Je ne veux pas trop discourir. Ce qui se passe aujourd’hui est le signe le plus clair que l’UEMOA doit profiter de cette crise du Covid 19 pour accélérer son indépendance monétaire. Indépendance monétaire, c’est-à-dire avoir la capacité de décider de sa monnaie sans l’intermédiaire d’aucune puissance européenne.
Ceci pour une raison simple. Avec la crise actuelle, les Etats européens et américains trouvent des solutions monétaires leur permettant de faire face à l’apocalypse économique dans laquelle nous entrons progressivement. Et pour y parer, l’Union Européenne a réussi à trouver hier un accord après plusieurs rounds de négociation. 500 milliards d’euros disponibles immédiatement et un fonds de relance à venir sont envisagés pour soutenir les économies de la zone. Convertissez donc 500 milliards d’euros en FCFA, et vous obtiendrez un montant pharaonique avoisinant 328000 milliards de FCFA. Et ce n’est que ce qui est disponible « immédiatement ».
Il y a deux semaines, les Etats-Unis ont mis en place 2000 milliards de dollars à injecter directement et immédiatement dans les ménages pour soutenir les salariés, face à la baisse des activités et aux licenciements massifs déjà en cours. Convertissez donc 2000 milliards en CFA et vous obtiendrez un montant qui tiendra difficilement sur une calculette normale.
Alors question bête : où ces Etats trouvent-ils tant d’argent disponible « immédiatement » ? Réponse toute aussi bête : cet argent est simplement fabriqué. C’est de l’argent artificiel rendu disponible par la planche à billets dont disposent les Etats ou les groupes d’Etats ayant la maitrise de leur monnaie. Il est vrai qu’ils disposent également d’une puissance financière qui consolide d’autant leurs monnaies. En situation de grande crise, comme durant la crise grecque, lorsque le besoin est unanimement reconnu, ces Etats émettent de l’argent, en utilisant des techniques monétaires de pondération pour éviter des répercussions inflationnistes sur le marché. C’est de l’argent sans travail (money without work) et sans contrepartie. Il contrevient, il est vrai, aux règles du capitalisme néolibéral. Malgré cela, il répond à un besoin urgent de pays qui, autrement, s’effondreraient d’eux-mêmes, entrainant une véritable catastrophe.
Alors question : qu’en est-il de nos pays de la zone CFA ? Actuellement, nous sommes condamnés à subir. Si une crise humanitaire de la taille de ce qui frappe actuellement l’Europe ou l’Amérique advenait, il faut attendre les hauts cris de nos pays appelant à l’aide pour que les miettes nous soient envoyées sous forme d’aide enveloppée de conditions infantiles. La France par exemple a déjà annoncé les couleurs, en prévoyant 1,2 milliards d’Euro pour l’Afrique.
Personne n’est dupe. Si nous avions notre souveraineté monétaire, c’est en toute indépendance que, face à l’urgence, nos Etats trouveraient les moyens de relancer leurs économies actuellement aux arrêts. Cela d’autant plus que le FMI et la Banque Mondiale ont annoncé hier que la récession due au covid 19 est inévitable. Elle sera pire que celle de 2008. D’après la Banque Mondiale la croissance en Afrique subsaharienne devrait se rétracter fortement entre 2019 et 2020, passant de 2,4 % à -5,1 %, plongeant la région dans sa première récession depuis plus de 25 ans. C’est ce qu’indique la dernière édition d’Africa’s Pulse, le rapport semestriel de la Banque mondiale consacré à la conjoncture économique africaine et rendue public ce jeudi.
L’ampleur de cette crise qui frappe déjà à nos portes est telle que les Etats de l’UEMOA en particulier devraient accélérer les mécanismes de leur souveraineté monétaire. Car, à voir de près, il appartient aux grandes puissances détentrices de leur souveraineté monétaire, de nous dire si nous devrions nous enfoncer ou non dans cette récession qui s’annonce. N’ayant pas en main notre destin monétaire, nous devrions assister en spectateurs, à l’effondrement de tant d’années d’efforts et de sacrifices qui ont fini par relever nos économies.
Car s’il apparaissait que le coronavirus est un virus militaire, échappé d’un laboratoire comme le susurrent déjà de nombreux experts, l’Afrique serait à nouveau doublement victime d’une guerre qui n’est pas la sienne. Et nous aurions tort de regarder faire les grandes puissances, au moment où nous avons définitivement la capacité de mettre fin à cette servitude monétaire, pour utiliser une expression chère à l’économiste togolais Kako Nubukpo. Oui, la crise du coronavirus menace la survie de nos Etats, mais elle peut constituer également une opportunité pour prendre en main notre monnaie, en refusant les placébos qu’on nous administre de l’occident depuis des décennies.