Le constat est unanime chez les agents de santé. Ce n’est plus la grande affluence dans les pédiatries et autres lieux de vaccinations. Les parents ne respectent plus en effet le calendrier vaccinal de leurs enfants de peur d’attraper le covid-19 ou de servir de cobaye pour un vaccin contre le virus.
D’habitude les lundis et jeudis, c’est l’affluence dans les salles d’accueil des cliniques privées situées dans les alentours de l’échangeur de Godomey, commune d’Abomey-Calavi. L’inverse s’observe depuis que le Bénin a commencé à enregistrer ses premiers cas de coronavirus, confie tata Olga, infirmière de garde dans l’une des cliniques. A la pédiatrie de l’hôpital de Mênontin, ambiance inédite. Les rangées de bancs autrefois inondées de femmes sont clairsemées. Il faut se rendre dans les maisons pour avoir une justification de ce constat.
Mère d’un bébé d’un an et demi, Carole assise tranquillement chez elle devrait se rendre au centre de santé cette semaine pour immuniser son enfant. Il s’agit du vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR) vendu à plus de 15 mille francs cfa à la pharmacie après des jours d’attente sur une liste. Mais malgré toutes les tracasseries qu’elle a endurées avant d’obtenir le précieux flacon, la confiance de cette jeune maman dans les vaccins s’est subitement émoussée. « Je n’y vais plus. Je vais attendre encore un peu pour voir l’évolution de la situation. Je ne suis pas rassurée. De plus, j’ai appris qu’on veut tester un vaccin sur les africains. Je crains qu’on ne fasse ça à mon enfant sans que je ne le sache ».
Au Bénin, il a fallu 16 années aux pouvoirs publics pour faire baisser le risque de décès entre la naissance et le cinquième anniversaire de 160% en 2001 à 96% en 2017-2018 selon l’Institut national de la statistique et de l’analyse économique. On réalise l’importance de l’effort à faire dans le cas où la même tendance se maintiendrait si l’on veut réaliser l’objectif de l’ODD3 qui fixe le taux de mortalité infanto-juvénile à atteindre en 2030 à 25%. Il faut donc tirer toutes les conséquences de la situation actuelle. « La première conséquence est que certaines maladies qu’on pensait derrière nous, peuvent faire leur grand retour et causer des dégâts autant que le covid-19. Je veux parler de la rubéole ; de la diphtérie et autres du fait que les gens ne veulent plus renouveler leurs vaccins parce qu’on oublie aussi ça souvent, il y en a qui sont renouvelables et d’autres non, du fait également que le calendrier vaccinal des nouveaux-nés n’est plus respecté.
Il faut prendre garde », alerte un médecin de santé publique en service au Centre national hospitalier et universitaire Hubert Koutoukou Maga de Cotonou qui a requis l’anonymat. De plus, l’OMS recommande 95% de couverture vaccinale pour garantir l’immunité de groupe, qui protège les personnes non vaccinées (bébés, femmes enceintes, personnes immunodéficitaires…). Le Bénin qui n’a pas encore atteint ce taux pour un vaccin dans un contexte marqué par l’amenuisement des subventions de prise en charge doit redoubler de vigilance. « Aujourd’hui, beaucoup de vaccins ont quitté la sphère de la gratuité. La vaccination contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR) s’achète à la pharmacie à un prix pas très abordable pour le Béninois moyen. Il faut donc tout faire pour sauvegarder les acquis des décennies antérieures qui ont été quelque peu fragilisées avec l’état des lieux actuel. Ce n’est pas le moment de bouder les vaccins de base gratuits comme payants au risque de voir le peu de résultats qu’on a obtenus jusqu’ici, voler en éclats », conclut-il.
Maintenir l’état de veille
Des dizaines de pays ont interrompu carrément leur campagne de vaccination afin d’enrayer la propagation du Covid-19. Des campagnes de vaccination contre la rougeole ont déjà été reportées dans 24 pays et d’autres prévues pour plus tard en 2020 dans 13 pays risquent également de ne pas avoir lieu, fait savoir le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) sur son site internet. Le Bénin qui a juste opté pour un cordon sanitaire devrait continuer à profiter de ce luxe que ne peuvent s’offrir en ce moment toutes les Nations en raison des confinements partiels ou généraux selon une infirmière rencontrée à la pédiatrie de l’hôpital de Mênontin. « C’est un plus par rapport aux autres pays qui n’ont pas d’autre choix que de suspendre les vaccinations. Si à la fin de l’épidémie, le Bénin qui est très peu touché doit faire face au même titre que les Etats qui ont été sévèrement secoués, à la montée des affections courantes, ce serait dommage. La plupart des hôpitaux respectent les mesures préventives recommandées. Il n’y a donc pas de risque à ce que vous veniez nous voir ». Alors que le Bénin a gagné ces dernières années près de dix points sur le taux de couverture vaccinale qui était de 48% en 2011-2012, la courbe pourrait repartir à la baisse en 2020 en raison de la pandémie du coronavirus si une sensibilisation parallèle à celle en cours sur le coronavirus n’est pas déployée exclusivement sur l’importance du vaccin.