La crise du coronavirus met les couples à l’épreuve. Pour ces hommes qui ont perdu leur emploi en raison de la pandémie, les femmes se retrouvent en première ligne désormais pour la survie du foyer. Mais derrière cette solidarité renforcée, les risques de violence conjugale n’ont jamais été autant craints.
Fraternité l’a rencontré fin mars 2020, au lendemain de la fermeture des bars et débits de boissons pour cause de coronavirus. Dans la foulée d’une mesure fraîche et inédite, Gabin S. tenancier d’un bar sur l’esplanade extérieure du stade de l’amitié Général Mathieu Kérékou de Cotonou, avait fait en ce soir du 31 mars grâce au restaurant avec lequel il partageait son commerce, une recette de sept mille francs cfa contre 250 mille la veille. C’était sans compter que près d’un mois et demi après l’entrée en vigueur de la mesure, il serait également sans emploi. « Le gérant a décidé de fermer juste après en attendant que les choses ne reviennent à la normale. Il craignait les factures d’électricité », confie- t-il. Nous sommes donc repartis sur ses traces. Aujourd’hui, c’est sa femme, caissière dans une pharmacie qui ramène à manger à la maison. Une situation qui n’est pas sans effet sur la joie de vivre au sein du couple. « Bientôt sept semaines que ça dure. Moi ça ne me gêne pas tant qu’on peut se partager ce que j’amène à la maison. Je suis prête à me sacrifier car dans mon boulot, le risque de contamination n’est pas moindre. Malgré ça, mon mari déprime au lieu de rester positif », se désole l’épouse.
Vendeur ambulant pour un commerçant nigérien du lundi au jeudi et racoleur pour les taxi-bus le samedi, Justin fait partie de ces jeunes qu’on retrouve assis sur la portière parfois cabossée des bus communément appelés Tokpa-tokpa faisant la navette entre Cotonou et Abomey-Calavi. Sa mission : embarquer rapidement pour le conducteur les clients qui font le pied de grue au bord de la voie inter-Etats. Plus aucune des deux activités ne prospèrent aujourd’hui. « Les gens fuient les vendeurs à la sauvette, le transport est à l’arrêt. Je compte les jours. Pour acheter la bouillie à ma fille ce matin, c’était compliqué. Madame n’a pas d’occupation. Je suis constamment stressé et sur les nerfs », déclare le trentenaire devant son logis situé dans un bidonville. Dans ce contexte, « le climat social de vie familiale n’est plus le même surtout que c’est souvent au quotidien que les gens donnent la popote. Et quand la femme même ne dispose pas de source de revenus pour subvenir aux besoins de la famille, comme implications actuellement ce sera la dépression, des conflits permanents », analyse Karen Ganyé épouse Gbédji, docteur en Sociologie-Anthropologie à l’Université d’Abomey-Calavi. Pour ne pas voir leur nid d’amour secoué et même emporté par le coronavirus, certaines classes moyennes qui ont perdu temporairement leurs activités font preuve d’imagination au nom de l’harmonie du couple. C’est le cas de Benoît en service dans une agence de voyage quand la crise a commencé. Désormais, il fait du babysitting quand sa femme n’est pas là. « On a mis fin au contrat de la nounou. Ce qui nous permet d’économiser. J’ai pris le relais et madame continue d’ouvrir sa boutique au marché pour ne pas qu’on ressente trop la crise économique », témoigne le mari.
Probable flambée des violences conjugales
Adélaïde Sohou, comme une bonne femme africaine, s’occupe chaque matin de sa petite famille et de la maison. Depuis que les mesures préventives sont entrées en vigueur, cette vendeuse de mawè (une pate fermentée contenant moins de 1% de lipides) au marché de Gbégamey se fait du mouron pour son mari chauffeur de bus au chômage et ses quatre enfants. « Mon mari n’a plus de travail. Ça l’irrite. Il râle sur moi et les enfants sans même se soucier du risque que je prends pour la famille en me rendant encore au marché. Il n’a jamais levé la main sur moi en dix ans de vie commune. Cela pourrait changer avec ce qu’on traverse », s’inquiète mon interlocutrice. Pour ne pas supporter les excès de colère du conjoint, Dame Sohou Adélaïde passe plus de temps au marché que d’habitude. D’une part, il s’agit de combler le vide causé dans le revenu familial par la situation de son mari et d’autre part, de peur de subir de plein fouet, les emportements du chef de la maisonnée. C’est aujourd’hui indéniable, le confinement à domicile et les restrictions de déplacement décrétés par les pouvoirs publics ou imaginés par les familles elles-mêmes pour se prémunir contre le risque de contagion élevé est un couteau à double tranchant. L’Onu a alerté le 09 Avril 2020 suivie des associations locales de défense des droits des femmes sur la montée des violences conjugales, que tous les pays étaient concernés par la régression des droits des femmes au foyer dans un contexte sanitaire particulier. Par conséquent, des mesures spécifiques face aux changements imposés par le coronavirus viendraient comme une bouée de sauvetage pour les ménages démunis.