Des écoles ou des maisons de pornos. Beaucoup sont indignés du scandale sexuel qui secoue de plus en plus l’école béninoise. Il faut alors que les enseignants prennent conscience que leurs missions ne consistent pas seulement à instruire mais aussi à éduquer, à inculquer des valeurs morales et sociales aux jeunes. C’est ce que propose Jean-Claude Hounmènou, Professeur titulaire de Psychopédagogie. Il insiste dans cette interview sur la restauration du civisme dans l’enseignement secondaire.
L’école béninoise est à nouveau éclaboussée par un scandale sexuel sur la toile, un an après le sextap. Pourquoi ces déviances aujourd’hui ?
L’explication essentielle qu’on peut donner à la résurgence de ces comportements de déviances au sein d’une partie de la couche juvénile pourrait se trouver d’abord dans le relâchement du contrôle des adultes sur les jeunes. Cela traduit un laisser-aller de la part des parents, qui ne font plus les pressions morales et de contrôle qu’ils exerçaient sur les enfants afin de les garder sur le droit chemin. La même désinvolture s’observe au niveau des autorités des établissements scolaires où ces enfants sont inscrits. Apparemment, ils sont livrés à eux-mêmes. Les préfets de discipline et les surveillants généraux n’ont plus beaucoup de prises sur eux. Ils échappent donc à l’emprise des autorités. C’est ce qui pourrait expliquer à mon avis ces comportements déviants.
Allons-y cas par cas. Vous parlez d’un laisser-aller de la part des parents. Qu’est ce qui favorise qu’ils ne puissent pas s’occuper de l’éducation de leurs enfants à la maison ?
Les parents ne jouent plus leurs rôles pour des raisons qu’on ne peut pas développer ici. Si vous prenez l’emploi du temps d’un parent ordinaire aujourd’hui, il sort le matin et ne rentre que le soir. Ces parents envoient les enfants dans un collège où les enfants passent la journée. On ne sait pas comment ils se comportent là-bas, qui les surveille et c’est seulement le soir que peut-être la famille se regroupe à nouveau le temps de dîner ensemble et chacun va au lit. De sorte qu’il n’y a plus une étroitesse de rapports des enfants avec leurs parents. Ces derniers n’ont pas le temps de demander aux enfants ce qu’ils font dans la journée. Ce qui explique la défaillance.
Si certains parents ne sont pas disponibles, d’autres par contre sont fermés aux discussions liées au sexe. N’est ce que là de quoi permettre aux enfants de développer des caractères déviants au point de s’adonner à de telles pratiques à l’école, entre camarades ?
Si des parents sont réticents à aborder certains sujets considérés comme tabous avec les enfants, ce n’est pas un facteur qui pourrait expliquer cette déviance qu’on observe chez certains adolescents aujourd’hui. Normalement la réticence des parents à aborder ces sujets pourrait susciter chez ces enfants une attitude de réserve vis-à-vis de ces questions.
Mais le constat est qu’ils semblent assouvir leurs besoins sur la toile
La curiosité en elle-même n’est pas condamnable. C’est ce qui suit la curiosité qui est condamnable. Lorsque par exemple on s’associe à des camarades pour enregistrer des vidéos pornographiques, c’est ça qui est condamnable et on pourrait peut-être incriminer les influences que ces jeunes exercent les uns sur les autres. C’est comme quand vous mettez des tomates dans un panier. Il suffit donc qu’une tomate soit pourrie pour que les autres soient aussi atteintes.
Vous avez aussi parlé de la responsabilité des chefs d’établissement. Là on sait que les parents payent la contribution à des centaines de mille, le salaire des enseignants on le connaît. Est-ce que là aussi il n’y a pas un petit problème dans la rémunération qui fait que les surveillants sont un peu faibles devant ces enfants ?
Je ne pense pas que ce soit lié à la rémunération ou bien à la modicité du salaire que les établissements privés payent à leurs enseignants ou alors l’on n’a pas suffisamment responsabilisé les enseignants dans la surveillance des enfants ou ils ne se comportent pas comme des éducateurs. Ils sont là seulement comme des instructeurs, ils donnent leurs cours et ils s’en vont. Peut-être que les administrations des établissements devraient sensibiliser davantage les enseignants pour que à part la diffusion des cours, ils puissent aussi prendre en charge une partie de l’éducation des jeunes qui leurs sont confiés. On n’a pas suffisamment attiré l’attention sur une partie de leur mission, donc ils se contentent de faire ce pour quoi ils sont payés. Il appartient alors au fondateur d’établissement ou au directeur de sensibiliser les enseignants sur cette autre composante de leur mission, et c’est en principe ce qu’on appelle un éducateur. Et si les parents ont confié leurs enfants aux collèges et aux lycées, c’est parce que ces parents aussi espèrent que les espaces éducatifs vont les aider à encadrer les enfants.
