Contrairement à ce que le commun des béninois croient, le retrait du Bénin du protocole de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) n’est pas lié à l’affaire Ajavon. Invité ce dimanche 26 Avril 2020 sur l’Ortb, Victor Topanou a élucidé les vraies raisons de ce retrait intervenu un mois avant que la CADHP ne prenne sa décision concernant l’affaire Sébastien Ajavon. A en croire le professeur Topanou, le Bénin a même introduit le dossier auprès du président de l’Union Africaine, afin que la question des compétences de cette cour soit résolue lors de la prochaine conférence des chefs d’Etats et de gouvernement de l’institution. Lisez plutôt ses propos!
Victor Topanou : Le Bénin n’a pas retiré sa déclaration à la suite de la décision de la cour, concernant le Bénin. La décision de la cour date du 17 Avril, mais la déclaration de retrait du gouvernement date du 16 mars, soit un mois auparavant. Donc c’est deux choses complètement différentes. C’est peut-être fait à dessein pour perturber les gens. En réalité, qu’est ce qui s’est passé avec ce retrait-là ? C’est que la cour s’est prononcée dans un autre dossier dont le Bénin a connaissance et ce dossier c’est lequel ? C’est celui du conflit qui oppose deux opérateurs économiques, le Gabriel Kodé et la Société générale près le Bénin, c’est une marque française présente dans beaucoup de pays africains. Il s’est fait que le Kodé aurait demandé un prêt de plusieurs milliards et qu’à la suite du prêt qui lui a été fait, il n’a pas été en capacité de rembourser. Donc la Société générale a enclenché une procédure devant le tribunal de commerce et la société général a gagné. Comme cela se fait d’ailleurs dans les transactions financières, la Société générale a obtenu du tribunal que les biens hypothéqués au moment des prêts notamment les titres fonciers, lui soient retournés pour qu’elle puisse essayer au moins de rentrer dans ses fonds. C’est ce qui a été fait. Après ce tribunal en cas de litiges entre deux opérateurs, la cour compétente en dernier ressort, c’est la cour de justice de l’OHADA qui est à Abidjan, la CCJA. Parce que le monde des affaires en Afrique francophone est géré par l’OHADA. Or en même temps que Kodé saisit la Cour de justice de l’OHADA, il saisit la cour africaine et dans la foulée la cour africaine considère que le fait d’autoriser la Société générale à modifier les titres fonciers en son nom relève d’une violation du droit de la propriété et donc écrit au Bénin et demande expressément de ne pas autoriser la police et la justice béninoises à respecter cette décision du tribunal de Cotonou. Et donc le gouvernement béninois a considéré que la cour africaine va quand même trop loin. Qu’elle ne peut pas s’immiscer de cette manière-là dans un litige qui par définition relève de l’OHADA et qui par définition a prévu une instance supérieure qu’est la cour de justice de l’OHADA à Abidjan. A partir de ce moment-là, le Bénin a considéré que cela devenait un risque majeur pour les affaires au Bénin. Parce que la société générale pourrait dire si la Cour africaine s’immisce de cette manière-là dans les affaires privées, nous n’avons plus notre place ni au Bénin ni en Afrique. Parce qu’il suffirait que vous fassiez un prêt que vous ne payez pas et ensuite dans l’exécution des termes du contrat vous saisissiez la cour (…) Et donc c’est une affaire à part, c’est parce que nous n’avons pas été informés en temps utile, un mois plus tôt que comme dans la foulée de la décision un mois plus tard de notre compatriote Ajavon, on a pensé que c’était en ce moment-là que le gouvernement avait pris la décision. Non. Le gouvernement avait pris la décision et a saisi l’Union Africaine le 16 Mars, donc un mois avant. Maintenant pour ce qui concerne la décision, j’avoue que moi je suis surpris par une chose.
Est-ce que cette cour avait les prérogatives pour prendre une telle décision ?
