« Un non évènement » ! C’est ainsi que le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement Alain Orounla a qualifié la décision de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cadhp) faisant injonction à l’Etat béninois de surseoir aux élections communales et municipales de mai. On en déduit que le pouvoir de la Rupture n’est pas dans la logique de se plier à la décision de la Cadhp. D’ailleurs, ce ne sera pas la première fois, depuis 2016, que l’Etat béninois se refuse d’exécuter une décision de la Cour africaine.
Novembre 2019, dans l’affaire 18Kg de cocaïne, impliquant l’homme d’affaires Sébastien Ajavon, la Cadhp a condamné le Bénin à payer à Sébastien Ajavon, à titre de réparation, 36 milliards FCFA. Cette décision vient à la suite d’autres décisions prises par la Cadhp en faveur de Sébastien Ajavon telles que l’annulation de la condamnation à 20 ans de prison prononcée par la Criet, restée lettre morte, puisque n’ayant jamais été suivie d’effet. On comprend dès lors que la Cadhp a voulu forcer la main à l’Etat béninois en accompagnant sa décision d’un délai d’exécution de trois mois, sous peine de payer des intérêts de retard. Novembre 2019-avril 2020, 6 mois après, aucune trace de l’exécution de la décision de la Cadhp.
Avril 2019, l’ancien ministre Komi Koutché attaque l’Etat béninois devant la Cadhp pour violation d’un certain nombre de ses droits. Le lundi 02 décembre 2019, la juridiction africaine a pris des mesures provisoires en attendant d’étudier la requête dans le fond. Elle ordonne à l’Etat béninois de surseoir à la procédure d’annulation du passeport du requérant en attendant sa « décision au fond ». L’Etat béninois doit ensuite faire un rapport sur les mesures prises dans ce sens, dans un délai de 15 jours, à compter de la date de la notification de l’ordonnance. Décembre 2019-avril 2020, 5 mois après, aucune preuve n’atteste de l’exécution de cette décision.
Doit-on comprendre qu’à chaque fois qu’une décision de la Cadhp n’arrange pas un Etat, pourtant partie prenante, il lui est loisible de respecter ou non ladite décision ?
A l’annonce de la dernière décision qui enjoint l’Etat béninois de surseoir à l’organisation des élections communales de mai prochain, le professeur de droit public Joël Aïvo a réagi sur sa page Facebook. « Ce que je sais, je le conseille à mon pays depuis le début. On ne joue pas indéfiniment avec le droit », a-t-il averti. Avant lui, Matin Libre, dans sa parution du mardi 21 avril, a donné la parole à Glory Cyriaque Hossou, juriste et membre d’Amnesty international Bénin. Se prononçant sur ce que risque le Bénin en ne respectant pas les décisions de la Cadhp, il a fait savoir que la crédibilité du Bénin au sein de la communauté internationale pourrait être remise en cause. La Cadhp, étant une institution de l’Union africaine, le Bénin peut être exclu des postes électifs, a reconnu le juriste. Dans une interview accordée à une radio de la place, l’ancien bâtonnier Me Robert Dossou est allé plus loin en parlant de probables dommages et intérêts que le Bénin pourrait être amené à payer pour non respect d’une décision de la Cadhp. «(…) si vous faites de fantaisie en exécutant pas les conventions internationales auxquelles vous avez souscrit ou les instruments internationaux auxquels vous avez adhéré, ça ne fait pas très bonne figure pour l’Etat concerné. (…) Et la sanction peut aller jusqu’à des dommages et intérêts c’est-à-dire une condamnation de l’Etat à la réparation de préjudice causé à tel ou tel citoyen », a laissé entendre l’avocat.
Un précédent qui doit faire école
Mai 2014, la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’Ohada (Ccja), une autre juridiction africaine à laquelle l’Etat béninois est partie prenante, a condamné le Bénin à verser la bagatelle de 129 milliards FCFA à titre de dommages et intérêt à Bénin Control pour rupture unilatérale de contrat. Le président d’alors Thomas Boni Yayi avait dit qu’il n’est pas question que l’Etat paie le moindre kopeck à Bénin Control, une des sociétés de la galaxie Talon, alors opposant au régime. Avril 2016, à la suite de la présidentielle, Patrice Talon devient président. Mais avant, entre les deux tours, les candidats qui se sont ralliés à Patrice Talon, venu en 2e position au 1er tour, lui ont fait promettre de renoncer à l’exécution de la décision de la Ccja en sa faveur, une fois qu’il accèdera à la magistrature suprême. Pour eux, il n’était pas question pour le nouveau président de se faire justice, en se payant 129 milliards FCFA, même s’il était dans son droit, car cela mettrait les caisses de l’Etat à rudes épreuves. De 2016 à ce jour, qui peut jurer, la main sur le cœur, que la promesse de renoncer à l’exécution de la décision de la Ccja a été tenue ? Peut-être oui, peut-être non.
C’est dire qu’un gouvernement peut choisir d’ignorer une décision d’une cour africaine de justice. Ce n’est pas pour autant que la décision cesse d’exister ou de produire son effet. L’Etat étant une continuité, un autre pouvoir peut décider de faire respecter cette décision. Si aujourd’hui les décisions de la Cadhp sont « jetées à la poubelle » du fait qu’elles n’arrangent pas le pouvoir, demain un autre pouvoir peut être favorable à l’exécution de ladite décision parce que proche des personnes en faveur de qui les décisions ont été rendues. Le cas échéant, ce sont les caisses de l’Etat qui risquent de saigner.