Vivant dans le confinement, les Béninois vivent également dans la crainte et le tremblement, parce qu’ils sont de ceux dont on a dit qu’ils n’enterreraient pas indéfiniment par demi-douzaines leurs morts du covid-19 pendant que l’Occident compte chaque jour les siens par centaines. Vu notre précarité légendaire, et faisant pencher en toute logique la balance de notre côté, des Occidentaux crédibles voient déjà villes et villages d’Afrique jonchés de millions de cadavres covid-19. Les Béninois en ont perdu leur joie de vivre. Mais se souvenant que « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés », ils se consolent à envisager les bienfaits que les survivants d’entre eux s’offriraient pour une vie nouvelle inspirée des anciens paradigmes revus et corrigés à la lumière foudroyante du covid-19.
Pendant tout le confinement, nous aurons enterré nos morts avec grande décence. Ni uniforme ni ripaille. Quelques jours à la morgue. Au total, dix parents et amis pour accompagner le cher défunt à sa demeure ultime. C’était déjà un peu le cas il y a longtemps, quand la morgue n’existait pas et que trois jours, au maximum, du confinement du cadavre à domicile ne suffisaient pas pour préparer une fête funéraire à la gloire des vivants. Le covid-19 nous aura appris à revenir, peu ou prou, à ce vieux paradigme respectueux du défunt.
Pendant tout le confinement, nos lieux de culte seront restés clos. Ni cloches sonnant à la volée pour annoncer aux fidèles assemblés que Christ est vraiment ressuscité. Ni prêche ardent au premier jour du saint Ramadan pour appeler les croyants assemblés à une piété accrue tout au long du mois sacré. Ni mort revenu en vaudou pour mettre en délire la foule assemblée soulevant force poussière et remuant l’univers de tout ce qu’elle peut de tapage et tambourinage. Sans nous renvoyer dans les catacombes ou dans les sombres arrière-cours de nos couvents, le covid-19 nous aura appris à recevoir, dans un enthousiasme plutôt intériorisé que débridé, toute joie, tout salut et toute consolation accordés par la Divinité.
Pendant tout le confinement, le vacarme extérieur des nuits et des jours se sera atténué de beaucoup et même éteint. Plus de haut-parleurs rageurs crachant leurs décibels dans des rues étonnamment fluides. Aucune larme versée à l’annonce de la fermeture des bars : on se sera offert chez soi la convivialité qu’on y allait chercher dans un brouhaha nourri d’effluves éthyliques. Avec ou sans masque, nous n’aurons plus hurlé nos sentiments, nous les aurons susurrés, un peu comme au confessionnal. Digne et discret. Pas feutrés. De l’espace pour l’autre aussi. Ç’aura été de toute grandeur. Avec un certain bonheur, nous nous serons découverts du côté opposé à l’incessante clameur. Sans nous confiner à l’hiératisme des moines bénédictins ou tibétains, le covid-19 nous aura appris à comprendre un peu mieux le silence à l’extérieur d’eux et le silence à l’intérieur d’eux. Au confluent de ces deux silences surgissent les intuitions innovantes et novatrices et naissent aussi les génies pour leur faire prendre corps et les réunir en faisceau lumineux afin de permettre à l’humanité de traverser, en étant de plus en plus avertie, ses malheurs incessants.
Seule la nuit s’ouvre aux étoiles. Le jour ne les dévoile pas. Puissent les Béninois, confinés et meurtris, regarder avec courage et espoir les étoiles que leur dévoile la nuit du covid-19 et qui les éclairent pour les sillons qu’ils traceront demain en vue de plus belles moissons. Puisse l’humanité, confinée et meurtrie, entrevoir déjà demain. Pourquoi cette nuit de détresse a-t-elle réuni les deux hémisphères et s’est voulue tragédie planétaire ? C’est pour que tous hommes et femmes de partout se rencontrent, frères et sœurs, dans cette solidarité tourmentée, que nous transfigurerons ensemble afin d’empêcher le covid-19 d’avoir le dernier mot sur nous. Non, le covid-19 ne l’emportera pas sur notre humanité.