Peu importe. Elle peut par miracle prendre la décision dans l’affaire commerciale opposant Kodé à la société générale. C’est-à-dire que la cour peut partir d’un droit de façon générique, faire des interprétations et prendre sa décision. En plus, en la matière, la compétence de la cour se décide par la cour elle-même. Il n’y a pas un texte préalable qui dit : « Voilà les matières dans lesquelles elle est compétente ». Au contraire, le règlement intérieur est clair, la cour en fonction de ses compétences, décide. Donc elle peut décider. Moi ce qui m’a surpris c’est que pour une première fois, je vois une cour des droits de l’Homme fait à la notion de dommages irréparables le fait qu’on ne puisse pas aller à une élection. Moi c’est franchement cela qui m’a surpris que la cour africaine estime que ne pas aller à une élection relève d’un dommage irréparable. Que dira-t-elle lorsque la vie d’un individu sera en péril ? Une élection c’est tous les quatre ans, c’est tous les cinq ans. Donc, il n’y a manifestement pas de dommage irréparable. Mais en décidant qu’il s’agit de dommage irréparable, elle s’octroie le droit de dire ce qu’elle veut, et c’est en cela que la polémique existe. Considérer que ne pas aller à une élection relève de dommage irréparable et donc en conséquence, décider de la suspension des élections, cela ne peut que laisser la place à la critique. Et c’est malheureusement ce qui arrive.
Au-delà, cela montre bien la prudence d’un certain nombre de pays vis-à-vis de la cour. Vous savez, on est 54 Etats en Afrique. Le Protocole créant la cour en 1998 et entré en vigueur en 2004, n’a été ratifié que par trente pays. Donc il y en a 24 pays qui ont dit, on n’en veut pas. On pourrait vouloir, mais on va regarder ce qu’ils sont en train de faire et après si on veut on va y aller. Et en plus de cela on a dit que pour autoriser les organisations non gouvernementales qui ont des statuts d’observateurs à la commission et les individus d’un pays à saisir la cour, il faut faire une déclaration. Dans les trente qui ont ratifié, il n’y a que neuf. Ce qui veut dire qu’il y a au total quarante-cinq Etats sur les cinquante-quatre. Et donc moi ce que je pense, c’est que la cour a intérêt à se faire attractive pour que ces pays-là reviennent. Mais en leur montrant qu’elle est capable de prendre de telles décisions, de s’immiscer y compris dans les affaires commerciales, elle prend le risque de suggérer implicitement que les juridictions internes n’ont plus de valeur. En ce moment-là, je ne suis pas sûr que beaucoup d’autres pays puissent aller vers eux. (…)
Qu’est ce qui pourrait motiver une telle institution à prendre de pareilles décisions ?
Elle le tire de ce en quoi elle est compétente. Il y a un litige devant le tribunal de commerce, elle dit oui il y a manifestement un problème lié au droit de propriété, la propriété étant un droit de l’homme, je m’en saisis et dis que tel ou tel a raison. Si on continue comme ça, cela voudra dire que ce n’est plus la peine. Non seulement les lois et les juridictions internes mais aussi c’est là le plus dangereux, c’est que la cour a fait de l’amalgame sur tous les sujets d’importance parce que fondamentalement si l’on veut faire une interprétation, je dirai brouillonne, tous les sujets aujourd’hui ont une dimension droit de l’homme. Donc si la cour fait cette interprétation, cela veut dire que toutes les autres juridictions n’ont plus de sens puisqu’elle est capable d’y déceler une dimension droits de l’homme et statuer là-dessus. Si malgré la cour, les autres pays ont maintenu les juridictions spéciales dans les autres matières, c’est à la cour qu’il revient de recentrer son domaine de compétence sur l’essentiel que les autres ne connaissent pas. Et à la limite attendre que les autres aient fini pour qu’éventuellement elle se prononce dessus. Mais ce que je crains derrière tout cela, c’est la crédibilité de la cour. J’ai entendu la déclaration d’Amnesty International. (…)
La décision du gouvernement, elle est dangereuse
On ne pouvait pas s’attendre à autre chose d’Amnesty International. Vous n’imaginez pas Amnesty en train d’applaudir le retrait. A ma connaissance, ce n’est pas possible. Elle est dans son rôle. Sauf que les gouvernants sont également dans leur rôle.