Selon la tradition béninoise, l’infidélité de la femme la rend impure. A cet effet, elle encourt la colère des ancêtres et de la divinité “Tôhiyô”. Dans certaines collectivités, cet acte est un “péché” impardonnable qui conduit à la répudiation de la femme. Mais dans d’autres clans plus cléments, comme les Hanna, l’adultère est pardonné avec à la clé des rituels d’expiation pour la restauration de la femme. Dah Agbatchia Gnidjazounnon, chef de la collectivité des Hanna de Gnidjazoun dans la commune de Bohicon, dévoile dans cet entretien les exigences coutumières qui engagent la femme adultère.
La Nation : De nos jours, l’adultère est de plus en plus banalisé. Selon vous, qu’est-ce qui explique ce phénomène ?
Dah Agbatchia Gnidjazounnon: Nous parlons d’adultère chez la femme quand celle-ci entretient des relations extraconjugales avec d’autres partenaires. C’est un problème qui se pose aujourd’hui au niveau de presque chaque foyer et ça dépend des conditions dans lesquelles l’adultère est commis. En principe, la femme doit être éternellement fidèle à son mari. L’adultère, c’est un acte qui est dénoncé et puni dans plusieurs collectivités chez nous. Plusieurs raisons peuvent pousser la femme à commettre l’adultère. Lorsque dans les fiançailles, les deux partenaires n’ont pas fait assez de temps pour se connaître davantage, -si les deux n’ont pas pu faire au moins un an avant de se mettre en couple, ils ne vont pas se connaître correctement. Si le foyer est fondé dans ces conditions, les mauvais comportements commencent par se révéler de part et d’autre. L’homme à des manquements vis-à-vis de son épouse. Cela peut être lié à un problème pécuniaire et la femme commence par négliger le foyer.
Il arrive que le mari, par nervosité, demande à sa femme de rejoindre sa famille parce qu’il y a toujours des problèmes dans le foyer. Mais cette séparation de corps n’est pas encore un divorce prononcé. Lorsque l’homme demande à son épouse d’aller rester chez elle et ne lui donne pas à manger ou ne la soigne pas, la femme est obligée d’aller chercher d’autres hommes pour se nourrir.
En dehors de ce cas, il y a certaines femmes qui, à cause des difficultés, se donnent, bien qu’étant encore sous le toit conjugal, sans pudeur à des soupirants.
Chez vous, dans la collectivité Hanna, comment traitez-vous une femme adultère?
C’est une question complexe parce que dans d’autres collectivités, lorsqu’une femme commet l’adultère, la famille ne la reprend pas. Dans la collectivité des Hanna, il y a la divinité ancestrale qu’on appelle “Tôhiyô” qui tolère et demande au mari de bien vouloir accorder à sa femme une nouvelle chance en l’acceptant. Lorsque le mari cocu est d’accord, on soumet la femme à des rituels de purification. Ces rituels sont aussi complexes. Car avant de subir les rituels, la femme adultère doit d’abord se confesser auprès des
“Tanyinon” et du “Dah”, c’est-à-dire des sages et notables. Elle doit tout avouer et sans réserve. A défaut, les rituels peuvent avoir des répercussions négatives sur sa santé, voire entraîner sa mort. Parfois, ces répercussions peuvent tomber sur sa progéniture et souvent, ce sont des cas de maladies. Quand la femme commet l’adultère et ne l’avoue pas, elle commencera par voir des choses bizarres ou les ancêtres, soit en sommeil, soit bien qu’étant en éveil. Et elle sera obligée de se confesser. Sous l’approbation des deux conjoints, la femme sera purifiée.
L’autre exigence, c’est la femme seule qui doit faire face aux dépenses liées à l’achat des éléments nécessaires pour les rituels de purification sans la moindre contribution de son mari, ni de sa belle-famille. A la rigueur, elle peut se faire aider par ses propres parents. Ce sont les “Tanyinon” qui se chargent de lui fournir la liste du nécessaire à acheter. Le jour des rituels, elle doit apporter les habits qu’elle avait portés pour commettre l’adultère aux “Tanyinon” qui vont la conduire au temple de la divinité “Tôhiyô”. Ces habits sont distribués aux femmes pauvres de la collectivité. Les Tanyinon sont les femmes d’un certain âge qui réveillent les ancêtres quand on veut faire des libations. Avant de commencer les cérémonies, elles s’assurent que la femme a vidé son cœur sous peine d’être frappée de démence.
