Que représente encore aujourd’hui le culte des vodoun en terre séculaire du vodoun, le Bénin ? Quels en sont les rituels initiatiques et la pratique face aux exigences de l’ère moderne ?
Emanation de faits et forces de la nature ou incarnation d’ancêtres par un autel, les divinités du panthéon vodoun sont des puissances immatérielles qui forment un ensemble rigoureusement organisé. Elles ont encore de nombreux adeptes de nos jours qui leur vouent toute leur existence.
Il y a des vodoun qui incarnent des forces ou des données de la nature et dont les principaux sont Hêviosso, déité du haut symbolisé par la foudre qui se manifeste pour châtier les contrevenants aux conventions civiles ; Sakpata, déité de la terre qui punit par la variole. Réputé pour sa lutte contre les mauvais esprits, il en existe plusieurs variétés dont Dassa Holou qui loge dans les grottes. Et que dire de vodoun Lôkô, incarné dans l’arbre éponyme… De vodoun Dan, matérialisé par le serpent et symbole de la continuité de la vie en raison de ce qu’il apporte grâce et félicité, selon le praticien Togbé Dansi… ?
Lissa est symbolisé par le caméléon et incarne la création et la procréation; lègba est le symbole même de divinité priapique. Il y a aussi les déités ancestrales, comme Akplo, ancêtres divinisés liés aux clans et lignages, les hennu vodoun comme on dit en fongbé, à l’instar de Siligbô, guerrier et compagnon d’Adjahouto. C’est le cas de Ohwèè ou de Dhikouin, c’est-à-dire le ‘’fossoyeur de clan’’, redoutable vodoun auquel n’adhèrent que ceux qui sont nés dans le patrilignage et initiés à son culte à l’instar de Tchaba. « Si dans votre famille, il y a un parent qui a adhéré à la divinité Tchaba, il intègre le cercle familial toute votre vie », renseigne Albert Sehonou Hounon Hounmambou Apougnon, prêtre en chef d’un couvent à Dogbo dans le Couffo.
Il est question de vodoun du haut, d’eau, de terre, etc. Selon Abdou Serpos Tidjani, ethnologue et spécialiste du sujet, « il n’y a pas une hiérarchie admise par tous, mais chaque localité, voire chaque famille a sa façon de classer les dieux ». Sur ce registre, on a vodoun Aguè qui représente l’homme et dont la particularité reste son incarnation en brousse. Ses adeptes l’identifient à l’initiateur des hommes de pouvoir. Quant à Dahossu et Daa Gnidohouèdo, c’est le vodoun arc-en-ciel, mâle et femelle, déité favorisant la richesse tout comme Dan djênon Tohossou, lui, est associé au bonheur à l’instar de vodoun Aliho qui donne le succès.
Les déités d’eau comme Mami sont associées à la même félicité. Il s’agit d’Apouké, Houègnon, Houéfa, Doudou et beaucoup d’autres comme mama Babé, mami Aicha, mami Ablo…Nous avons aussi les vodoun de la protection et défenseurs des opprimés. Adjakpa matérialisé par un crocodile est un défenseur redouté, et Segbé intervient en protecteur. Idem pour Lissa qui lutte contre les mauvais sorts. Sur ce registre, le plus illustre reste Hêbiosso. Quant à Thron Kpéto Déka, il se fonde sur presque toutes les divinités.
Caractères
Selon les pratiques du culte, les moments choisis pour la dévotion, le type de recrutement des adeptes, les rituels pratiqués, une déité se distingue de l’autre. En ce qui concerne les rituels liés à Sakpata, par exemple, il faut d’abord initier la personne selon les problèmes qu’elle rencontre. Sakpata est féru de pintades, de béliers et de poulets. Les vodoun se distinguent aussi par les cérémonies sacrificielles qui leur sont dédiées : certains peuvent être abreuvés de sang d’animaux, mais pas toujours de même race. Ainsi, un vodoun peut prendre du sang de cabri tandis que l’autre n’accepte que celui de chèvre. Il y en a qui n’intègrent pas du tout l’usage du sang. Une divinité peut agréer l’alcool et l’autre se montre irascible à son propos. Ce qui implique que parmi les divinités, il y en a qui ne peuvent naturellement pas cohabiter.
