Bergedor HADJIHOU
Au gré des circonstances, certains sont pris au piège du cordon sanitaire installé autour de plusieurs villes pour lutter contre le coronavirus. D’autres par contre ont l’habitude de travailler et de vivre dans la rue. En pleine crise sanitaire, les mineurs issus de milieux socioprofessionnels défavorisés n’ont jamais été autant sollicités par la classe moyenne qui se soucie peu de leur vulnérabilité face au risque de contamination.
Le fourneau disposé à la terrasse, Briand 17 ans manie à l’aide de la palette, la semoule de maïs malaxée au feu avec de l’eau. C’est la tâche quotidienne que lui a assignée sa tante chez qui il a trouvé le gîte et le couvert en attendant de repartir à Dogbo, une commune située à 2 h 10 minutes de route de Cotonou, la capitale économique, dès la levée du cordon sanitaire. Il témoigne. « Je suis arrivé à Abomey-Calavi un samedi avec des amis accompagnés d’un grand-frère du village pour un job. Quand il fallait repartir, j’ai appris qu’on ne pouvait plus passer de l’autre côté avant au moins deux semaines. J’avais juste un pantalon sur moi. Je me suis alors rabattu sur ma tante chez qui j’étais déjà venu en vacances une fois à Cotonou ». Parmi la petite bande d’adolescents, Delano, 14 ans élève en classe de 4ème. N’ayant pas de parents à Cotonou comme Briand, il se fait embaucher après supplications pour vendre à la criée des produits laitiers. Un contrat informel qui lui rapporte 500 fcfa par jour (le salaire journalier moyen est de 1333.3333fcfa à raison de 40 mille francs cfa/mois au Bénin, ndlr) pour un travail de 08h à 20h le soir. « Je mange pour 100f et j’économise 300f. En plus de ça, on me permet de dormir à même le sol dans la boutique. Je n’étais plus qualifié pour le job pour lequel on est venu à Cotonou. Il fallait creuser des trous de plusieurs mètres de profondeur pour une structure qui a pris un marché de tuyauterie auprès d’une société publique. C’était un travail de forçat. J’ai souhaité repartir au village mais le cordon sanitaire nous a retenus. Je ne suis jamais venu ici », rapporte-t-il. Une première qu’il n’est pas près d’oublier : « Au village, vous avez une toute autre image de la ville. C’est bien joli mais la réalité est amère. Il n’y a pas de solidarité. Personne ne s’apitoie sur ton sort ». Orphelin de père Comme Delano, Paterne, 16 ans, se consacre à la vente de masques artisanaux pour un couturier en contrepartie d’un repas léger et un logis. Depuis que la crise sanitaire a commencé et les vacances scolaires avancés, les mineurs pullulent dans la ville vendant à la sauvette des masques textiles. Beaucoup exercent sans mesures de précaution. Il a fallu que les autorités rendent obligatoire le port de masque pour observer un réveil dans le rang des patrons informels. « Au début, je lui vendais les masques sans moi-même en mettre. C’est la dernière fois qu’il m’a remis ceci en disant : ‘’Si tu ne portes pas et les policiers t’attrapent, n’appelle jamais mon nom’’ ». Tous les soirs, c’est la malbouffe tandis que le jeune garçon doit parcourir des kilomètres dans une ville qu’il n’a jamais pratiquée. Pour retrouver son chemin, il compte les ruelles, identifie les arbres, se réfère aux inscriptions sur les enseignes et se fie surtout à l’adressage de la commune. « J’ai maintenant beaucoup de repères pour retourner à l’atelier. Je ne veux pas dormir dans la rue car j’ai peur de l’inconnu », assure-t-il. Le seul réconfort, un endroit où dormir, se débarbouiller le matin et conserver les quelques affaires personnelles. Et bien que l’eau, l’hygiène et l’assainissement soient devenus indispensables pour la survie, faire sa toilette quotidienne tient chez ces enfants d’une gageure. « Je vois la couleur de l’eau tous les deux jours. Mes amis m’ont proposé de marcher jusqu’à Womey, un arrondissement de Calavi où on a travaillé sur un chantier pour me laver régulièrement. C’est trop loin. » Et quand il apprend que le cordon sanitaire est maintenu jusqu’au 10 mai 2020, son désarroi est à son comble ! « Je dois assister à des rites funéraires en famille au village. Je viens à peine d’enterrer mon père et on doit poursuivre les cérémonies ce week-end pour que son âme repose en paix. Ils sont sans nouvelles de moi là-bas », se ressaisit-il enfin une fois revenu à la douloureuse réalité.