Au-delà des écoles privées, la situation est aussi similaire dans les établissements publics avec des cas de viol et de consommation de drogue. Est-ce que le système éducatif ne montre pas là ses limites ?
Ce n’est pas le système éducatif qui est remis en cause. Il y a certainement des gens qui ne jouent pas leurs rôles. Ou alors, les effectifs sont tels que les responsables chargés d’encadrer les jeunes sont débordés et n’arrivent pas à remplir correctement leur mission. On ne peut pas incriminer le système éducatif en lui-même. D’autre part, les parents n’exercent pas les contrôles qu’ils devraient exercer. Aussi, les instances éducatives institutionnelles, c’est-à-dire les censeurs, les préfets de discipline ne jouent pas complètement le rôle qu’ils devraient jouer dans l’encadrement de ces jeunes.
Si vous étiez ministre de l’enseignement secondaire, qu’elle décision alliez-vous prendre dans ce contexte pour freiner la dépravation des mœurs ?
On pourrait être tenté de fermer même les établissements où ces déviances sont le plus observés. Mais ce ne sera pas la solution. Il s’agit d’identifier les jeunes qui s’adonnent à de tels comportements et de les sanctionner le plus sévèrement possible et que les parents soient convoqués pour être mis devant leurs responsabilités.
Faut-il renvoyer, voire emprisonner dans ce cas pour lancer un signal fort ?
Il ne s’agit pas d’emprisonner. Il s’agit de sanctionner. Aujourd’hui, on a interdit le châtiment corporel mais il y en a bien d’autres par lesquels on peut amener ces enfants à regretter leurs actes et à décider de changer. Cette sanction doit être appliquée aussi bien par l’établissement que par les parents. Par des décisions d’exclusions temporaires, on peut amener ces jeunes à réfléchir.
Mais il se fait que la justice s’en mêle. Ne faut-il pas craindre qu’elle y aille avec une main forte ?
Je trouve que s’il n’y a pas une plainte venant des parents ou des autorités scolaires, que la justice s’autosaisisse, c’est un peu gênant. Dans la mesure où ce sont des actes qui se sont produits dans les quatre mûrs des établissements mais pas forcément dans le domaine public. Mais c’est rendu public parce que certains y ont contribué en la mettant sur la toile. C’est peut-être à ce niveau-là qu’il faut agir. C’est rentrer dans le domaine public par la force des gens qui ont mis la vidéo sur la toile. Sinon tant que ce n’était qu’entre ces jeunes, ce n’est pas su. Là, la justice pourrait être fondée, dès lors que c’est dans le domaine public à s’auto saisir.
Au second cycle de l’enseignement secondaire, on a en majorité des enfants pubères. N’est-il pas opportun de renforcer les programmes de santé de la reproduction ?
Il faut surtout restaurer l’éducation civique au secondaire. On a constaté que de plus en plus, les établissements du secondaire ne dispensent pas d’enseignement civique. On pense que c’est à l’enseignement supérieur de penser à ça. Or c’est justement ces enfants qui sont dans leur phase d’adolescence qui ont besoin d’être encadrés. Un programme d’éducation civique bien appliqué devrait permettre d’amoindrir les risques de déviances.
Par exemple, au niveau du Laboratoire de Pédagogie de Porto-Novo, nous avons mené une étude qui avait amené à comparer des attitudes de deux groupes d’adolescents vis-à-vis de certaines valeurs. Il y a un groupe dont l’établissement donne des cours d’éducation civique et un second groupe dont l’établissement n’en donne pas. L’étude menée en 2017 a démontré que ce sont les jeunes qui reçoivent des cours d’éducation civique qui ont les comportements les plus vertueux. Il y a des valeurs comme la famille, l’école, le respect du bien public, l’altruisme, etc. Tandis que c’est dans le groupe de ceux qui ne reçoivent pas de cours de civisme qu’on observe les habitudes les plus négatives. Nous avons tiré comme conclusion qu’il est désormais nécessaire que l’on restaure l’instruction civique au collège. Ça pourrait aider donc.
Parlant d’instauration de l’instruction civique, des groupes d’actions comme le scoutisme et la Croix Rouge existant jadis dans les collèges jouaient ce rôle. Ne faut-il pas aussi penser à explorer, entre autres ces pistes ?
C’est vrai que certains clubs comme la Croix Rouge ou le Scoutisme permettaient d’encadrer une partie des jeunes, mais pas tous. C’est de rares élèves qui ont la chance d’appartenir à ces groupes et de bénéficier de leurs encadrements. Je reconnais que ça peut aider mais ça ne touche pas la majorité des jeunes.
Votre mot de fin
Les enseignants doivent prendre conscience que leurs missions ne consistent pas seulement à instruire mais aussi à éduquer, à inculquer des valeurs morales et sociales aux jeunes. Les réalités actuelles font que les parents ne peuvent plus vraiment encadrer leurs enfants et on doit suppléer à cette carence.
Propos recueillis par Fulbert ADJIMEHOSSOU