Chaque divinité a sa couleur et ses interdits. A en croire Hounon Lokovi Kokou exerçant à Lobogo dans le Mono, il faut s’abstenir de faire du mal à autrui lorsqu’on est adepte de Thron, car alors aucune des doléances formulées par l’adepte ne sera exaucée. Aussi, comme interdit, il faut se garder de prendre de l’alcool ou d’avoir des relations sexuelles avant de sacrifier à ses rituels.
La divinité Thron Kpéto Déka Alafia, outre le cola, valide aussi tout sacrifie de cabri et ne boude pas quand on l’asperge de parfum. Réputée pour ses capacités de guérison et pour apporter du bonheur à ses adeptes, le Fâ est central dans son culte. S’appuyant sur plusieurs divinités comme Dan, Hebiosso, Mami et autres, elle s’accommode bien aussi des prières musulmanes. Mais il faut également faire preuve de probité lorsque l’on en est pratiquant : « Lorsque tu es correct avec cette divinité, elle te sera très reconnaissante», avance Hounon Lokovi Kokou, selon qui « Tous les matins, nous faisons la consultation du Fâ pour savoir ce qui s’est passé la veille, sauf lundi et vendredi ». Cette consultation permet de savoir, explique-t-il, si tel fétiche est en courroux, si tel autre a besoin qu’on lui consacre un rituel.
Les adeptes sont liés par le hun, qui signifie en fongbé à la fois le sang dont certaines divinités sont nourries, et secret entretenu du reste dans tout couvent, quelle qu’en soit l’obédience…le hunsi, adepte, est donc l’épouse du secret de la déité vénérée.
Le culte d’un vodoun implique une grande dévotion et à tout le moins une grande célébration annuelle, le hunhwe dahoo. C’est l’avis de Agassa Guèdehounguè, président de la Communauté nationale du culte vodoun du Bénin (Cncvb-Racine). Il a fallu des problèmes, de santé et d’ordre professionnel, pour qu’enfin Albert Sehonou Hounon
Hounmambou Apougnon se plie à ce qu’il qualifie de « son destin », « de la décision de ses ancêtres » qui l’ont choisi pour perpétuer la tradition. Il n’aura pas eu le choix, en définitive car les divinités, ont provoqué des situations de choc pour l’amener à les épouser. Initié au Thron en 2002, puis à d’autres divinités en 2010, son parcours initiatique l’a envoyé à Lomé, au Ghana, puis à Cotonou. Mais étant en fonction, son initiation n’aura duré que trois mois, contrairement à d’autres qui y font des années.
Pièces chorégraphico-musicales
Selon l’ethnologue Rouget, le rituel est « l’art de gérer le temps et l’espace à travers des sons et des gestes tout imprégnés de valeur symbolique ». Les rituels consacrés dans le panthéon vodoun sont pratiquement musicaux. Dans la plupart des couvents vodoun, chants, danses, et paroles sont des composantes essentielles. C’est dire que point de culte vodoun sans musicalité d’où d’ailleurs les liens ténus entre cultuel et culturel. Dans le sérail vodoun, ”musiquer”, c’est faire, selon une formule célèbre. Car tous les rituels sont liés à la production d’une musique vocalisée dont le répertoire est remarquable par sa diversité, étant donné la pluralité des déités. Chants et danses, en soi, constituent des rituels. Il s’agit de chants et rythmiques frappés ainsi de sacrés, car ne devant être ni galvaudés ni utilisés pour des activités ludiques.
Certains sont faits d’une alternance vocale, déclamés, porteurs d’une extraordinaire intensité émotionnelle. Quand bien même, certes, c’est un art, la chorégraphie et l’harmonie, les incantations et prières adressés aux divinités, sont d’une rare qualité musicale. D’où ces chants ne sont-ils radiodiffusés ou utilisés à des fins commerciales. Pour en entendre, il faut être admis dans le sanctuaire vodounxwé ou hunxwé, c’est-à-dire le couvent, ou pénétrer l’enclos du secret, le hunkpamè, autrement dit la demeure des novices. Exemple du Kpèdido gaa, la longue action de grâce prononcée strictement a capella matin et soir, c’est-à-dire par émissions vocales, notamment par les novices de Hêviosso ou de Gou, accompagnée de battements de mains.
Rituel exécuté suivant une rythmique donnée et sans chanter, genoux pliés, poitrine rentrée, tête dirigée vers le sol, pour des invocations. Véritable ascèse musicale faite de clochers, de hochets, de fer, de tambours. Danse chantée ou chant dansé, la musicalité est aussi présente dans le prononcé de l’oraison ou Odè. La transe joue aussi un grand rôle, à travers ce qu’il convient d’appeler le culte de possession caractéristique de certaines divinités, en général celles dites de lignages.
