Au moment où certains acteurs des religions endogènes se battent pour la réhabilitation du vodoun, d’autres tendent à freiner cet élan. Ignorant les actions qui doivent se mener pour le rayonnement de cette entité, des dignitaires laissent les temples des divinités végéter dans un état piteux.
Il est 12 heures 30 minutes et l’astre du jour au zénith. Devant un temple vodoun dans un faubourg d’Abomey, la chaleur est étouffante. A quelques mètres du logis de cette divinité, un tas d’ordures accueille. Il est renforcé par la cohabitation de divers animaux domestiques qui y font leurs besoins. En approchant la chambrette, nous piétinons un sachet emballé. Une odeur fétide nous envahit. C’était de l’excrément humain. Presque autour du temple, se trouvent de tels sachets. Un acte d’incivisme de la population riveraine ! Au fond du temple, repose un vodoun protecteur. La porte n’y est plus. Les poteries poussiéreuses et cassées repoussent le regard. La motte de terre sur laquelle reposent les porteries est presque inexistante. La toiture qui coiffe le mur déjà délavé n’est plus au complet et laisse voir les poutres. Notre guide qui requiert l’anonymat, explique qu’ailleurs, la situation est plus critique.
« D’autres divinités de la localité ont leurs murs croulants ou des temples inexistants », a-t-il révélé.
Honteuse situation pour certains
Une situation gênante pour certains dignitaires. Pour Baba Guèdègbé, dignitaire du culte Sègbolissa et membre du Conservatoire vodoun sur le plateau d’Abomey, les temples sales et délabrés choquent et heurtent la sensibilité. « Je n’aime même pas entendre parler de ces genres de temple. Ce n’est pas beau à voir. C’est hideux et repoussant. Je suis chagriné quand je vois ces sottises au niveau des temples vodoun », se désole-t-il.
« Le temple du vodoun est un lieu sacré et doit être par conséquent entretenu. C’est un lieu saint où l’on invoque le destin (le Sê). Cet endroit ne doit jamais ressembler à une porcherie. Et il n’est même pas bien d’invoquer le vodoun au milieu d’un tas d’ordures. On doit le tenir toujours propre et sain », poursuit-il. En tant que gardien des temples, Hounnon Mintogbédji, dignitaire du culte Sakpata à Sèhouè, confie être frustré quand il voit de tels temples.
« Je me demande si je suis réellement au Bénin, un pays qui est le berceau du vodoun ?», s’offusque-t-il.
Dah Ahinadjè Houncassoudonon y voit une situation invivable renforcée par des pesanteurs aussi bien internes qu’externes. « Nous sommes un pays en voie de développement et le mode de succession dans le «Hountomè» a un peu de problème aujourd’hui. Lorsqu’un Hounnon va dans le «Hounmamè», après ses obsèques, on consulte l’oracle pour désigner son successeur. Après ce travail, celui qui est choisi ou celui qui est désigné par les esprits ne connaissait rien du domaine.
Bon nombre d’entre ces personnes désignées se disent que leur père ou grand-père n’avait rien laissé pour s’occuper du vodoun. Or, d’habitude, les parents laissent des terres, des femmes. Ils prennent ces femmes et revendent les terres. Mais, s’agissant de l’entretien comme cela se doit de ce qui leur est revenu de façon naturelle, ils trouvent que les parents n’ont rien laissé. Mais ils acceptent parce qu’ils recherchent souvent les honneurs liés à la fonction. Ainsi, ce qui les intéresse, ce sont les accoutrements de la tradition, les colliers et perles et passer de temple vodoun en temple de Vodoun les jours de cérémonies. Ils sont seulement intéressés par la boisson, le manger et plus rien. Et ceux-là, ce sont souvent des Hounnon de 10 Janvier, les Hounnon de Cotonou. Vous ne les voyez jamais au niveau des temples des vodoun dont ils sont serviteurs. Ils ne sont pas animés du désir qui devrait les amener à arranger ni à mieux s’occuper des temples de leur vodoun», se désole-t-il. En poursuivant, il incrimine les dirigeants. Selon lui, « les autorités ne se montrent guère bienveillantes par rapport à cette situation. Car elles aident les religions exotiques à travailler et à paraître quelque chose d’extraordinaire à côté de ce que nous voyons chez nous ».
L’un dans l’autre, certains dignitaires ne maîtrisent pas leur fonction. Selon Baba Guèdègbé, l’état piteux dans lequel se trouvent la plupart des temples est renforcé par la paresse et la pauvreté de certains dignitaires et leur désamour vis-à-vis de ce qui leur est légué par leurs ancêtres. Pour sa part, Hounnon Mintogbédji incrimine les désignations fantaisistes de dignitaires vodoun. « Je mets dans désignations fantaisistes la non désignation du successeur avant la mort du prédécesseur et la non consultation du Fâ avant la désignation à la mort de ce dernier ou la désignation de quelqu’un qui n’a pas du tout un penchant pour la culture. Lorsque la désignation est faite de cette manière, attendez-vous à voir le bordel que vous constatez aujourd’hui», explique-t-il. « On peut aussi ajouter la négligence de certains dignitaires intronisés qui croient pouvoir hériter du gain facile, mais une fois intronisés, se rendent compte du contraire», ajoute-t-il.
Dah Ahinadjè revient sur l’intronisation et renchérit que « la manière d’introniser les acteurs de la tradition aujourd’hui est bancale et n’a rien d’authentique pour pouvoir conférer sacralité, force et puissance. D’autres vont se faire introniser dans les cours des roitelets qui ne répondent qu’à des titres de souvenirs dans la tradition. Celui qui veut introniser n’est pas vodounon (prêtre du vodoun) ni vodounsi (adepte du vodoun) et dit qu’il va t’introniser. Qu’est-ce qu’il connait du vodoun ? Qu’est-ce qu’il pourra te dire ?»
L’invite à une prise de conscience
Ces différents acteurs du culte endogène reconnaissent que les temples vodoun doivent être entretenus. Pour eux, le vodoun ne répond pas promptement aux prières quand il est installé dans un milieu malpropre et impur.
« Le vodoun est saint et doit être respecté. Si l’on peut l’adorer et le respecter, on sera toujours un être saint et respecté dans la société. Car nous adorons un esprit qui est par essence pur et saint. C’est même pourquoi le vodoun Zomandonou avait exigé à sa naissance à avoir le plus luxueux temple, un temple long et attrayant », précise Baba Guèdègbé.
« Lorsque vous devenez serviteur d’un vodoun, vous devez apprendre à servir ce vodoun. Pour servir ce vodoun, la première des choses à faire, c’est tenir son lieu saint, propre. Mais voilà que les gens ne veulent pas le faire », fait savoir Dah Ahinadjè. Confiant que le monde de la tradition ne peut faire son assainissement que dans la tradition et par la tradition, il invite les vodounon à prendre conscience afin de mieux apprendre et maîtriser ce qu’est le vodoun pour un service noble. Le vodoun est un patrimoine cultuel et identitaire de tous les peuples d’Afrique noire. Et le promouvoir n’a pas besoin de tapages. Mintogbédji demande l’accompagnement de l’Etat à travers le ministère de la Culture et de tous ceux qui ont un penchant pour la culture pour le développement du monde du vodoun.
« Ce n’est pas quelque chose qu’on peut corriger d’ici à là mais avec le temps, ça peut l’être. Quand on va commencer par faire des séances de sensibilisation, beaucoup prendront conscience et vont oeuvrer à garder les temples propres. Car souvent, il y a l’ignorance qui les tue», conclut Baba Guèdègbé.