Eprouvés par l’effondrement du prix de leurs produits sur le marché international depuis près de trois ans, les acteurs de la filière anacarde sont obligés aujourd’hui de composer avec les nouvelles exigences liées à la gestion de la pandémie du Covid-19. Une situation qui n’est pas sans perturber le cours normal de la présente campagne de commercialisation.
La campagne de commercialisation de la noix d’anacarde, édition 2019-2020, ne sera pas comme celles des années antérieures. Avec la pandémie du coronavirus qui tient actuellement les pays du monde entier en respect, son déroulement risque d’être compromis au grand dam de ses acteurs. Dans le département du Borgou, certains acteurs de la filière ont pris conscience de la situation. Par rapport à la présente campagne, ils sont pour la plupart indécis. En témoigne l’absence d’engouement constatée sur le terrain, de Tchaourou à Kalalé en passant par Parakou, N’Dali, Sinendé et Pèrèrè.
Avec l’effondrement du prix de la noix d’anacarde sur le marché international lors de la précédente campagne de commercialisation, leurs espoirs n’avaient pas été comblés. Ce sont les réformes apportées par le gouvernement dans l’organisation de l’actuelle campagne lancée, jeudi 19 mars dernier à Cotonou, qui leur ont donné du baume au coeur.
En effet, pour cette campagne de commercialisation prévue du 19 mars au 31 octobre prochain, le gouvernement béninois a fixé le prix d’achat du kilogramme de la noix d’anacarde à 325 F Cfa. Selon le ministre en charge de l’Agriculture, Gaston Dossouhoui et sa collègue de l’Industrie et du Commerce, Shadiya Alimatou Assouman, cet ajustement de prix, par rapport à la campagne écoulée où il était de 400 F Cfa le kilogramme, vise à préserver les intérêts aussi bien de la filière que de ses acteurs. Ainsi, ces derniers ont été conviés à continuer à mettre en œuvre les meilleures pratiques en matière de culture, de vente groupée et d’utilisation d’instruments de mesure certifiés. Quant aux prévisions, elles annoncent une production d’environ 171 000 tonnes de noix de cajou brutes contre 150 000 en 2018-2019. Malheureusement, l’embellie envisagée avant le lancement officiel de la campagne et traduite par une demande assez soutenue sur l’ensemble du territoire, s’est vite estompée.
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Les exportateurs se font désirer
La psychose créée par l’avènement de la pandémie du coronavirus est en train de favoriser une volatilité au niveau du prix. Une situation qui contraint les producteurs à revoir leurs ambitions à la baisse. Le pire est donc à craindre, si la pandémie devait encore perdurer pendant plusieurs mois. La noix d’anacarde étant, après le coton, la deuxième culture d’exportation du pays, ce ne serait pas du tout réjouissant pour l’économie nationale.
Déjà, sur le terrain, on est désormais loin du prix plancher fixé. Le prix varie entre 200 et 250 F Cfa, voire 150 F Cfa le kilogramme. Cette situation n’est pas du goût des producteurs Issifou Wahabou et Amadou Anzizou à Tchatchou, dans la commune de Tchaourou. Sabi Souleyman et Mustapha Abdoulaye, deux producteurs à Tourou, dans le premier arrondissement de Parakou, ne diront pas le contraire. Les collecteurs et les acheteurs, confient-ils, viennent leur imposer des prix. « C’est tantôt à 175 F Cfa, 200 F Cfa ou 250 F Cfa», s’insurge Amadou Anzizou. Le prix a chuté de plus de 20 %.
Des accusations que les acheteurs balayent du revers de la main. Après quelques semaines de campagne, ce n’est pas non plus la sérénité dans leurs rangs. Ils préfèrent tout mettre sur le compte de la pandémie du coronavirus qui sévit dans le monde. C’est ce qui, selon eux, fait que, craignant une chute des prix sur le marché, les exportateurs indo-pakistanais qui s’intéressent aux noix d’anacarde du Bénin hésitent à préfinancer les achats. « Avec cette crise sanitaire mondiale, ils traînent les pas, préférant s’entourer de toutes les garanties possibles», confie Nourou Aboladé.
Selon son homologue Anschaire Zinzindohoué, l’instabilité du prix sur le terrain est liée à l’absence des partenaires à cause de la maladie du coronavirus. « Ils refusent de nous financer. Ceux qui sont en train d’acheter avec leurs propres fonds prennent sans le savoir de gros risques», avertit-il. « Je ne sais pas s’ils parviendront à placer leurs produits auprès d’un exportateur », s’inquiète-t-il.
La campagne menacée de confinement
A leur tour, les acheteurs et collecteurs se font rares sur le marché. Ne sachant plus ce qu’ils doivent faire avec leurs récoltes de noix d’anacarde sur les bras, ce sont les producteurs qui se sont mis à les supplier maintenant. Ils sont même prêts à accepter leurs conditions.
En somme, une situation fort embarrassante aussi bien pour les producteurs que pour les acheteurs. Mais l’Interprofession de la filière anacarde du président Edouard Assogba, et la Fédération nationale des producteurs d’anacarde du Bénin et son directeur général, Issiakou Moussa, se veulent rassurants. Ces instances gardent espoir que la production nationale sera achetée et enlevée.
Ainsi, tout comme la campagne de commercialisation, le marché est également en proie au doute. « Le gouvernement a déjà trop fait pour la filière et ses acteurs. Au lieu de garder leurs noix, si les producteurs ont l’occasion de les vendre, qu’ils n’hésitent pas à le faire. Si la pandémie n’est pas maîtrisée, celui qui va les prendre, où est-ce qu’il va lui-même aller les placer? », se demande le président de la Fédération nationale des acheteurs des produits agricoles et tropicaux (Fenapat), El Hadj Bourè.
En effet, dans un contexte où la pandémie du coronavirus déjoue toutes les prévisions et où l’économie mondiale risque une récession, il faudra s’attendre à toutes les éventualités. Du coup, l’exportation des noix d’anacarde que le Bénin a l’habitude de placer sur le marché international ne sera pas épargnée par les effets de cette récession.
En effet, pour lutter contre la propagation de la pandémie, de nombreux pays importateurs de ces noix d’anacarde ont fait l’option de se barricader. Ils ont fermé leurs frontières terrestres, maritimes et aériennes, puis suspendu tous leurs vols internationaux. A cela s’ajoute la prise des mesures comme l’arrêt de toutes les activités productives non cruciales sur toute l’étendue de leur territoire. D’autres ont même décrété l’état d’urgence sanitaire ou contraint leurs populations au confinement total. Le moteur productif de leurs pays tournant complètement au ralenti, le temps que l’épidémie soit maîtrisée, plus aucun exportateur ne veut encore prendre de risques.