Les danses vodoun, sous les rythmes de tambours en bois ou en poterie, revêtent plusieurs formes. Amples mouvements de bras et de jambes chez certaines vodounsi, dansant en file circulaire, tandis que d’autres évoluent en escadron ou en soliste. Avec en prime, des mouvements d’épaules d’avant en arrière, de même que les bras, tendus ou pliés, et les mains tantôt ouvertes, doigts écartés, parfois serrés, poings fermés, dans une cadence mesurée, sans frénésie…Des pas de danse, mais aussi tout un gestuel des épaules ; des postures chargées de symboles que seuls les initiés peuvent déchiffrer.
Danser pour une vodounsi, c’est l’occasion ou jamais de se distinguer, de montrer ses talents de danseuse et aussi sa dévotion ou la puissance de sa déité. C’est le cas des vodounsi qui miment le geste de la panthère qui attrape sa proie, passant parfois à l’acte avec une poule qui tient lieu de proie, dont elles broient le cou et boivent le sang !
Initiation
L’initiation des yehouéssi, adeptes du vodoun répond à des normes. L’adepte vodoun admis au noviciat, nait de nouveau, hunsi yoyo ou hunsi kpokpo. C’est d’ailleurs une vocation des rituels initiatiques vodoun, à savoir selon la maïeutique, faire naître de nouvelles personnes…L’initiation est une succession de rituels pouvant durer de quelques mois à plusieurs années selon les déités, et qui contraint le novice à la réclusion.
Il y a des rituels à l’entrée en réclusion, pendant et aussi avant la sortie. L’initiation commence par l’apprentissage de la langue secrète, puis l’entrainement aux chants et danses propres au noviciat, aux secrets de culte…
Outre les tabous, us et diverses pratiques liés à la déité épousée, le novice apprend effet au couvent le hungbé, la langue secrète ou langue vodoun. En régime internat, le hunsi yoyo se familiarise avec certains secrets, se livre à de menus travaux et cuisine, apprend, outre les chants, par exemple à tisser ou à faire des nattes…L’apprentissage initiatique dispose également à une grande maitrise de soi, à un rigoureux contrôle de sa personne tout entière…Au terme de la réclusion, les scarifications et autres sont faits puis c’est le grand rituel de sortie comportant plusieurs épisodes et s’étendant sur plusieurs jours, explique Cafui Ahouangassi, grand praticien. Il est sanctionné par la proclamation du nouveau nom dont est baptisé le hounsi yoyo, des sacrifices, ahan didan et ahan wiwlé, et l’incontournable danse, mettent fin au noviciat…Petit à petit, le novice est rendu à la vie ordinaire, suite à la cérémonie de lever définitif d’interdit qui le consacre vodounsi.
Autres temps, autres mœurs
L’autre composante essentielle des déités vodoun, ce sont les parures, partie intégrante des rituels. L’habillement des vodounsi varie d’une divinité à l’autre, et en fonction des types de rituel, marquant la particularité de chaque vodoun.
Masques de perles, Longs colliers ou autres parures de cauris, caractérisent certains. Ample jupe volante signale les adeptes de Sakpata. Serre-tête croisé en tissu ou orné de plume, bonnet et masque en rideau de cauris, pagne blanc, masque de feuille fait en raphia frais, distinguent d’autres vodounsi. On retrouve chez beaucoup, des colliers, bracelets en métal contenant un petit grelot bruissant à chaque pas et rythmant ainsi la marche. Quand ce ne sont pas des sautoirs en filières de cauris, les scarifications permettent de faire le lien entre la plupart des vodounsi et les vodoun.
Cependant, le recrutement des novices se raréfie de nos jours, selon plusieurs prêtres et prêtresses. Le temps de réclusion est de plus en plus court en raison des exigences du monde moderne. Plus de réclusion sur de longues années, loin des familles, qui restaient sans nouvelles d’eux. Il est peu courant de nos jours aussi, que les novices, notamment de Hêviosso, subissent le rasage partiel de leurs cheveux comme naguère, coupe indiquant qu’ils sont au début de leur noviciat. N’existe plus vraiment, non plus, la pérégrination des novices de marché en marché en quête de nourritures et de dons. On ne saurait jurer non plus que la sortie des novices comme autrefois, mobilise encore beaucoup de monde et suscite la même intensité d’émotion et d’enthousiasme.