Et lorsque l’adultère est commis avec beaucoup de soupirants dans plusieurs tenues, que faire ?
Elle est obligée de tout ramener parce qu’elle ne doit plus porter ces habits. Les parures, boucles d’oreilles, chaînes et perles. Car le jour des cérémonies, elle sera purifiée complètement, et sa tête et toutes les parties où se trouvent de poils sur son corps seront rasées (les cheveux, les poils du pubis et des aisselles). Donc, c’est une purification. Elle renaît. Et après les cérémonies, aucune femme de la collectivité n’a le droit de se moquer d’elle en référence à son infidélité lors des querelles.
Cela est-il sanctionné par vos divinités?
C’est bien sanctionné. Si le chef de collectivité apprend ça, la femme qui injurie celle qui a commis l’adultère et qui est déjà purifiée, sera conduite à “Adjalalassa” où elle sera châtiée.
Et lorsque la femme au dehors laisse entrevoir, même par inadvertance, ses dessous, est-ce puni ?
Là, c’est un peu pardonnable. Car le vrai acte n’a pas été commis. Mais lorsque vous êtes femme mariée et vous laissez par complaisance un autre homme tâter vos seins, vos fesses, vous embrasser, vous faire des baisers, vous êtes obligée de le dire. C’est une sorte d’adultère. L’acte n’est pas commis, mais vous êtes sur le chemin de commettre l’adultère. C’est aussi sanctionné. La preuve est qu’un homme ne doit pas tirer le pagne d’une femme mariée. C’est une tentative d’adultère. Si cela arrive à la femme au marché, en chemin, quelque part, une fois à la maison, elle doit en informer son mari ou le chef de la collectivité. Si elle ne les informe pas et que cela s’accumule, elle n’aura pas la paix. Ça va rejaillir sur ses activités et sa santé. C’est pour cela qu’une femme mariée ne doit pas uriner en désordre. On ne doit pas voir ses cuisses. Elle doit chercher un endroit caché pour uriner.
Lorsqu’une femme lettrée épouse un Hanna et porte des mini jupes qui laissent voir son entrejambe, quelle serait la réaction de vos divinités ?
En principe, c’est le mari même qui doit interdire cela à sa femme. Lorsque vous êtes femme mariée, il y a votre habillement qui vous différencie des jeunes filles. Lorsque vous êtes régulièrement mariée, vous ne devez pas porter de mini jupe. Quand c’est le pagne que vous nouez, ça doit tomber en dessous des genoux et vous devez mettre un second pagne là-dessus. C’est la vraie femme mariée qui respecte les totems de sa belle-famille. Aujourd’hui, les jeunes se marient en désordre et ne se rapprochent pas de leurs collectivités. C’est généralement les femmes mariées qui ignorent les totems de leur belle-famille qui se permettent de commettre l’adultère. Lorsqu’on vous marie, le premier rituel, c’est de vous présenter aux ancêtres devant leur temple. On leur dit que celle-ci est venue pour leur préparer à manger. Lorsqu’elle prépare pour son mari, ça veut dire qu’elle prépare déjà pour les ancêtres. Les “Tanyinon” profitent de cette occasion pour citer les interdits de la collectivité, les comportements qu’une femme mariée doit adopter pour avoir la paix du cœur et au foyer.
Lorsque la personne est d’une confession religieuse qui n’est pas en lien direct avec la collectivité, est-ce que la divinité “Tôhiyô” peut punir à distance?
Quand on parle de mariage même s’ils sont des religieux, la loi a prévu que la femme soit dotée. S’ils sont mariés religieusement et leur religion est incompatible avec la loi de la tradition, qu’ils s’éloignent. Il y a certains qui s’entêtent et qui restent dans la collectivité. C’est ça qui est très dangereux. Tu as construit sur la terre des aïeux et tu refuses de participer aux activités de la collectivité, tu seras mal vu et tu seras châtié. Lorsque les enfants et leur mère sont souvent malades dans le foyer, on consulte l’oracle. A travers ce canal, les ancêtres nous dévoilent les causes de ces maladies. L’oracle nous révèle qu’il y a problème dans le foyer et la femme doit se confesser. Cela arrive aussi à ceux qui pratiquent les religions importées et qui se marient en famille. Il y a des choses qui leur échappent économiquement, mais ils ne le savent pas parce que les maris de ces femmes qui sont dans les religions importées se font tellement confiance qu’ils laissent leurs femmes aller n’importe où et à n’importe quelle heure. Or, on ne doit pas autoriser la femme à sortir n’importe comment sauf dans des cas exceptionnels.
