Le retard dans la mise en service de la centrale électrique de 80 Mégawatts construite à des milliards de F Cfa à Maria-Gléta, commune d’Abomey-Calavi, focalisera demain, jeudi 5 décembre 2013, les attentions au Palais des Gouverneurs. Le ministre Barthélémy Kassa chargé de l’énergie, des mines… sera face aux députés. Il devra répondre à trois questions d’actualité et deux questions orales avec débat adressées au gouvernement et qui sont restées sans suite depuis les mois de janvier et de mars 2013. Au nombre de ces questions, deux ont été posées par l’honorable Eric Houndété, une par l’honorable Nazaire Sado, une par l’honorable Biokou Firmin et la dernière par l’honorable Isidore Gnonlonfoun, aujourd’hui ministre en charge de la décentralisation. En dehors du retard qu’accuse la mise en service de cette centrale électrique, le gouvernement devra s’expliquer sur l’explosion d’une des turbines de la centrale survenue le 7 janvier 2013. En attendant, voici un rapport qui montre comment l’on met en danger la vie des Béninois.
Un rapport troublant sur les Turbines à gaz de Maria Gléta
Sous le régime du changement qui a viré à la refondation, les scandales s’enchaînent. Le projet d’acquisition de la centrale électrique TAG 80 MW de Maria Gléta 1 en est un. Plusieurs milliards de F Cfa y ont été engloutis. Malheureusement pas pour produire de l’électricité, mais des explosions comme ce fut le cas le lundi 7 janvier dernier lors d’un essai après quatre années de retard dans l’exécution du projet.
Lundi 7 janvier 2013. Il sonnait environ 14 heures. A Maria Gléta, une bourgade située dans la commune d’Abomey-Calavi, l’ambiance était à la grosse frayeur au sein de la population. Un bruit assourdissant provenant de la Centrale électrique implantée dans la localité et dont les travaux ne sont pas encore achevés provoque la débandade. Selon des témoignages, l’explosion ressentie par les populations serait intervenue lors d’un essai qui s’effectuait au niveau de la turbine N°3 de cette centrale électrique destinée à fournir au Bénin de l’énergie électrique d’une capacité de 80 mégawatts. Les tentatives des agents de sécurité en faction dans cette centrale pour étouffer l’explosion ont malheureusement échoué. Et comme une traînée de poudre, l’information a fait le tour du Bénin. Ulcéré, le gouvernement a dépêché le ministre en charge de l’énergie sur les lieux du drame. On était au mardi 8 janvier 2013. Sur le terrain, le ministre Barthélémy Kassa n’a pas caché sa colère quand bien même les concepteurs de la centrale ont essayé de minimiser les dégâts. Naturellement, des instructions ont été données. Les a-t-on respectées ? Il sera bien difficile de répondre par l’affirmative. Mais ce dont on est sûr, c’est que le scandale de la centrale électrique de Maria Gléta est bien loin de livrer ses derniers développements. Il y a en effet beaucoup à redire sur cette centrale électrique conçue pour fonctionner avec des turbines à gaz. En tout cas, le contenu du rapport sur l’alignement des équipements majeurs des unités de cette centrale électrique rédigé par le Bureau national d’études technique et de développement (BNETD) et diffusé par le Comité de suivi du chantier est bien loin de rassurer les Béninois. Ce rapport date du 15 novembre 2012 et est signé de M. Allani Kouassi, Chef de mission du Bureau d’études. Ce Bureau d’études, ne voulant rien avoir sur sa conscience, a en effet décliné sa responsabilité en ce qui concerne la qualité de certaines pièces utilisées dans la conception des unités composant la Centrale électrique de Maria Gléta.
Un rapport détonnant
D’entrée, le rapport de M. Kouassi indique » qu’à la suite des tests d’achèvement effectués en octobre 2011, CAI qui est la société américaine chargée de construire la centrale électrique de Maria-Gléta a eu à mettre en place des supports sous les collecteurs d’échappement de toutes les unités de production. Après ces travaux complémentaires, des déclenchements ont été observées lors des essais à vide sur les unités 2, 6 et 8 et relèvent du dépassement de la plage de vibration des turbines de puissance comprise entre 25 et 70 mm/s « .
