Dans une tribune publiée dans le Wall Street Journal et l’Opinion, le vénérable Henry Kissinger affirmait sans sourciller que « La pandémie du coronavirus modifiera à jamais l’ordre mondial » https://www.lopinion.fr/edition/wsj/henry-kissinger-pandemie-coronavirus-modifiera-a-jamais-l-ordre-215660. Dans l’esprit du chercheur et homme politique américain connu au bataillon des relations internationales, il faut comprendre que rien ne sera plus comme avant. Dans les pays occidentaux, les réflexions et projections statistiques pleuvent chaque jour pour avertir les décideurs de la catastrophe politique, sociale et économique qui couve. Comparaison n’est pas raison mais dans une Afrique encore moins durement touchée par le coronavirus, on aimerait en savoir un peu plus sur ce qui nous attend lorsque cette crise aura connu son épilogue.
Il est un fait incontestable que dans une démocratie libérale, l’élection est un mantra que les gouvernants répètent et dont ils ne peuvent pas se passer en temps normal.
Mais que peuvent décider ces gouvernants lorsqu’un virus inconnu vient se mêler des affaires de calendrier électoral dans un Etat ? Encore aujourd’hui, les français durement touchés par la pandémie attendent impatiemment d’interroger le gouvernement de M. Edouard Philippe pour savoir s’il était opportun d’organiser le premier tour des élections communales le 15 mars dernier. On sait à ce jour, que de nombreux assesseurs dans les bureaux de vote ainsi que des électeurs ont été contaminés au COVID-19 le jour du scrutin.
Mais au Bénin, à l’heure où la crise bat son plein, à quoi doivent s’attendre les populations appelées à aller aux urnes le 17 mai ? L’on sait que depuis 1991, les élections sont entrées dans nos mœurs politiques mais à aucun moment, nous n’avons jamais eu à gérer à la fois une crise sanitaire et politique.
Dès l’apparition des premiers cas de contamination et l’afflux continu de voyageurs venant de pays aux forts taux de contamination, la psychose qui s’en est suivie a poussé les chefs religieux à décider de la fermeture des lieux de cultes. Les décisions gouvernementales venues ratifier a posteriori ces choix n’auraient rien à changer à la situation dans la mesure où les risques de contamination communautaire étaient assez élevés.
Dans un pays qui craignait à bonne raison une propagation rapide du virus, la fermeture tardive des écoles et universités n’a certainement pas été une bonne décision. Les japonais, les italiens, les espagnols, les français pour ne citer que ceux là n’ont pas hésité à tout fermer y compris ‘’oublier’’ pour un temps les débats politiciens pour donner le temps à une sorte d’unité nationale afin de lutter efficacement contre un virus au visage inconnu.
Le Président Patrice TALON n’a pas tort d’avouer dans son intervention télévisée du 29 mars 2020 que les mesures de confinement généralisé des populations que l’on voit en France et ailleurs ne sont pas adaptées aux réalités économiques et sociales du Bénin. En effet, ce constat est d’autant plus vrai que le zémidjan, l’artisan, la bonne dame au marché Dantokpa et ailleurs dans le pays ne vivent que des ressources quotidiennes que génèrent leurs activités. La décision gouvernementale de géolocaliser les foyers de tension liés au virus à travers ce qu’il est appelé ‘’cordon sanitaire’’ ne manque pas non plus de bon sens.
Mais qu’est ce qui a bien pu se passer pour que le même gouvernement qui conseille aux populations de limiter au strict minimum leurs déplacements les invite à aller voter le 17 mai prochain ?
A ce sujet, je m’interroge sur l’intervention du ministre de la communication M. Alain OROUNLA qui explique que « les présidents des institutions constitutionnelles se sont mis d’accord pour demander au gouvernement de maintenir la date du 17 mai ». A ces yeux, « rien n’était de nature à mettre en péril les populations pour le cas où le scrutin serait maintenu à cette date ». Cette posture gouvernementale tiendrait enfin au fait que le Bénin a « un impératif constitutionnel d’organisation d’élections à bonne date » et que le « péril n’est pas jugé irrémédiable pour qu’on envisage de reporter ».
Au-delà du caractère absolument inconstitutionnel de ce conglomérat des présidents d’institutions, il y a lieu de se préoccuper des motivations qui se cachent derrière le maintien des élections locales.
Avant tout, comment comprendre que le gouvernement ait décidé de repousser la reprise des cours dans les collèges, lycées et universités au 10 mai alors que les élections visées sont à seulement une semaine d’intervalle ?
Au rang des mesures envisagées pour limiter les contaminations le jour du scrutin figureraient la mise en place de matériels de prévention tels que le gel hydroalcoolique et le port de masques. Aussi, l’Etat envisage-t-il d’imposer une campagne médiatique qui serait à sa charge.