Dans la société, il y a plusieurs sortes d’esprits. Il y a les bons et les mauvais. Vous faites confiance à votre femme et d’autres fidèles vont la détourner. Il y en a plein qui se plaignent après et qui recourent à la collectivité. Pour avoir la paix réelle, pour éviter les dépenses inutiles après que vos femmes eurent commis des erreurs, les jeunes doivent toujours être à l’écoute et appliquer les règles de la collectivité dont ils sont issus.
Combien de fois la divinité “Tôhiyô” pardonne-t-elle la femme qui commet l’adultère ?
Ce n’est pas bon de le dire, mais on est obligé de le dire parce que les femmes vont se permettre le vilain luxe de commettre l’adultère. En principe, la femme qui se respecte et qui a de la dignité ne doit jamais faire ça parce que c’est un acte suicidaire. Mais parfois, on oblige les femmes à commettre l’adultère. Lorsqu’elle est enfermée, kidnappée quelque part, elle ne peut rien. C’est à cause de ces cas que la divinité protège et pardonne. Lorsqu’elle est pardonnée la première fois, elle ne va plus jamais chercher à commettre l’adultère une seconde fois. Mais si ça devient récurrent et qu’elle récidive, c’est difficilement que la collectivité va accepter de la purifier. Et c’est une honte pour le foyer. Le rituel d’expiation n’est jamais fait trois fois pour la même femme. Car cela est dangereux pour la femme et son mari.
Lorsque la femme commet l’adultère et continue à préparer pour son mari au foyer, quel impact cela aura sur ce dernier ?
Si le mari sait que sa femme a commis l’adultère et qu’elle continue d’aller au lit avec lui et de lui préparer à manger, les divinités vont attaquer le mari. Normalement, quand la femme commet l’adultère, pour la paix et la concorde, elle doit le déclarer ou carrément abandonner le foyer ; sinon, c’est très dangereux pour elle-même, pour le mari et les enfants.
La femme peut-elle mourir de l’adultère ?
Ah oui ! Elle peut en mourir. Si les divinités voient qu’elle a trop exagéré, bien qu’elle soit dans de très bonnes conditions chez son mari, c’est elle qui va ramasser les pots cassés. Mais les femmes cachent tout et continuent de vivre avec le mari comme si de rien n’était. C’est quand les maladies commencent par arriver et que certains esprits commencent par hanter le foyer ou s’afficher à la femme ou au mari que ça intrigue et attire l’attention que quelque chose d’anormal se passe. A partir du jour que la femme déclare qu’elle a commis l’adultère, qu’elle ait cité les personnes ou pas, le mari n’a qu’à commencer par se réserver et ne plus s’approcher d’elle. C’est pour cela qu’il y a des blagues que la femme ne doit pas dire à certains moments lorsqu’elle s’énerve ou lorsqu’elle ne veut pas coucher ensemble avec son mari. Il y a des femmes qui disent qu’elles sont fatiguées et quand les maris insistent, elles lui opposent un refus catégorique en disant qu’elles sont infidèles. Or, c’est une blague, c’est pour empêcher les maris de les bousculer pendant cette période-là. Lorsqu’elles disent ça et que les maris commencent par crier, elles doivent aller se confesser pour dire que c’est plutôt une blague.
Devant ces cas, la même cérémonie est accomplie comme si elle était adultère ?
Non, puisque là c’est un mensonge pour avoir la paix, pour que les maris les laissent. Or, elles ne doivent pas dire ces genres de blagues parce que les maris ne vont pas considérer ces blagues comme telles. Elles doivent se confesser à leurs maris qui vont rendre compte rapidement aux parents. Ils iront au village s’ils sont à Cotonou ou Parakou parce qu’ils ont besoin de la collectivité en ce temps-là pour tirer les choses au clair.