Toujours selon le rapport, » CAI a dépêché sur le site de Maria-Gléta un nouvel expert, M. Claude Kouchi, chargée de la vérification aussi bien des alignements antérieurement effectués et jugés concluants que celui de l’unité 7 dont les niveaux de vibration en dépit du remplacement de la turbine de puissance demeuraient toujours élevés, sans que la supervision ne soit saisie par les voies réglementaires en matière de la réalisation de ces nouveaux travaux « . Au terme des mesures effectuées par l’expert commis par CAI, poursuit le rapport, les vibrations observées seraient admissibles sur les unités 1, 3, 5 et 7 ; par contre, elles demeureraient élevées sur les turbines 2, 6 et 8, d’où la nécessité de procéder à la dépose des turbines de puissance N°2, 6 et 8 en vue de leur équilibrage. Pour ce qui est de la turbine de puissance N°4, le défaut relevé peut être supprimé sur place sans la dépose de l’équipement, a dit l’expert commis par CAI, mentionne par ailleurs le rapport de M. Kouassi.
Le 3 septembre 2012, une reprise respectivement des mesures des vibrations par unité avait été projetée par le Bureau national d’études technique et de développement (BNETD) avec le sieur Claude Kouchi, expert commis par CAI pour le 4 septembre 2012. Malheureusement, ce dernier sans coup férir a quitté le territoire national le 3 septembre 2012 au soir. Après donc le départ de l’expert, l’équipe de CAI a poursuivi la dépose des unités 2 et 6. Un compte rendu téléphonique circonstancié a été fait par BNETD au Président du Comité de suivi par intérim et a précipité la convocation d’une visite de chantier pour le 19 septembre 2012. Lors de ladite visite, le conducteur des travaux de CAI a informé toutes les parties prenantes au projet TAG-80 MW de l’équilibrage dans les prochains jours des turbines de puissance N°2, 6 et 8 au Nigeria et de la réparation sur le site de celle de l’unité 4.
Le lundi 24 septembre 2012, BNETD contre toute attente a eu à constater qu’à son insu, les turbines de puissance 2 et 6 ont été enlevées clandestinement du site de Maria-Gléta le dimanche 23 septembre 2012 par CAI pour une destination inconnue, étant entendu que le samedi 22 septembre 2012 à la fermeture du chantier, les deux turbines étaient encore au pied des unités 2 et 6. A la réunion de chantier qui s’est tenue le mardi 25 septembre 2012 au lieu du lundi 24 septembre à 15 heures, le coordonnateur de CAI a confirmé à la supervision composée du Maître d’ouvrage et du BNETD que les deux turbines de puissance ont été effectivement expédiées au Nigeria pour les vérifications d’usage annoncées et seront de nouveau sur le site au plus tard le 29 septembre 2012.
Sur instruction du maître d’ouvrage, BNETD a saisi CAI par écrit le 27 septembre 2012 en vue de la transmission à la supervision du rapport des tests d’achèvement effectués en octobre 2011, la transmission à la supervision du rapport des travaux effectués par le nouvel expert en charge de la vérification des alignements et enfin l’indication à la supervision de la structure en charge de l’équilibrage des turbines de puissance 2 et 6 au Nigeria.
Aussi curieuse que cela puisse paraître, aucune réponse écrite de l’entreprise n’est parvenue au BNETD par rapport aux préoccupations susmentionnées dans les courriers qui lui ont été adressés. Chose curieuse encore, au cours de la réunion de clarification convoquée par le Directeur de cabinet du ministre en charge de l’énergie le 8 octobre 2012, le conducteur des travaux de CAI, Ismaël Fawaz qui était absent du territoire a, contrairement à l’argumentaire développé par le coordonnateur de CAI lors de la réunion de chantier du 25 septembre 2012, précisé que les turbines de puissance n’ont nullement été expédiées au Nigeria et ceci du fait de l’incapacité de la compagnie pressentie dans ce pays à pouvoir réaliser les travaux d’équilibrage souhaités. Selon M. Fawaz, les turbines de puissance 2 et 6 qui devraient être expédiées au Nigeria sont déposées dans un atelier d’usinage à Godomey où les experts de CAI ont procédé à leur démontage aux fins de récupérer les roulements qui par la suite ont été expédiés en Californie (USA) le 3 octobre 2012 pour être réceptionnés à Cotonou le 20 octobre 2012.