Risque de contagion, d’enlèvement, de séquestration, de violences de toutes sortes et d’enrôlement dans des groupes de délinquance, les mineurs pris au piège du cordon sanitaire viennent aggraver un constat déjà pas très reluisant du travail des enfants au Bénin. Solliciter la main d’œuvre infantile est en effet monnaie courante à Cotonou en violation des lois de la République « On ne le dira jamais assez. Pour ceux qui spéculent en pleine pandémie, il est interdit d’utiliser des enfants à des fins mercantiles. L’âge de travail au Bénin est bien encadré selon les formes de travail, l’aspect pénibilité et le nombre d’heures surtout quand il s’agit des mineurs. Il faut se le tenir pour dit au risque de tomber sévèrement sous le coup de la loi », analyse Elie Adjogou, juriste.
Une chaîne humaine autour des enfants des milieux ouverts
D’un pas décidé, elle avance avec son équipe le long de la ceinture verte installée au quartier Houéyiho. Geneviève Sêdjro préside un groupe de jeunes bénévoles au service des personnes qui vivent dans la rue. L’association a entendu parler du projet stop covid-19 initié par le foyer Laura Vicuña, un centre d’accueil et de formation pour petites et jeunes filles victimes du trafic d’enfants en vue d’une réinsertion dans les familles d’origine. Une soixantaine de vidomègons (‘’enfants placés’’) parmi les quelques cent mille que compte la seule agglomération de Cotonou selon l’Unicef ont déjà été éduqués aux gestes barrières par les sœurs salésiennes, notamment dans le marché international de Dantokpa, un lieu commercial réputé comme le plus grand demandeur de main d’œuvre enfantine. « C’est bien ce que font les sœurs. Le nombre d’enfants impactés n’est pas négligeable, mais si d’autres bénévoles se joignent à elles, on pourra atteindre plus d’enfants y compris dans les bidonvilles. Il y en a qui dorment encore dans des ateliers de vulcanisateurs sans masque, sans eau, sans savon pour se laver régulièrement les mains et combattre comme tout le monde le virus. Je remarque que face aux gestes barrières, nous ne sommes pas égaux », s’offusque la meneuse du mouvement masque et gants bien en place. La veille de nos échanges, une cinquantaine de mineurs surpris sur leurs lieux d’apprentissage sans dispositif de protection ont bénéficié gratuitement de masques réutilisables. Des gestes d’attention qui peuvent parfois se retourner contre les bienfaiteurs « Il faut faire très attention quand vous venez sur le terrain. Le mieux, c’est d’aller se présenter aux chefs quartiers avant d’agir ; si non les gens peuvent vous accuser d’organiser le trafic d’êtres humains et vous lyncher avant même que vous n’ayez le temps de vous expliquer », confie Géraldo Houessou, militant des droits humains.
Un risque élevé pour les mineures enrôlées dans le proxénétisme
Un tiers des jeunes filles enrôlées dans les réseaux de proxénétisme au Bénin sont des mineures selon les spécialistes de la santé sexuelle et reproductive. Elles seraient en première ligne, à en croire la présidente de la plateforme des travailleuses de sexe, des personnes vulnérables en ce temps de pandémie. « Ce sont des filles qui ne savent pas observer les règles d’hygiène en temps d’accalmie. Elles couchent avec n’importe qui et n’importe comment, se salissent les mains tout le temps. Je doute fort qu’elles aient le réflexe en cette période de bien se comporter si quelqu’un ne vole pas à leur secours », argue Justine Sagbadjou. En effet, comme l’indique l’Organisation mondiale de la santé (Oms), le Covid-19 "peut se transmettre d’une personne à l’autre par le biais de gouttelettes respiratoires expulsées par le nez ou par la bouche lorsqu’une personne tousse ou éternue". À ce titre, si l’on ne prend pas ses précautions, la contamination peut donc avoir lieu à tout moment et dans toutes les circonstances, y compris lors d’un rapport intime. « Il ne s’agit pas d’une infection sexuellement transmissible, cependant il y a un risque que j’irai jusqu’à qualifier de très dangereux en la matière vu le contact physique qu’implique un rapport sexuel », explique le Docteur Célestin Oré. Respiration forte et accélérée, embrassades, câlins et touchers peuvent ainsi constituer selon le corps médical, des risques non négligeables à un moment où le Bénin craint des flambées locales du covid-19. Et il faut davantage s’en inquiéter tant le risque de contamination peut être plus élevé chez les travailleuses de sexe en raison de la diversité des personnes fréquentées : « A ce que je sache, les étrangers n’ont pas cessé de fouler le sol béninois. Très naïves, ces adolescentes ont tendance à privilégier les clients qui viennent de l’extérieur ; estimant à tort ou à raison qu’ils sont plus généreux en termes de rémunération et de traitements comparativement aux nationaux », affirme Brigitte Codjia, membre du Réseau des ONG et associations des femmes contre la féminisation du VIH-Sida. Selon le ministère de la santé, la plupart des cas de coronavirus enregistrés sur le sol béninois sont importés.