mais vainement. Je lui ai donc interdit d’en prendre une seule goutte. Histoire intrigante à laquelle personne ne comprenait rien. Mais je soutenais mordicus qu’il y avait un souci avec cette boisson. L’affaire a fait grand bruit. Mais au bout de 24 heures, le fautif a avoué son forfait et s’en est expliqué. Il voulait écarter de son chemin un rival qui convoitait la même fille que lui ». Ainsi résume-t-il son premier exploit. Sollicité de toutes parts, il a dû repartir vers les enseignements du vieux lépreux et a exécuté, dit-il, toutes les cérémonies que ce dernier lui avait prescrites. Richard Plagbéto venait ainsi de se révéler au grand jour et depuis lors, il se consacre résolument à son Abikou et s’emploie à aider et à sauver tous ceux qui ont recours à lui. « Quand le Abikou, me révèle quelque chose que je prédis, cela se réalise toujours, parfois même avec précision de date ».
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