En réalité, dans cette crise, il est absolument nécessaire de ne pas répéter les erreurs que bien d’autres Etats ont commises. La France offre un exemple parfait en matière d’organisation d’élection en pleine pandémie du COVID-19. Malgré les précautions matérielles prises le jour du scrutin (gel hydroalcoolique et exigence des règles de distanciation sociale), le virus a pu circuler et s’est propagé comme une trainée de poudre à bon nombre d’électeurs et d’assesseurs. Aujourd’hui encore, personne ne peut dire avec exactitude, la date à laquelle sera organisé le second tour des élections municipales en France. Sur ce point, on observera prochainement l’évolution du débat doctrinal sur l’invalidation ou non de ce premier tour en ce sens que l’opinion de l’électeur peut varier d’une période à une autre. L’intérêt de ce débat, c’est que l’on peut avoir eu la faveur de l’électeur le 15 mars mais les circonstances qui ont vu reporter le second auraient pu positivement ou négativement influencer l’opinion du citoyen.
Plus encore, il n’est pas possible de faire la démocratie à moitié. S’il est vrai que la crise du CORONAVIRUS a révélé aux hommes leurs capacités d’adaptation, il ne faut pas perdre de vue qu’une élection politique est une chose bien trop sérieuse pour être confiée aux seuls médias chargés de servir de cadre pour la campagne. Nous débâtions déjà au Bénin sur l’égalité de chances des candidatures sur les médias publics comme privés. On le sait bien, la presse béninoise fait l’objet de critiques légitimes en raison de la réduction en peau de chagrin de l’espace d’accès aux voix dissonantes pour ne pas dire opposantes.
A ce jour, les statistiques officielles font état d’une trentaine de cas de contamination et l’on ne peut savoir avec exactitude le nombre de personnes susceptible d’être concerné aux dates du 10 ou du 17 mai. Les mobiles de ce qui se joue à la Marina sont ailleurs. Il ne faut pas être naïf en de pareilles circonstances. Tout observateur averti du régime de la rupture ne peut perdre de vue que le président de la République a les yeux rivés sur son chronomètre politique : les échéances présidentielles de 2021. L’une des innovations polémiques pour ces élections à venir, c’est sans doute le parrainage politique des nouveaux élus locaux qui sera nécessaire à la validation des candidatures. L’idée, c’est sûrement de maintenir les élections peu importe les risques encourus par les citoyens afin de disposer des acteurs d’un système de filtrage politique non encore éprouvés.
Dans un Bénin encore meurtri par la crise politique des élections législatives exclusives de 2019, l’on n’arrange pas la situation en rajoutant à la crise sanitaire actuelle un probable risque de contamination des électeurs. Après les drames à Cadjèhoun, Tchaourou, Parakou, Kandi et ailleurs, on aurait imaginé qu’un grand mouvement de fraternisation se serait manifesté mais nous continuons de faire semblant dans un Bénin tout aussi divisé.
En temps de ‘’guerre sanitaire’’ aucun impératif constitutionnel de respect d’un prétendu calendrier électoral ne saurait avoir plus d’importance que la protection de la vie des citoyens déjà démunis face aux problèmes quotidiens.
Notre gouvernement doit comprendre qu’un calendrier électoral ne saurait trouver son utilité sans une décision rationnelle et dépouillée de toute arrière-pensée politique. Avant toute chose, un jour d’élection devrait être un jour de fête et de joie et non comme un jour de crainte pour l’électeur d’aller contracter un virus contre lequel les scientifiques du monde entier se battent. Face au coronavirus, il ne saurait y avoir de place pour la fameuse et désormais populaire boutade présidentielle « vous allez en souffrir mais vous ne pouvez rien faire ». Il est encore temps de comprendre que les réformes politiques qui engendrent des injustices sociales ne sont pas seulement une faute morale mais un handicap pour la société.
Tout ce constat dressé peut-il conduire à un changement de cap ? Nous en doutons sans totalement perdre espoir.
Le président américain Donald Trump qui a embouché sa trompette comme à son habitude pour dénier la crise et promis une reprise économique à Pâques paie aujourd’hui le prix fort de ses hésitations et déclarations tapageuses sur twitter. Finalement, ce virus ne connaît ni petites Nations ni grandes Nations. En attendant d’avoir un remède efficace, ne prenons aucun risque inutile. Il est encore possible que dans cette passe difficile, le Gouvernement du président Talon retrouve son chemin de Damas qui lui ferait brûler ce qu’il a adore depuis quatre ans : rester insensible aux sonnettes d’alarme.
Stanic ADJACOTAN
Docteur en droit public de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Chercheur au Centre de droit constitutionnel-FADESP-UAC