Au regard des révélations faites par M. Fawaz, une délégation conjointe BNETD et CAI s’est alors rendue à Godomey dans l’atelier du sieur Daniel BEAHENOU pour une visite de constatation. Il a été donné à BNETD de constater que les turbines 2 et 6 déjà démontées sont entreposées sous un hangar fermé aménagé pour la circonstance dans la cour de la concession. Le dallage du plancher a été réalisé en béton armé de 20 cm d’épaisseur offrant une planéité acceptable. Le hangar dispose d’un palan de 2 tonnes pour le levage de chaque turbine de puissance d’un poids de 1,5 tonne. Le second palan, aux dires du représentant de CAI, servirait à la dépose de la turbine de puissance N°8. Les deux rotors sont posés sur des supports appropriés afin d’éviter toute déformation. Les quatre roulements des deux turbines de puissance, soit deux par machine, sont retirés de leur cavité et ne sont pas dans le lot des pièces stockées sur place. Sur la base des constats faits, BNETD a, entre autres, recommandé de procéder au remplacement des quatre roulements défectueux par des roulements neufs et non à leur réparation. » La précocité de l’usure de ces pièces maîtresses sans que les turbines de puissance N°2, 6 et éventuellement N°8 n’aient véritablement servi, prouve que lors de la remise au potentiel, elles n’ont systématiquement pas été remplacées comme recommandé par les normes, ou alors la marge de tolérance de l’accouplement (turbine de puissance-réducteur de vitesse) a été dépassée. Dans l’un ou l’autre des cas, compte tenu du régime de fonctionnement des turbines de puissance (5500 tr/mn), il s’avère impérieux de procéder à leur remplacement afin d’éviter lors de l’exploitation des avaries en série plus importantes « , a suggéré BNETD. D’ailleurs, une correspondance aurait été adressée à CAI par l’ingénieur conseil.
Grosse supercherie ?
Dans le cadre du suivi des travaux de remontage des turbines de puissance N°2 et 6 à Godomey, il a été donné à BNETD de constater le 29 octobre 2012 que les roulements réceptionnés par CAI et destinés à être montés sur les turbines de puissance N°2 et 6 ne sont pas à l’état neuf, mais plutôt sont en réalité ceux antérieurement déposés et qui ont subi aux Etats-Unis un reconditionnement effectué par PAS MRO Inc, entreprise dont l’ingénieur conseil n’a été informé ni de l’existence ni de la compétence.
Le 31 octobre 2012, la désapprobation de BNETD a été signifiée par courrier à CAI qui, nonobstant cette mise en garde a, sans coup férir, poursuivi et achevé dans l’atelier du sieur Daniel BEAHENOU, les travaux de remontage de la turbine de puissance N°6. Ladite turbine a été transférée le samedi 3 novembre 2012 sur le site de Maria-Gléta sur son générateur de gaz.
Face à cette situation, BNETD a enjoint par courrier en date du 6 novembre 2012 à l’entreprise CAI de suspendre les travaux de montage en cours jusqu’à nouvel ordre, tant qu’elle ne se résoudra pas à pourvoir les turbines de puissance N°2, 6 et 8 de roulements de remplacement à l’état neuf.
Entre ce 6 novembre 2012 et le lundi 7 janvier 2013, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. Sur les huit turbines de puissance installées, une défaillance ayant provoqué une explosion a été enregistrée le 7 janvier 2013 sur l’une d’entre elles. Il s’agit de la turbine de puissance N°3 pour laquelle l’expert de CAI, Claude Kouchi avait pourtant dit qu’il n’y a pas de problème.
……..
L’Etat est une continuité
Au moment où se jouait se drame, le ministre Barthélémy Kassa n’était pas au gouvernement. Il était encore à l’Assemblée Nationale. Mais l’Etat étant une continuité, il lui reviendra de porter ce lourd passif qu’il a hérité de ses prédécesseurs.